L’Egypte exporte ses best-sellers

Le succès phénoménal de L’Immeuble Yacoubian, du dentiste-écrivain Alaa el-Aswany, n’est pas un cas isolé. Les héritiers de Naguib Mahfouz séduisent un large lectorat, bien au-delà de leurs frontières.

Publié le 10 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Leurs livres se vendent à des dizaines de milliers d’exemplaires, leurs romans sont publiés en feuilletons dans les journaux, ils sont abondamment traduits, ils ont des fans dans le monde entier… et ils vivent en Égypte ! Ces trois dernières années, après la mort du pharaon littéraire Naguib Mahfouz en août 2006, est apparue une nouvelle génération d’écrivains qui, non seulement plaisent aux critiques, mais atteignent aussi des records de ventes. Une nouveauté dans un pays où les livres sont chers et la population peu habituée à lire des romans.

Le premier à bousculer le milieu de l’édition a été Alaa el-Aswany, avec L’Immeuble Yacoubian, publié en 2002 en Égypte et en 2006 en France : 1 million d’exemplaires vendus, toutes langues confondues (19 traductions à ce jour), et une adaptation cinématographique avec une brochette de stars comme les acteurs Adel Imam et Yousra. Le succès, depuis, ne quitte plus Aswany, dentiste de son état : Chicago, publié en 2006 en Égypte et sorti en 2007 dans l’Hexagone, flirte aussi avec le million d’exemplaires et ses droits audiovisuels ont déjà été achetés.

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Néanmoins, le succès de L’Immeuble Yacoubian s’est bâti par étapes : d’abord publié par une petite maison d’édition, le roman a bénéficié du bouche à oreille et il a fallu attendre sa troisième édition, par la célèbre maison Dar al-Chourouk (l’une des plus importantes du monde arabe), pour que le « phénomène Aswany » se propage vraiment. Youssef Zidane, lui, a connu un succès fulgurant et immédiat avec Azazil (Dar al-Chourouk), qui s’est vendu à 40 000 exemplaires en quelques semaines et a obtenu en 2008 le « Booker Prize arabe » (créé en association avec la Booker Prize Foundation, dans la foulée de la Foire internationale du livre d’Abou Dhabi, et doté de 50 000 dollars). Youssef Zidane, que certains dans le monde arabe ont déjà surnommé le « Umberto Eco égyptien », a situé son roman au IVe siècle, lors du conflit entre l’Église d’Alexandrie et l’Église d’Antioche. Un thriller historique haletant et érudit qui a conquis les lecteurs. Enfin, le dernier best-seller en date s’appelle Taxi (Dar al-Chourouk) de Khaled ­al-Khamissi (voir 3 questions à…). Lui a su saisir les attentes du public et mettre en œuvre de vastes moyens pour assurer la promotion du livre. Plus de 100 000 exemplaires de Taxi ont déjà été écoulés en Égypte et une trentaine de sketches pour la télévision ont été tirés de l’ouvrage. Il vient d’être publié en français. « Je croise les doigts pour lui », plaisante Farouk ­Mardam-Bey, le directeur de la collection Sindbad chez Actes Sud (qui publie aussi Aswany). « Avant, pour un auteur arabe, quand on écoulait 5 000 exemplaires, on était contents ! Passage des miracles, de ­Mahfouz, a atteint les 45 000 volumes avec dix rééditions depuis 1971… Et dépasser 100 000 exemplaires en Égypte, c’est exceptionnel. » Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature en 1988, n’a jamais vendu autant. 

Nouvelle génération

« C’est un phénomène récent, poursuit Farouk Mardam-Bey. On observe l’émergence d’un lectorat nouveau : jeune, instruit et très sélectif dans ses choix. Il y a aussi une nouvelle génération d’écrivains dont certains sont vraiment excellents. Je vais d’ailleurs bientôt publier l’un d’entre eux, Ahmed al-Aïdi, qui a écrit Être Abbas al-Abd, un petit livre de 100 pages, drôle, au ton nouveau. » Dans la génération montante, on peut encore citer le journaliste Hamdi al-Gazzar, né au Caire en 1970. En 2005, il sort un premier roman remarqué par la critique, Magie noire, qui obtient en 2006 le prix de la Fondation Sawiris pour le développement social (100 000 livres égyptiennes). Son deuxième opus, Plaisirs secrets, qui évoque des aventures extraconjugales au sein de la classe moyenne, connaît aujourd’hui un grand succès en Égypte et dans le monde arabe.

Alors, pourquoi et comment les Égyptiens écrivent-ils des best-sellers ? Dans la veine d’une littérature humaniste et engagée, Aswany et Khamissi se sont faits les chroniqueurs du peuple. Dans la droite ligne de Mahfouz, ils font de l’homme de la rue un héros. Et les lecteurs s’identifient. « Aswany est un formidable conteur, analyse Farouk Mardam-Bey. Il croque les situations humaines avec talent. En 300 pages, il raconte les vies de personnages issus de classes sociales très différentes, tout en critiquant le pouvoir et en évoquant des sujets tabous comme l’homosexualité, la poussée de l’islamisme, la torture dans les prisons… bref, les problèmes de l’Égypte d’aujourd’hui. Tout cela dans une forme très agréable à lire. Beaucoup d’écrivains arabes travaillent trop leurs textes, ils sont enchaînés par des théories littéraires qui les éloignent du public populaire. Taxi, c’est d’abord facile à lire et bourré d’humour. Le livre dresse aussi un tableau percutant de la société, sous une forme inattendue, entre littérature et enquête de terrain. Enfin, Azazil a eu du succès car, bien écrit, il a soulevé la polémique : il a été attaqué par l’Église copte pour atteinte à la religion chrétienne. Du coup, les gens l’ont aussi acheté par curiosité ! » 

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Public populaire

Pour l’éditeur français, « l’Égypte connaît une situation nouvelle dans l’édition : maintenant, tout le monde rêve d’écrire un best-seller ! Avant, ce n’était pas dans la mentalité des écrivains, qui préféraient s’adresser à un public trié sur le volet. Aujourd’hui, tous veulent s’adresser au public populaire, touché jusqu’ici essentiellement par les livres religieux ». Sans compter que le succès national entraîne généralement une reconnaissance internationale. Une attachée de presse parisienne confirme : « Il y a un vrai engouement pour la littérature arabe en général – avec la création de la Foire du livre d’Abou Dhabi, du Booker Prize arabe –, et égyptienne en particulier. Andrew Wylie, l’un des agents littéraires les plus puissants – qui s’occupe notamment d’Orhan Pamuk et de V.S. Naipaul –, vient de faire entrer Alaa el-Aswany dans son écurie. C’est un signe qui ne trompe pas. Les agents sont à l’affût des talents arabes. » De son côté, le dentiste-écrivain du Caire gère son succès avec philosophie : « Après L’Immeuble Yacoubian, j’ai arrêté d’écrire pendant un an. J’avais ce succès énorme dans la tête. Je craignais d’être paralysé par la peur de l’échec ou, pire, de reproduire la même formule… Lorsque le calme est revenu dans mon esprit, je me suis remis à écrire ce que je ressentais. Et non ce que les gens attendaient de moi. »

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