Israël-Afrique : opération séduction pour Lieberman

Un timing incertain, une distribution sulfureuse. Alors que la guerre de Gaza est encore dans les esprits et que les rapports entre Tel-Aviv et l’Autorité palestinienne se tendent, la tournée africaine d’Avigdor Lieberman, régulièrement stigmatisé pour ses saillies racistes, ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices. Pourtant, la première visite d’un chef de la diplomatie israélienne en Afrique subsaharienne depuis près de vingt ans s’est déroulée sans incident. Mieux, le ministre des Affaires étrangères, contesté jusque dans les rangs de sa majorité, est revenu avec des contrats signés. Rien de sensationnel, mais des accords symboliques qui confirment le processus de normalisation entre Israël et l’Afrique amorcé au début des années 1990.

Pour son premier déplacement, le bouillant Lieberman avait choisi l’Éthiopie, le Kenya, le Ghana, le Nigeria et l’Ouganda. Accompagné d’une délégation d’une vingtaine de fonctionnaires et d’hommes d’affaires, il aura passé neuf jours dans ces cinq pays – à titre de comparaison, la récente tournée africaine de la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton avait, elle, duré onze jours (pour sept pays visités), et celle du président chinois Hu Jintao, en février dernier, cinq jours (quatre pays).

Pour Lieberman, seule l’annulation de l’étape en Angola, officiellement pour « divergences d’agendas », a pu apparaître comme un léger couac. Cela n’a pas empêché le moins diplomate des ministres israéliens de célébrer la « réconciliation » entre Israël et l’Afrique.

Reconnu par une trentaine de capitales africaines au milieu des années 1960, l’État hébreu avait fait l’objet d’un ostracisme diplomatique quasi complet au lendemain des guerres israélo-arabes de 1967 et 1973. Aujourd’hui, une douzaine de pays du continent entretiennent des relations diplomatiques avec lui, malgré les diatribes anti-israéliennes du « Guide » libyen, Mouammar Kadhafi, président en exercice de l’Union africaine. « Je tends une main fraternelle à tous les pays et les appelle à travailler main dans la main avec nous », a déclaré Lieberman au Nigeria, après la signature d’un accord sur la sécurité alimentaire avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

De fait, même lorsque les relations politiques étaient au plus bas, les échanges commerciaux n’ont jamais cessé. Ils ont atteint près de 3 milliards de dollars en 2008. Pour l’Afrique, l’expertise technologique israélienne est particulièrement précieuse, que ce soit en matière agricole et hydraulique ou de sécurité et de défense. L’existence de communautés juives en Éthiopie (les Falashas), au Nigeria ou en Ouganda explique aussi la solidité des liens israélo-africains.

Mais, bien qu’accompagné de chefs d’entreprise (les secteurs de l’agriculture, de l’énergie, du transport maritime, de l’aéronautique, des chantiers navals et des technologies de l’information étaient représentés), de membres du Sibat (l’agence d’export et de coopération du ministère de la Défense) et de la société de sécurité Silver Shadow, le faucon Lieberman n’est pas venu que pour irriguer des champs, célébrer l’histoire ou vendre des Uzi. Il est aussi venu constituer un cordon sanitaire anti-iranien : à l’ONU, chaque voix compte pour accroître la pression sur le programme nucléaire de Téhéran.

Enfin, et c’est sans doute le plus discret mais le principal volet de la tournée de Lieberman, l’islamisme radical, désormais solidement implanté en Afrique orientale, alarme Israël. Les services de renseignements occidentaux observent avec inquiétude la mouvance salafiste prospérer en Somalie et se répandre dans les pays limitrophes, dont l’Éthiopie et le Kenya, qui ont déjà été le théâtre de spectaculaires opérations terroristes. Nul doute qu’Avigdor Lieberman et les responsables sécuritaires et paramilitaires qui l’accompagnaient sont revenus de ce périple avec de précieux renseignements dans leur besace.