Très cher frère algérien

Les nouvelles mesures prises par Alger en matière d’investissements étrangers ont freiné l’implantation de certains entrepreneurs tunisiens dans le pays. À quand la préférence fraternelle ?

Publié le 15 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

« Bien que satisfaisant, le bilan de notre coopération reste en deçà de nos ambitions et espérances. Nous sommes donc appelés à encourager les opportunités d’investissement et à faciliter le flux de marchandises entre nos deux pays dans un cadre juridique préférentiel qui accorde des avantages aux produits des deux pays. » Ainsi s’exprimait le président algérien Abdelaziz Bouteflika lors de sa dernière visite en Tunisie à l’occasion du 50e anniversaire du bombardement du village frontalier tunisien de Sakiet Sidi Youssef, symbole des rapports de solidarité entre les deux pays. C’était en février 2008. Plus d’un an après, la « préférence fraternelle » dont parlait le chef de l’État algérien est entrée dans les faits pour ce qui est des relations commerciales, qui ont connu un bond de 85 % en 2008 par rapport à 2007 (voir infographie). Mais elle a été sérieusement mise à mal sur le plan des investissements tunisiens en Algérie, et en raison des sempiternelles tracasseries bureaucratiques.

Désenchantement

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Plusieurs grandes entreprises tunisiennes, pour la plupart cotées en Bourse, ont en effet vu leurs projets industriels et banquiers freinés à la suite des récentes mesures législatives algériennes relatives à l’investissement étranger. Aux termes des nouvelles dispositions, entrées en vigueur le 26 juillet dernier (voir J.A. n° 2539), un investisseur étranger ne peut détenir que 49 % du capital d’un projet et doit céder à un ou plusieurs partenaires locaux la majorité des 51 % restants. La loi établit aussi un droit de préemption pour l’État algérien en cas de cession des actifs détenus. Pour les sociétés commerciales d’importation, la part des locaux dans le tour de table doit être de 30 % au minimum. Par ailleurs, le capital requis pour l’établissement de filiales de banques étrangères a été porté à 100 millions d’euros. Si la loi sur les sociétés industrielles et commerciales n’est pas rétroactive, les banques et les établissements financiers sont en revanche tenus de se recapitaliser le cas échéant. On pourrait déplorer le fait que les nouvelles mesures n’aient pas introduit la notion de « préférence régionale » pour favoriser le partenariat algéro-tunisien promis par Bouteflika.

Une enquête de J.A. auprès de plusieurs grandes entreprises tunisiennes en relation avec l’Algérie fait en tout cas ressortir un certain désenchantement. Mais toutes s’accordent à dire qu’il faut s’adapter à ces péripéties, et ne pas insulter l’avenir, car, comme le rappelle un patron tunisien : « Nous sommes des voisins condamnés à nous entendre. » Si les projets en cours d’exécution sont maintenus (Poulina Group Holding, TPR, Altea Packaging), la règle des 49 %-51 % ne s’appliquant pas à eux, ceux qui n’ont pas encore obtenu l’agrément d’établissement sont tous suspendus (Poulina Group Holding pour d’autres projets, Gif Filter et les groupes bancaires BIAT et Amen).

Poulina Group Holding (PGH) – leader des groupes industriels tunisiens dont les activités englobent des unités de production de bouteilles de gaz et d’électroménager, et dont le savoir-faire a franchi les frontières – a été un pionnier en Algérie, où sa première implantation date de plus de trente ans. Son cas illustre bien les heurs, mais aussi parfois les malheurs des investisseurs tunisiens en Algérie. Côté heurs, deux projets qui ne tombent pas sous le coup de la nouvelle loi : une aciérie (billettes d’acier), pour un coût de 24 millions de dinars tunisiens (1 DT = 0,53 euro), à Touggourt, à 620 km au sud d’Alger, qui ouvrira en novembre, et une unité de production de céramique à Sétif qui sera opérationnelle au premier trimestre de 2010 pour un coût de 27 millions de DT. Côté « malheurs », deux ou trois projets industriels en cours de préparation et que le groupe a décidé de mettre entre parenthèses en attendant des jours meilleurs. Poulina n’a pas attendu la nouvelle législation algérienne pour s’associer à un partenaire local quand cela est possible. L’usine de Sétif, qui doit fournir le marché algérien mais aussi exporter vers l’Europe, a été lancée en partenariat avec le groupe algérien Belanouar, qui détient 40 % du capital. Le projet a permis la création de cent vingt emplois, dont 80 % de techniciens algériens formés en Tunisie, le reste du personnel venant de Poulina pour assurer l’encadrement propre à mener à bien le transfert de technologie.

Moins heureuse est la société Gif Filter, leader dans son secteur en Tunisie, grande exportatrice vers l’Europe et les pays du Maghreb, qui a décidé de suspendre l’exécution d’un projet d’usine de production de filtres dits de « nouvelle génération », pour un investissement estimé à plus de 10 millions de DT. « Nous étions prêts pour engager les formalités en Algérie, nous déclare Heykel Jerbi, administrateur et DG adjoint de la firme, mais les éléments nouveaux intervenus dans la législation algérienne ne permettent pas d’assurer la sécurité suffisante des investissements que nos actionnaires sont en droit d’exiger de nous. C’est pourquoi nous avons décidé de surseoir à ce projet en attendant de voir si de nouveaux éléments interviendront en 2010. » Jerbi fait valoir également que la législation nouvelle empêche une filiale algérienne d’intégrer un éventuel partenaire stratégique et de présenter des comptes consolidés, obligatoires pour les sociétés cotées en Bourse comme Gif Filter. « Cela dit, ajoute-t-il, l’Algérie est souveraine, et il est possible pour nous d’avoir un partenaire algérien non majoritaire. À nous de le trouver… »

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Malheureuses aussi sont la Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT) et Amen Bank, qui, dans le cadre de leur développement à l’échelle maghrébine, comptaient ouvrir des filiales en Algérie. Elles y ont finalement renoncé car, entre-temps, le capital exigé par Alger a été multiplié par quatre, pour atteindre 100 millions d’euros, montant qui dépasse de loin le capital de leur siège social à Tunis et est trop important pour pouvoir être rentabilisé. Le groupe Amen Bank s’apprête cependant à s’adapter avant fin 2009 aux nouvelles règles concernant les établissements financiers en recapitalisant sa filiale Maghreb Leasing Algérie, très présente au niveau des services aux PME algériennes.

 

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Tout n’est pas perdu

Il y a cependant des entreprises tunisiennes encore « heureuses ». Tunisie Profilés Aluminium (TPR), qui a investi 25 millions de DT pour l’implantation d’une usine à Aïn Defla, a échappé de justesse à la règle des 49 %-51 %. « Mais, déclare à J.A. Taïeb Bayahi, dont la famille contrôle le groupe, nous nous apprêtons à constituer une société pour la commercialisation, dont 30 % du capital sera détenu par un partenaire algérien que nous avons trouvé. » Bayahi estime que certaines des dispositions de la nouvelle législation contiennent des mesures « contraignantes » auxquelles il faut s’adapter et qui vont se traduire par des surcoûts pour l’usine d’Aïn Defla, dont l’entrée en production, après un retard de plusieurs mois, est prévue pour fin 2009.

C’est aussi le cas du groupe Altea Packaging, qui construit une usine d’emballage à Constantine, non loin de la frontière tunisienne, pour un coût de 19 millions de DT. Le démarrage de la production est prévu pour fin 2009. « La nouvelle législation ne s’applique pas à nous, car elle est postérieure à notre agrément », nous a déclaré son président, Slim Zghal. Quant à la règle selon laquelle les entreprises étrangères doivent maintenir en permanence une balance excédentaire en devises, Zghal n’y voit aucun inconvénient majeur à court et moyen terme. « Notre logique dans les quatre prochaines années est de réinvestir, a-t-il répondu. Après, on verra… »

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