Hold-up à la Beac : les Nénuphars de Libreville
Un projet immobilier grandiose. Un montage financier douteux. Des banques complaisantes. Un chantier en panne… Et une forte odeur de blanchiment.
Une partie de l’argent détourné au bureau extérieur de la Beac à Paris a-t-elle été recyclée au Gabon ? Comment ne pas envisager cette hypothèse au vu des comptes et mécomptes de la société Les Nénuphars du Gabon II, mais aussi des étranges complaisances dont cette SCI a bénéficié de la part d’institutions a priori aussi établies que la BDEAC (Banque de développement des États de l’Afrique centrale) et la BGFIBANK ?
Créée à Libreville à la mi-2006, la SCI Les Nénuphars a dès l’origine une forte odeur de Beac. Son actionnariat est en effet réparti entre l’épouse d’Armand Brice Ndzamba – comptable au bureau extérieur de Paris et présenté comme l’homme clé des malversations commises entre 2004 et 2008 –, le père de cette dernière, exploitant forestier au Gabon, une proche parente, Mariette Ndzamba, et Maurice Moutsinga, à l’époque directeur central de la comptabilité de la Beac. La SCI dispose d’un patrimoine : un terrain de 2 hectares situé dans le quartier chic de la Sablière, acquis quelques mois plus tôt auprès de l’ex-Premier ministre gabonais Léon Mébiame pour 60 millions de F CFA (92 000 euros) et dans des conditions non encore élucidées. Un rapport confidentiel du contrôle général de la Beac, dont J.A. a obtenu copie, affirme en effet que ce terrain aurait été payé au cédant via sept chèques frauduleux émanant du bureau de Paris et établis au nom de l’épouse de Léon Mébiame… Cette SCI, qui dispose également de divers biens immobiliers de valeur moyenne, entend ériger à la Sablière deux immeubles de standing de seize appartements chacun, les premières mises en vente devant survenir dès le début de 2009. Coût global estimé de l’opération : 3,5 milliards de F CFA, soit 5,3 millions d’euros. Reste à dénicher le financement.
Au stade des fondations
Les Nénuphars ne tarderont pas à trouver preneurs. En moins de trois mois, Ndzamba et ses associés montent un business plan auquel participent sans rechigner la BDEAC pour 1,5 milliard de F CFA et la BGFIBANK pour 700 millions. Fin 2006, le conseil d’administration de la BDEAC approuve le prêt sans que le représentant de la Beac en son sein, le Congolais Clément Mouamba, ne trouve quoi que ce soit à redire. Début mai 2008, un premier déblocage de fonds de 520 millions de F CFA survient. Quant aux éventuels décaissements de la BGFI, ils ne sont pas, à l’heure actuelle, connus.
Pourquoi la BDEAC, que préside l’ancien Premier ministre centrafricain Anicet-Georges Dologuélé, personnalité intègre et prudente, lui-même ancien responsable du bureau de Paris de la Beac au milieu des années 1990, a-t-elle si aisément accordé ce prêt ? Sur le papier, le projet était, il est vrai, défendable. Créateur d’emplois dans une capitale qui connaît un fort déficit en logements, il bénéficiait, au titre des garanties, de la caution solidaire et personnelle d’Armand Brice Ndzamba, lequel présentait un patrimoine immobilier évalué à 1,4 milliard de F CFA (un peu plus de 2 millions d’euros).
Le problème est que cette dernière précision n’a étonné personne. 1,4 milliard, c’est considérable pour un cadre moyen de la Beac, à qui les statuts de son employeur interdisent d’exercer une activité lucrative extérieure. Un peu de curiosité aurait en outre mené les prêteurs à s’interroger sur les étranges similitudes entre le numéro de compte de la SCI Les Nénuphars à la Société générale, agence des Champs-Élysées à Paris, et celui qui est ouvert au nom du bureau extérieur de la Beac en France auprès de la même agence. Enfin, un minimum de perspicacité aurait dû conduire les banques à se poser des questions sur l’identité du gérant de la société Ruby distribution et service, domiciliée à Libreville, qui procédait à des règlements pour le compte de la SCI Les Nénuphars et qui n’était autre qu’une des filiales de la société Ruby Export, appartenant à… Armand Ndzamba.
Plus de deux ans et demi après la conclusion de l’accord de prêt entre la Banque de développement et la SCI, la situation du projet telle que décrite fin juin par une mission du contrôle général de la Beac était la suivante : « Des sommes très importantes ont été débloquées, notamment pour la couverture des dépenses engagées par la SCI pour le démarrage des travaux. Les contrôles de vraisemblance effectués sur place par la BDEAC relèvent une situation préoccupante dans la mesure où les factures présentées par la SCI pour justifier les règlements qu’elle aurait effectués sont douteuses. Les matériels qui devaient se trouver sur le chantier sont introuvables. Les travaux sont demeurés au niveau de la fondation. »
Présenté il y a peu encore sur le site de la BDEAC comme un exemple de prêt direct au secteur privé, entrant dans le cadre de la « stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté » du Gabon, Les Nénuphars de Libreville ont décidément bien mauvaise mine. Réuni fin août à Yaoundé, le comité d’audit de la Beac a recommandé l’ouverture d’une action en justice contre la SCI et ses propriétaires. Il n’est jamais trop tard…
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