Exclusif : hold-up à la BEAC
Trente millions d’euros (19 milliards de F CFA) au minimum ont été détournés au bureau extérieur de Paris de la Banque des États de l’Afrique centrale entre 2004 et 2008. Comment ? par qui ? et pour le compte de qui ? Révélations sur un scandale.
Au 48 de l’avenue Raymond-Poincaré, au cœur du triangle d’or de l’Ouest parisien, en face d’une brasserie pompeusement dénommée Seizième Avenue, il est un hôtel particulier que les passants remarquent à peine, tant il ressemble aux autres. Depuis un peu plus de deux ans, la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), banque centrale commune aux six pays de la région dont le siège est à Yaoundé, au Cameroun, a installé dans ce petit immeuble de deux étages les locaux de son bureau extérieur de Paris, le BEP. Jusqu’à la mi-2007 et depuis sa mise en place en 1972, le bureau de Paris de la Beac avait ses quartiers rue du Colisée, dans le 8e arrondissement. Deux adresses à la fois chics et discrètes, que relie un même fil rouge : celui du scandale.
Une vilaine affaire de linge sale s’étalant sur une dizaine d’années (au minimum) et que les dirigeants de l’Afrique centrale auraient sans doute préféré laver en famille, tant ses implications sont potentiellement dommageables pour la crédibilité de leur coffre-fort commun. Mais les secrets d’État n’ont qu’un temps, et celui-là n’aura pas résisté longtemps à la disparition du « parrain » de la Beac, qui faisait régner sur l’institution une omerta digne d’un clan sicilien : Omar Bongo Ondimba.
À dire vrai, l’image de la Banque centrale, jusque-là réputée sérieuse et prudente, a pris un méchant coup de griffe dès avant la mort du président gabonais. Fin 2008, en pleine tourmente financière internationale, on apprenait ainsi que la Beac avait perdu 16,4 milliards de F CFA (25 millions d’euros) à la suite d’un placement aussi toxique que hasardeux effectué auprès de la Société générale. Commandité par les chefs d’État des pays membres, un rapport d’audit du cabinet français Mazars a depuis fait partiellement la lumière sur cette affaire : mal conseillé par l’un de ses directeurs centraux, le gouverneur de la Banque, le Gabonais Philibert Andzembé, en poste depuis juillet 2007, se serait en quelque sorte « fait avoir » par la Société générale1.
Décisions attendues des chefs d’État
Pas coupable donc, mais tout de même responsable et quelque peu fragilisé par cette perte sèche, Andzembé n’est pas sûr d’aller jusqu’au bout de son mandat, lequel s’achève en principe en 2014. Ce sera aux chefs d’État d’en décider. Or quelques-uns parmi eux – notamment l’Équato-Guinéen Obiang Nguema, le Camerounais Paul Biya et le Tchadien Idriss Déby Itno – sont bien décidés à profiter de l’occasion (ainsi que de la nouvelle donne ouverte par la disparition du « doyen » Bongo) pour faire sauter le « consensus de Fort-Lamy » qui, depuis trente-cinq ans, attribue le fauteuil clé de gouverneur à un citoyen gabonais. Cette question cruciale sera au cœur de leur prochain sommet, fin novembre, à Bangui.
C’est en enquêtant, début 2009, sur ce qu’il est convenu d’appeler au sein de la Beac « l’affaire du Dati » (le nom du placement toxique) que J.A. a peu à peu découvert la face cachée de l’iceberg. « Le Dati, c’est une grosse bêtise comme beaucoup de banques en ont commis, mais il n’y a a priori rien là-dedans de délictueux, nous confiait alors l’une de nos sources. Intéressez-vous plutôt au bureau de Paris. Vous verrez, c’est le jackpot. »
Première remarque : les conditions de l’achat, en 2006, de l’immeuble en brique rouge de l’avenue Raymond-Poincaré paraissent aussi étranges que l’identité de son ex-propriétaire. Deuxième piste : à bien observer l’organigramme de la Beac, le bureau parisien jouit d’un statut très particulier. Il est le seul de tous les centres extérieurs de la Banque à être rattaché directement au gouverneur. Il dépend exclusivement du « patron » et son directeur bénéficie du titre de « délégué du gouverneur ». Or le rôle de ce bureau, qui jouit d’un statut diplomatique et emploie ordinairement une demi-douzaine de personnes, est loin d’être négligeable. Outre une fonction de représentation auprès de la Banque de France et des diverses banques partenaires françaises, le BEP gère la logistique des agents en mission et fait office de bureau d’achat, tant pour le siège de Yaoundé que pour les six directions nationales et la vingtaine d’agences et de centres de la Beac. Une singularité imposée il y a trente ans par la partie gabonaise – qui faisait alors la pluie et le beau temps à la Beac – pour des raisons de confidentialité, pour ne pas dire d’opacité, et qui est directement à l’origine des graves dérives constatées dans la gestion récente (et sans doute ancienne) de ce sanctuaire parallèle qu’est le bureau de Paris.
Selon notre enquête, appuyée sur plusieurs témoignages ainsi que sur des rapports confidentiels internes à la Beac, dont J.A. s’est procuré copie, le bureau de Paris a fonctionné pendant la période que nous avons pu auditer, soit de début 2004 à mi-2008, comme une machine folle à détourner des fonds. Des fonds injectés depuis le siège de Yaoundé sur les comptes parisiens du bureau (à la Société générale jusqu’en décembre 2007, à la BNP Paribas ensuite) sans restriction ni la moindre interrogation quant aux besoins réels. Au total, en moins de quatre ans, ce sont 19 milliards de F CFA, soit près de 30 millions d’euros, qui ont ainsi été détournés. Les procédures suivies relèvent du manuel du parfait escroc : fausses signatures de chèques, détournements de chèques, doubles paiements, falsifications de relevés bancaires, maquillage d’écritures comptables…
De 2004 à juillet 2008, 2 400 chèques frauduleux ou suspects ont ainsi été émis sur les comptes du bureau extérieur de Paris, 38 virements suspects ont été repérés et 1 298 retraits en liquide non reversés et non enregistrés dans le livre de caisse ont été effectués. De quoi donner le vertige, surtout quand on imagine que cette pompe à finances n’avait aucune raison de ne pas fonctionner depuis beaucoup plus longtemps, sans que l’on sache encore comment remonter une filière dont bien des traces ont été effacées.
L’une des surprises de ce scandale réside dans sa parfaite notoriété, au sein même des cercles dirigeants de la Beac, depuis plusieurs années. Dès avril 2004 en effet, une mission d’enquête interne dénonçait les insuffisances et les dysfonctionnements inquiétants du bureau de Paris, sans que son rapport remis au gouverneur de l’époque, le Gabonais Jean-Félix Mamalepot, ne soit suivi d’effets. Il faudra attendre décembre 2008 et l’atmosphère délétère créée par l’affaire du placement Dati pour que son successeur, Philibert Andzembé, se décide enfin à déposer, via le cabinet d’avocats français Feneon spécialisé dans les contentieux, le recouvrement et les procédures arbitrales en Afrique, une première plainte auprès de la brigade des fraudes de la préfecture de Paris, puis une autre en avril 2009. Le problème est que ces plaintes ont été déposées contre X, alors que ces X, on le verra, étaient pour certains d’entre eux parfaitement identifiés et en fuite hors du territoire français. Pourquoi ne pas avoir esté en justice à Libreville, où réside désormais celui qui est présenté comme le principal suspect ? Mystère2.
Rapports accablants
Début 2009, le conseil d’administration de la Beac, réuni à Bata, se saisit enfin du dossier sous la pression du président Obiang Nguema. Une mission de contrôle du comité d’audit sur les malversations présumées commises à Paris est nommée. Elle se compose de sept membres, dont le directeur du budget équato-guinéen, Miguel Egonga Obiang, qui la préside et un haut cadre de la Banque de France, Philippe Agoutin. Son rapport, remis le 22 mai, est accablant. Aussitôt, la direction du contrôle général de la Beac dépêche à Paris une mission d’audit complémentaire, pilotée par l’ancien ministre centrafricain des Finances, Théodore Dabanga, avec pour objectif d’établir précisément les responsabilités. Son « Rapport provisoire d’enquête sur les détournements de fonds au bureau extérieur de Paris » est achevé le 20 juillet 2009 et déposé sur le bureau du gouverneur. Il est précis, donne des noms, publie une première liste de chèques frauduleux, mais s’arrête curieusement en cours de route. Si l’ancien patron de la Beac, de 1990 à 2007, Jean-Félix Mamalepot, est sur la sellette, rien n’est dit des éventuelles responsabilités de l’actuel titulaire du poste, Philibert Andzembé, alors même que l’activité frauduleuse de la mafia du 48, avenue Raymond-Poincaré s’est poursuivie sous son mandat pendant au moins une année. Un « oubli » qui devrait être réparé dans le rapport final du comité d’audit – organisme indépendant du gouvernement de la Banque – attendu fin octobre.
Si l’on en croit les documents auxquels J.A. a eu accès, la liste des personnes concernées par le scandale du BEP se décompose en deux catégories : les présumés bénéficiaires et les présumés responsables. Certes, les rapports Obiang et Dabanga sont à ce sujet extrêmement pointus et accusateurs, mais en attendant que la justice, si elle est un jour saisie, tranche sur la culpabilité de chacun, on se contentera d’évoquer les lourds soupçons que font peser sur plusieurs responsables passés ou présents de la Beac les enquêtes internes diligentées par les services spécialisés de la Banque elle-même. À noter que, sur les 30 millions d’euros détournés, seuls 7 millions à peine ont pour l’instant été « tracés » avec certitude, de la source à l’embouchure si l’on peut dire.
Où sont passés les 23 millions restants ? Dans la multitude de chèques, de virements et de retraits suspects dont J.A. détient la liste et – partiellement – l’identité des bénéficiaires, mais pas seulement. Sommées de collaborer, la BNP et surtout la Société générale se font en effet un peu tirer l’oreille pour remettre au contrôle général de la Beac, et au cabinet Mazars qui l’assiste, le relevé complet et précis des mouvements et des « images chèque » initiés et émis par le BEP. Délivrées au compte-gouttes, ces précieuses informations transitent en outre par… le bureau extérieur de Paris, qui les expédie à Yaoundé. Un circuit qui n’est pas a priori le plus simple, ni le plus sûr. Revue de détail…
Armand Brice Ndzamba, 43 ans, gabonais, comptable du bureau extérieur de Paris de février 1994 à début 2009. Aujourd’hui suspendu, il a discrètement quitté la France en mai 2009 et vit depuis à Libreville. Selon les rapports d’enquête, il serait l’homme clé de l’affaire. Très actif au sein de la section parisienne du Parti démocratique gabonais (PDG) au pouvoir et se présentant comme proche d’Ali Bongo Ondimba, ce Punu marié à une Française était considéré comme un intouchable. Lui seul maîtrisait la comptabilité (et le logiciel comptable) du BEP. L’unité centrale de son ordinateur a d’ailleurs disparu.
Les différents rapports d’enquête l’accusent d’avoir émis près de trois cents chèques frauduleux à la signature contrefaite entre 2004 et 2008 à partir du compte du BEP auprès de l’agence Champs-Élysées de la Société générale, pour un montant global d’un peu plus de 6 millions d’euros. Ces chèques étaient libellés à son nom propre, à celui de son épouse ou au nom de l’une des sociétés dont il était le gérant. En violation des statuts de la Beac qui interdisent à ses agents toute activité commerciale, Ndzamba contrôlait en effet une demi-douzaine de sociétés (Ruby Car, Ruby Export, Ruby Phone, Ruby Gestion, etc.) qui étaient devenues peu à peu des fournisseurs prioritaires de la Beac.
Une activité qui lui a permis d’investir au Gabon dans un projet immobilier (voir p. 31) et d’arrondir substantiellement ses revenus. Rémunéré 3 000 euros par mois en tant qu’agent d’encadrement moyen, Armand Ndzamba était en effet assujetti en France à l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune, réservé aux gros contribuables ! Particulièrement visé par les rapports d’enquête, qui n’hésitent pas à lui reprocher en sus le détournement de cotisations sociales, Ndzamba aurait bénéficié de la complicité active de la propre secrétaire du délégué du gouverneur, Marie-France Robert, une Franco-Congolaise démissionnaire fin 2008 et installée depuis au Maroc, laquelle aurait reçu un demi-million d’euros en chèques frauduleux et divers voyages pour ses bons services.
Roger Kemadjou, camerounais, délégué du gouverneur au BEP de 1998 à 2008, puis directeur adjoint aux relations internationales de la Beac à Yaoundé. Ce cadre de la banque depuis trente ans était en théorie le supérieur hiérarchique d’Armand Ndzamba. En pratique, comme l’écrit le rapport Dabanga, « sa gestion a été marquée par une démission qui a coûté environ 18 milliards de pertes à la Banque ». Constamment court-circuité par son collaborateur, il n’était, jure-t-il, « au courant de rien », et encore moins du fait que sa signature aurait été imitée au bas de plusieurs centaines de chèques au minimum.
Interrogé par les enquêteurs de la Beac le 18 juin 2009, il répond : « Ma plus grosse erreur, c’est d’avoir fait trop confiance. Je me suis trompé. Je le regrette beaucoup. Je n’aurais jamais imaginé cela à quelques années de ma retraite. » Selon les missions d’enquête, Kemadjou aurait bénéficié de quelques chèques et virements frauduleux pour un montant relativement modeste (14 000 euros), ce qu’il ne reconnaît pas. Il fait actuellement l’objet d’une procédure disciplinaire au sein de la Banque, qui a débouché, à titre provisoire, sur sa suspension.
Gaston Sembo-Backonly, centrafricain, 51 ans, adjoint au délégué du gouverneur à Paris de 2000 à 2009, suspendu depuis le 31 juillet 2009 par le conseil de discipline de la Beac. Motif : il aurait bénéficié lui aussi de chèques frauduleux pour un montant de 139 000 euros. Dans un long mémo en forme de plaidoirie, ce handicapé des membres inférieurs qui vit toujours en région parisienne s’explique : « J’ai assisté impuissant aux dérives », affirme-t-il. Il parle de « machination » dont il serait « la victime expiatoire », de « chèques déposés sur [son] compte à [son] insu », de « menaces » subies, de l’incendie criminel de son véhicule, etc.
En conclusion, ce cadre de la Beac depuis vingt ans qui n’hésite pas à mettre en cause directement les plus hauts dirigeants de la Banque « implore la compréhension » du conseil de discipline et le « supplie » de le conserver comme agent. Son souhait le plus cher : être affecté chez lui, à Bangui.
Maurice Moutsinga, gabonais, directeur de la comptabilité et du contrôle budgétaire au siège de la Beac à Yaoundé de 2000 à décembre 2007, à la retraite depuis. Il était de facto l’officier traitant d’Armand Ndzamba, auquel il est apparenté et dont il est le partenaire au sein de la société civile immobilière Les Nénuphars, à Libreville (voir p. 31). La commission d’enquête de la Beac le considère donc comme professionnellement responsable « des fausses informations comptables entretenues dans les comptes de la Banque sur la période en revue » ainsi que « des opérations de régularisation tendancieuses offrant à M. Ndzamba l’occasion de valider ces irrégularités ». Sur le plan personnel, Moutsinga aurait lui aussi bénéficié de chèques frauduleux pour un montant minimal de 54 000 euros, selon les rapports.
Gata Ngoulou, tchadien, secrétaire général de la Beac de 1998 à 2008 et actuel ministre des Finances et du Budget du Tchad. Souvent présenté comme l’éminence grise de l’ex-gouverneur Mamalepot, ce proche d’Omar Bongo Ondimba et d’Idriss Déby Itno, qui a négocié l’achat des nouveaux bureaux de la Banque à Paris, est un homme à la fois intelligent et honnête. S’il ne s’est pas personnellement enrichi, il n’en assume pas moins une vraie responsabilité dans les dysfonctionnements d’un système qu’il gérait en grande partie – pour le compte de qui ? Les approvisionnements massifs et sans commune mesure avec les besoins réels du bureau extérieur de Paris, initiés par les responsables de ce dernier, étaient en effet validés par lui, avant qu’il n’instruise la direction de la comptabilité d’exécuter les transferts de fonds3.
Pourquoi ne s’est-il jamais soucié de l’utilisation de cette manne financière providentielle dont ont profité les fraudeurs ? Plus ennuyeux : Gata Ngoulou a, selon des documents en notre possession, passé directement des commandes aux sociétés Ruby Export et Smartrade Company alors qu’il n’était pas sans savoir l’identité de leur gérant, Armand Ndzamba. Il ne s’est pas, non plus, inquiété de l’existence, parmi les partenaires du BPE, de sociétés-écrans telle la mystérieuse TFCE.
Jean-Félix Mamalepot, gabonais, 69 ans, gouverneur de la Beac de 1990 à mi-2007, actuel président du conseil d’administration de la Caisse d’assurance maladie du Gabon. « L’homme de Bongo » à la Banque centrale n’a en rien profité des détournements, mais il a été aveugle et sans doute obéissant. Avec ses multiples déplacements professionnels à Paris, il ne pouvait pas ne pas être au courant des graves dysfonctionnements qui minaient le bureau extérieur, lequel lui était directement rattaché. En dépit des rapports alarmants qui lui ont été remis (en particulier celui de 2004), il n’a pris aucune mesure vigoureuse pour y mettre un terme, et a maintenu en poste son délégué malgré toutes ses carences. Pourquoi ?
Rigobert Roger Andely, 56 ans, congolais, ancien ministre des Finances et vice-gouverneur de la Beac depuis 2005. Particulièrement laconique à son sujet, le rapport Dabanga estime qu’il partage dans cette affaire « les mêmes responsabilités que le gouverneur ». Une affirmation qui a suscité une réponse cinglante de l’intéressé. Le BEP, explique Andely dans un mémorandum confidentiel adressé au contrôle général et dont J.A. s’est procuré copie, « était un sanctuaire où ni le vice-gouverneur ni le contrôle général ne pouvaient intervenir ». Ce qui est exact. Il n’empêche : même si les rapports provisoires n’ont relevé à son sujet aucune implication dans les malversations commises ni aucune participation dans le réseau mafieux interne à l’origine des détournements au BEP, Andely n’en assume pas moins une part de responsabilité administrative en tant que haut dirigeant d’une banque dont il a été le gouverneur par intérim en mai-juin 2007. Il figure donc, aux côtés de Jean-Félix Mamalepot et Philibert Andzembé, sur la liste complémentaire des personnalités qui devront être interrogées par le comité d’audit.
Philibert Andzembé, 53 ans, gabonais, gouverneur de la Beac depuis juillet 2007. Si son honnêteté personnelle n’est pas en cause, ce très proche du nouveau président Ali Bongo Ondimba a fait preuve d’une évidente légèreté. La « machine à frauder » du BEP a en effet continué à fonctionner en 2008 et jusqu’au début de 2009, via le compte ouvert à la BNP Paribas4. Trois missions d’inspection ont certes été dépêchées, sur son ordre, en juillet et novembre 2008, puis en juin 2009, par le successeur de Maurice Moutsinga à la direction centrale de la comptabilité, le Gabonais Jacques Nsolé, mais elles ont débouché sur des régularisations minimisant le montant des pertes. Dans un mémo en date du 28 juillet 2009, l’un des inspecteurs membres de ces missions, le Tchadien Jacob Bermendara, évoque les blocages et les obstructions émanant selon lui du gouverneur de la Banque afin de limiter le champ de ses investigations.
Le dernier conseil d’administration de la Beac, le 28 août à Douala, a explicitement exigé la poursuite des enquêtes pour que toute la lumière soit faite. On sait aussi que plusieurs chefs d’État de la région, dont Paul Biya, Teodoro Obiang Nguema et Denis Sassou Nguesso – qui prendra en 2010 la présidence de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale –, ne seraient pas mécontents que le ménage soit fait. À leurs yeux, ce que relève le comité d’audit de la Beac dans son rapport du 22 mai 2009 – à savoir l’omniprésence de ressortissants gabonais au sein de la chaîne de décision et d’exécution financière interne de la Banque – est une évidence. « Les affinités nationales ont joué un rôle dans les dérives constatées au bureau extérieur », souligne ainsi le comité, qui précise : « Le gouverneur, le directeur de la comptabilité, le directeur adjoint de la comptabilité, le comptable du bureau extérieur étaient de la même nationalité. »
L’heure du grand déballage des comptes de la Beac serait-elle venue ? Ce n’est pas sûr, tant ce dossier explosif est lourd d’implications sur la très délicate succession d’Omar Bongo Ondimba… En attendant, placé sous la houlette d’un nouveau responsable, le Gabonais Jean-Marie Ogandaga Ndinga, le bureau extérieur de Paris joue désormais profil bas. L’hémorragie a certes été stoppée et la gestion redressée, mais le traumatisme demeure vivace. « Sachez que nous n’avons que peu de moyens », expliquait il y a peu le délégué du gouverneur à l’un de ses fournisseurs. Sage précaution…
1. La Société générale n’a toujours pas remis à la Beac un rapport de liquidation complet sur cette affaire. Les sous-jacents du placement toxique, par exemple, ne sont pas connus.
2. Depuis, et sur pression du conseil d’administration de la Beac, Interpol a été saisie à l’encontre de deux des principaux responsables des détournements, et une société de recouvrement, Recovery Square, a été mandatée.
3. De 2004 à 2008, plus de 55 millions d’euros ont été transférés depuis Yaoundé sur les comptes parisiens du BEP, avec un pic entre 2005 et 2007 (44 approvisionnements en 2006 pour un montant de 13,5 millions d’euros, 2006 étant par ailleurs l’année record pour les détournements).
4. Sur les 19 milliards de F CFA détournés au bureau de Paris, 16,5 l’ont été sous la gouvernance de Mamalepot et 2,5 sous celle d’Andzembé.
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