RAM : atterrissage d’urgence
Après un mois et demi de conflit et six grèves qui ont provoqué une pagaille indescriptible dans les aéroports cet été, les pilotes de ligne de la Royal Air Maroc sont enfin parvenus à trouver un accord de principe avec leur direction.
Le 4 septembre, au sortir d’une réunion conduite par le ministre des Transports Karim Ghellab, la direction du groupe Royal Air Maroc (RAM) et l’Association marocaine des pilotes de ligne (AMPL) se sont réjouies d’être parvenues à un accord de principe au terme de discussions menées dans « un climat positif et serein ». Tout est donc bien qui finit bien. Mais avant d’en arriver là, les pilotes ont engagé pas moins de six grèves en un mois et demi ! Des débrayages qui ont provoqué de belles pagailles dans les aérogares du pays. Il a fallu que la compagnie mobilise des pilotes non grévistes et loue des appareils à coups de millions d’euros pour assurer les vols. Retour sur la guerre des nerfs qui a animé les aéroports marocains cet été.
Au nom de la marocanisation
Le 17 juillet, l’AMPL lance un premier mouvement de grève. Sa revendication : la marocanisation des postes de commandant de bord sur Atlas Blue, filiale low cost créée en 2004. « Nous voulons que la priorité soit donnée aux compétences nationales. Il existe un important vivier de Marocains très bien formés qui sont contraints de rester copilotes sur la RAM, parfois pendant près de quinze ans », rappelle Najib El Ibrahimi, porte-parole de l’AMPL.
Le groupe RAM recrute en effet ponctuellement des pilotes sur le marché international pour faire face à la forte croissance de son activité et à la pénurie de personnel marocain. En 2006, il a cependant engagé un vaste programme afin d’accélérer la formation au sein de l’École marocaine des pilotes de ligne, fermée pendant plus de sept ans. Les effectifs de l’établissement ont doublé et la direction s’est dotée de dix nouveaux simulateurs de vol. Driss Benhima, patron de la compagnie, l’a rappelé : « La marocanisation reste un objectif permanent de la RAM. » Mais il refuse de s’excuser de recruter des pilotes étrangers. « Nous sommes une grande compagnie qui attire des étrangers d’excellent niveau. Est-ce un crime ? », s’interroge-t-il.
Pour la RAM, la grève, qui survient en pleine saison touristique et alors que la compagnie pâtit de la conjoncture internationale, est vécue comme une trahison. « Nous avons beaucoup souffert de ces débrayages, souvent lancés sans préavis ou annoncés quarante minutes seulement avant leur déclenchement », explique Rajaa Bensaoud, directrice de la communication de la compagnie.
Accusés de mettre en péril l’un des fleurons de l’économie nationale et de faire preuve d’antipatriotisme, les pilotes se défendent. « La grève était notre dernier recours, plaide El Ibrahimi. En 2007, nous avions porté des brassards en signe de protestation. En 2008, nous avons brandi des menaces de grève et nous avons même frappé à la porte du Premier ministre pour l’informer du malaise social que connaît notre profession. En vain… Quand nous avons appris, en juin, le recrutement de nouveaux pilotes étrangers, cela a mis le feu aux poudres. » Les pilotes votent donc la grève, bien décidés cette fois à aller jusqu’au bout.
La direction de la RAM se montre tout aussi déterminée à résister. « Notre priorité a été d’acheminer les passagers dans les plus brefs délais malgré une grève qui a immobilisé les deux tiers de la flotte », explique Bensaoud. La compagnie a pu assurer 85 % des vols en faisant appel à des pilotes non grévistes ou en recourant à des avions d’Atlas Blue. « 12 % à 15 % des vols ont été assurés grâce à des avions loués à d’autres compagnies, précise Bensaoud. Ce choix est le fruit d’un calcul économique : même si cela coûte entre 500 000 euros et 1 million d’euros par jour, c’est moins coûteux que d’héberger les passagers sur place. »
Colère des passagers
Malgré tous ces efforts, les passagers ont fait les frais des débrayages à répétition. « J’ai mis vingt-quatre heures pour faire Rome-Casablanca, dont trois heures dans un avion au sol », raconte Rita. À l’aéroport de Rabat, le 16 août, le vol pour Paris est reporté… de douze heures ! Les passagers qui avaient laissé un numéro de téléphone ont été prévenus à temps, les autres ont dû prendre leur mal en patience. « Je vais être obligée d’attendre ici toute la journée, soupire Nina, originaire de Fès, enceinte et accompagnée de son fils de 2 ans. Il n’y a même pas un endroit où s’asseoir. On ne nous a rien proposé à boire ou à manger. » À Casablanca, des passagers furieux en sont même venus aux mains, allant jusqu’à tenter d’empêcher l’embarquement d’autres vols. « Les grèves se succèdent et l’on ne voit toujours pas d’issue parce que chacun campe sur ses positions, déplore Mourad, trentenaire coincé depuis des heures à l’aéroport Mohammed-V. C’est un secteur stratégique pour notre économie, mais on préfère perdre de l’argent et donner une mauvaise image du Maroc aux touristes plutôt que de trouver une solution. Comment le conflit a-t-il pu s’enliser à ce point ? »
C’est la question que tout le monde se pose. Chez les pilotes, on accuse Driss Benhima de s’être enfermé dans sa tour d’ivoire. « Il s’est montré méprisant à notre égard et n’a cessé d’affirmer que la grève ne bloquait pas la RAM », s’insurge un pilote. À la RAM, on assure que la porte du dialogue est restée ouverte, mais que les grévistes ont fait preuve de démagogie. « La marocanisation est le porte-drapeau de nouvelles revendications qu’on essaie de rendre populaires », proteste Driss Benhima, accusant l’AMPL de chercher en réalité à exporter dans chaque filiale le statut, le salaire et les privilèges des commandants de bord de la RAM. Des arguments fallacieux, selon El Ibrahimi, qui estime que « la RAM préfère employer des pilotes étrangers moins qualifiés mais plus faciles à licencier ».
Si le gouvernement est resté à l’écart, arguant que ce conflit devait se régler en interne, les partis politiques n’ont pas tardé à s’en mêler et à brandir le thème ô combien populiste de la marocanisation. Pour le député PJD (islamiste) Lahcen Daoudi, « personne ne peut accepter que l’on recrute des étrangers au sein d’une compagnie nationale ». Côté Istiqlal, c’est la députée Khadija Zoumi qui est montée au créneau, adressant, avec quatre autres parlementaires, une lettre au Premier ministre dans laquelle elle apporte son soutien aux pilotes. Cela a-t-il contribué à faire céder Driss Benhima ?
Najib El Ibrahimi a une autre explication. « Fin août, nous sommes allés voir Fouad Ali El Himma, le patron du Parti Authenticité et Modernité [PAM]. Il nous a écoutés et a compris notre revendication. Il est ensuite intervenu en notre faveur, avec succès. » Une information que confirme un haut cadre du parti. « Nous n’avons pas voulu en faire état dans la presse, mais effectivement, le PAM a considéré qu’il était de son devoir de jouer un rôle de médiateur et de tout mettre en œuvre pour rétablir le dialogue. » Ajoutée à la lassitude et aux coûts induits par les débrayages, l’intervention de « l’ami du roi » semble avoir joué un rôle décisif dans le dénouement de cette affaire.
Comme par magie
Vers le 24 août, on s’achemine comme par magie vers une résolution du conflit, sous la houlette de Karim Ghellab. Pour le ministre, plus question de rester les bras croisés face au désastre. Son objectif est clair : mettre fin à la grève, alors que se profile une deuxième période de pointe avec le retour des Marocains résidant à l’étranger, le départ des étudiants à l’étranger et le pèlerinage de La Mecque.
C’est chose faite depuis le 4 septembre. « Nous sommes parvenus à un accord de principe sur les mécanismes de mise en œuvre de la marocanisation », assure Rajaa Bensaoud. D’autres réunions devraient avoir lieu courant septembre pour traiter les autres revendications des pilotes, qui concernent essentiellement la réglementation du travail des personnels de bord et les conditions de transfert des copilotes de la RAM au poste de commandant de bord sur Atlas Blue.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?