La méthode asiatique à l’épreuve du terrain

Débarqués en force pour maîtriser leurs approvisionnements en or noir, Chinois, Indiens, Coréens et Taïwanais paient parfois cash leur méconnaissance du continent. Un constat tiré d’une étude britannique sur l’Angola et le Nigeria.

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 15 septembre 2009 Lecture : 4 minutes.

La vaste enquête publiée en août dernier par l’Institut royal des affaires internationales (­Chatham House, basé à ­Londres) ne manque pas d’originalité. Elle fait surtout voler en éclats l’idée reçue de la relative soumission des pays africains face aux grandes compagnies étrangères qui joueraient de leur puissance financière pour s’emparer avec une certaine autorité de leurs réserves de matières premières. Intitulée « Soif d’or noir : les compagnies pétrolières nationales d’Asie au Nigeria et en ­Angola » et basée sur plus de quatre-vingts interviews confidentielles (dont celles de ministres, conseillers présidentiels et hauts cadres de l’industrie pétrolière), l’étude montre ainsi que les nouveaux investisseurs asiatiques ne parviennent pas forcément à adopter les méthodes néocolonialistes attribuées à certaines majors occidentales pour parvenir à leurs fins. On y ­découvre notamment que, si l’Angola a réussi à consolider son ­modèle « pétrole contre infrastructures », le Nigeria a totalement échoué dans cette voie. Un échec partagé par les investisseurs d’Asie qui, faute d’avoir bien compris le complexe contexte politico-­économique nigérian, ont chèrement payé leur naïveté…

Visées sur l’offshore nigérian

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Rappel des faits. En 2005, le président nigérian, Olusegun Obasanjo, invite la Chine, Taïwan, l’Inde et la Corée du Sud à investir dans l’offshore nigérian. L’appétit en or noir de ces grands pays importateurs devient de plus en plus important, au point d’enregistrer depuis 1996 une hausse de la consommation de pétrole moyenne de 30 %, jusqu’à 50 % en Inde et 100 % en Chine. Pour ­favoriser l’entrée des compagnies ­d’exploitation de ces pays, jusqu’alors absentes au Nigeria, Obasanjo fait adopter une nouvelle loi qui leur accorde un « droit d’exclusivité » (right of first refusal) pour la négociation de concessions pétrolières. L’objectif est de conclure avec ces pays des accords de type « pétrole contre infrastructures ». Mais Obasanjo, qui veut utiliser ces nouveaux investissements à des fins politiciennes, notamment dans la perspective d’un ­troisième mandat présidentiel, multiplie les « indélicatesses ». Il gère par exemple directement le dossier pétrolier, contrairement à ce que prévoit la Constitution nigériane. Et il promet à certaines compagnies asiatiques des réductions sur leurs droits d’entrée. Réductions dont le gouvernement d’Umaru Yar’Adua, successeur d’Obasanjo en mai 2007, ne trouvera aucune trace…

Les problèmes de procédure sont si nombreux qu’une commission d’en­quête parlementaire ad hoc est formée en mai 2008. Celle-ci finit par recommander l’annulation des contrats avec les pays asiatiques qui portent sur l’attribution, entre 2005 et 2007, de 26 blocs pétroliers selon le principe « pétrole contre infrastructures » (chemins de fer, gazoducs, raffineries, centrales thermiques, barrages…). Montant total en jeu : quelque 20 milliards de dollars d’investissements promis…

Le motif évoqué porte sur l’absence d’intégrité du processus d’attribution provoquée par la fameuse « loi d’exclusivité », votée à la hâte en août 2005. Dans le même cadre, la Compagnie pétrolière nationale de Corée du Sud (Knoc) se voit de son côté retirer en décembre 2008 le droit d’exploiter deux blocs offshore (obtenus en 2005), au motif qu’elle n’a pas entièrement payé ses droits d’entrée – quelque 320 millions de dollars. Là encore, l’administration Yar’Adua ne prend pas en compte un rabais probablement accordé oralement par Obasanjo à son homologue sud-coréen, Roh Moo-hyun. Mais les deux blocs, au lieu de faire l’objet d’un appel d’offres ultérieur, sont confiés à l’Inde grâce au ­lobbying d’un influent politicien. En août dernier, nouvelle décision de justice et nouveau coup de théâtre : les deux blocs sont réattribués à la Knoc. Loin d’être terminée, cette bataille illustre la fragilité de contrats pétroliers mal ficelés et trop dépendants des remous du marigot politico-économique nigérian. « Un changement de gouvernement à Abuja, c’est aussi un changement de business », résume un haut responsable sud-coréen cité dans l’étude.

Sonangol verrouille l’Angola

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Alors qu’aucun mécanisme ou institution ne garantit au Nigeria la réalisation rapide du programme d’échange « pé­trole contre infrastructures », ce n’est pas le cas en Angola, où « il est plus difficile de mettre un pied, mais [qui est] plus sûr et plus profitable à long terme », selon le même respon­sable sud-coréen. Car les opérations des investisseurs étrangers sur place sont verrouillées par la compagnie nationale angolaise, la Sonangol. Celle-ci joue le rôle de garant des intérêts angolais et des contrats de concession réalisés avec les sociétés internationales. Ces dernières sont dans l’obligation de créer un joint-venture avec la compagnie angolaise pour s’implanter durablement dans l’offshore. Stricte gestion des appels d’offres, sélection impitoyable des ­candidats… La compagnie nationale angolaise peut ainsi faire monter les enchères. Les offres émises sont aussi élevées (jusqu’à 2,2 milliards de dollars en 2006 pour des parts dans les blocs 17 et 18) que surprenantes pour les nouveaux entrants asiatiques.

À ce petit jeu, la Chine, premier importateur du pétrole angolais depuis 2007, a évidemment surclassé la concurrence asiatique, notamment indienne, grâce à sa puissance financière. Les lignes de crédit offertes par la Chine à partir de 2004 (13,4 milliards de ­dollars aujourd’hui, voire 19,4 milliards selon certaines estimations), vitales pour ­l’Angola surtout aujourd’hui en période de crise, ont constitué le meilleur ciment de l’entente sino-angolaise. « C’est un partenariat gagnant-gagnant », conclut un conseiller du ministère angolais des Hydrocarbures.

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