Adieu Rachid Driss
Militant nationaliste de la première heure, l’ex-diplomate tunisien s’est éteint le 5 septembre, à 92 ans.
Il était l’un des derniers « dinosaures » de la lutte de libération nationale en Tunisie. Homme d’État, écrivain (il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages) et poète, Rachid Driss était aussi modeste qu’actif, et arborait en permanence un sourire discret.
Le titre de sa première autobiographie, De Bab Souika à Manhattan – c’est-à-dire d’un quartier populaire de Tunis au siège de l’ONU à New York –, résume à lui seul son parcours, intimement lié à l’histoire contemporaine de la Tunisie, passée de la domination coloniale à la gestion de ses propres affaires. Rachid Driss vit en effet le jour dans ce quartier populaire, au cœur de la médina de Tunis, dans une famille de la petite bourgeoisie (son père, fonctionnaire aux Finances, fut un célèbre mélomane et l’un des fondateurs de l’Orchestre national de la Rachidia). Élève au collège Sadiki de Tunis, pépinière des dirigeants nationalistes du Parti socialiste destourien (PSD), il s’illustra par un courageux activisme qui lui valut d’être emprisonné à plusieurs reprises par les autorités coloniales. Il deviendra l’un des cadres du parti et, après l’arrestation en 1941 des grands leaders indépendantistes, reprendra le flambeau en reconstituant le « 7e bureau politique » et en créant le groupe clandestin de la « Main noire », chargé de la résistance urbaine.
Recherché par la France, il fuit en Espagne avant de rejoindre l’Égypte, où il participe, avec Bourguiba, à la création du Bureau du Maghreb arabe, qui regroupe les chefs nationalistes d’Afrique du Nord. Il retourne en Tunisie en 1955, date de l’autonomie interne, dirige le journal Al-Amal, quotidien arabophone du parti, joue un rôle actif dans l’abolition de la monarchie et la proclamation de la République, et devient membre du premier gouvernement tunisien, où il occupe le poste de ministre des PTT. Driss se tourne ensuite vers la diplomatie. Représentant de la Tunisie à Washington, puis aux Nations unies, il accomplira plus tard d’autres missions que lui confie Bourguiba. À partir de 1981, il anime l’Association des études internationales, qu’il a fondée et qui devient un lieu de débat et d’information pour les jeunes diplomates.
Lorsque Zine el-Abidine Ben Ali succède à Bourguiba, il sort Driss de sa toute récente semi-retraite (il avait 70 ans en 1987) et lui confie, en 1991, la présidence du Haut Comité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, où, pendant dix ans, il aura pour principal interlocuteur la très active Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH). Il parvient à visiter les prisons et à discuter librement avec les détenus, une première en Tunisie, avant que la Croix-Rouge internationale ne prenne le relais. Bien que les rapports adressés au chef de l’État demeurent confidentiels, l’on sait qu’ils ont abouti à l’amélioration des conditions de détention, y compris de celles des prisonniers politiques. Le rôle de Driss, tenu par ailleurs au droit de réserve, n’a pas toujours été compris par une partie de la société civile. Parce que la presse lui a attribué une phrase selon laquelle les conditions de détention étaient acceptables, l’opposition parle « d’hôtels trois étoiles ». En fait, la citation semble avoir été sortie de son contexte, l’intéressé nous ayant confié que ses discussions avec le président Ben Ali à propos de sa mission ont toujours été « empreintes d’une grande franchise » et ont permis de « réaliser des acquis ». De Rachid Driss, on retiendra quelques leçons clés tirées de son expérience et que nous avons souvent retrouvées dans ses propos en privé : « Je milite, donc j’existe », « Il ne peut y avoir d’occupation sans qu’il y ait une résistance », « Si la sécurité est nécessaire pour que la liberté d’expression prospère, celle-ci est aussi une condition pour que la sécurité se stabilise. »
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