Japon : tsunami électoral
Déroute des conservateurs du PLD, au pouvoir depuis 1945… Triomphe des démocrates du PDJ… Les électeurs ont spectaculairement manifesté leur volonté de changement. La situation économique étant ce qu’elle est, il sera difficile de ne pas les décevoir.
Un saut dans l’inconnu. D’ordinaire si prudents, les électeurs japonais ont, pour la première fois, choisi de faire confiance à l’opposition. La victoire du Parti démocrate du Japon (PDJ), la formation de centre gauche conduite par Yukio Hatoyama, met fin à cinquante-quatre ans de pouvoir conservateur. Elle prend même des allures de triomphe : avec 308 sièges à la Chambre basse, soit 67 de plus que la majorité absolue, les démocrates triplent leur score de 2005, tandis que leurs adversaires du Parti libéral démocrate (PLD) passent de près de 300 à 119 sièges.
Le Premier ministre, Taro Aso, dont les bourdes à répétition ont considérablement nui à l’image de son parti, a immédiatement annoncé son retrait de la vie politique. Il n’est pourtant pas l’unique responsable de la déroute. Shinzo Abe et Yasuo Fukuda, ses éphémères prédécesseurs, y ont indiscutablement leur part. Mais il incarnait jusqu’à la caricature les travers d’une formation usée jusqu’à la corde, en panne de leader et d’imagination, incapable de prendre la mesure des maux profonds de l’économie et de la société.
Car il ne faut pas s’y tromper. Le vote du 30 août est avant tout un rejet du PLD. Un plébiscite pour le changement plus que pour Hatoyama et son parti. C’est qu’à l’instar de la plupart des ténors de la classe politique, le leader du PDJ (62 ans, mais qui en paraît dix de moins) est d’abord un héritier.
Arrière-petit-fils de samouraï, il est, comme Taro Aso, petit-fils de Premier ministre. Ironie de l’histoire, Ichiro Hatoyama et Shigeru Yoshida, leurs deux grands-pères, s’étaient affrontés en 1955. La bataille avait tourné à l’avantage du premier et avait débouché sur… la création du PLD ! Baron du parti conservateur, le père d’Hatoyama fut longtemps ministre des Affaires étrangères. Brillant ingénieur diplômé de l’Université de Tokyo et de Stanford, aux États-Unis, lui-même a grandi dans l’ombre de son frère cadet, Kunio, qui a embrassé très tôt la carrière politique. Il a attendu 1986 pour entrer au Parlement.
En 1993, les deux frères rompent avec le PLD et, avec quelques transfuges, créent le Nouveau Parti pionnier. Cette scission coûte la majorité aux conservateurs, qui, après trente-huit ans de règne sans partage, se retrouvent, pour la première fois, dans l’opposition. Mais la coalition de Morihiro Hosokawa, trop hétéroclite, vole en éclats au bout de dix mois, et le PLD revient prestement aux affaires. L’opposition, elle, s’organise.
MOYENS ILLIMITÉS
En 1998, les sociaux-démocrates de Naoto Kan, les libéraux d’Ichiro Ozawa (autre transfuge du PLD) et les « pionniers » des frères Hatoyama fusionnent pour former le PDJ. Le financement de la nouvelle formation est en grande partie assuré par les frères Hatoyama, qui disposent de moyens presque illimités, leur grand-père maternel, Shojiro Ishibashi, n’étant autre que le fondateur du groupe de pneumatiques Bridgestone…
Fils de bonne famille aux convictions libérales assumées, Yukio Hatoyama tranche dans l’univers conformiste de la politique japonaise. Se moquant des conventions sociales, il a épousé une actrice divorcée. Doté d’un solide sens de l’humour, il ne se prend pas au sérieux. Contrairement à la plupart de ses prédécesseurs, il parle un anglais parfait, ce qui lui donnera plus de latitude pour négocier avec Washington et défendre les intérêts de son pays dans les institutions internationales.
Pourtant, la plupart des observateurs doutent de son leadership. C’est un « prince », pas un tueur. Jusqu’au mois de mai, il n’était d’ailleurs que le numéro deux du PDJ, et c’est le charismatique Ichiro Ozawa, le véritable artisan des récents succès démocrates, qui semblait promis au poste de Premier ministre. Éclaboussé par une affaire de financement politique occulte, ce dernier a été contraint de s’effacer, mais il reste l’homme fort du parti.
La victoire des démocrates, qui ont mené une campagne résolument à gauche, a été saluée par la Bourse, mais n’a pas donné lieu à de notables effusions populaires ! Contrairement aux Français, qui, le 10 mai 1981, dès l’annonce de l’élection de François Mitterrand, avaient envahi les rues, les Japonais sont restés étrangement calmes. Ils attendent de juger sur pièces. Or le nouveau Premier ministre a du pain sur la planche.
CROISSANCE NÉGATIVE
Car les démocrates, qui ont fait beaucoup de promesses, héritent d’une situation catastrophique. La récession que traverse aujourd’hui le Japon est la pire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La croissance sera négative en 2009 (– 6,7 %) et le taux de chômage a atteint 5,7 % en juillet. Cette fois, les subprimes n’y sont pour rien, banquiers et assureurs ayant prudemment évité d’inclure ces produits à risque dans leurs portefeuilles. La deuxième puissance industrielle mondiale est avant tout victime de la contraction des échanges internationaux : ses exportations ont chuté de 40 % en un an. À l’instar de l’Allemagne, elle pourrait néanmoins profiter d’un rebond de l’économie mondiale et sortir de la crise plus vite que d’autres.
Tous ses problèmes ne seraient pas réglés pour autant. Car le spectre de la déflation a resurgi. Les prix ont baissé de 2,2 % en juillet et, si la tendance se confirme, c’est toute la machine économique qui pourrait se trouver grippée. Un scénario cauchemardesque qui rappelle celui des années 1990, après l’éclatement de la bulle immobilière.
MESURES COÛTEUSES
Pour le conjurer, les démocrates de Yukio Hatoyama veulent s’attaquer aux inégalités et agir sur le pouvoir d’achat afin de relancer la consommation intérieure, en berne depuis des années. Leur programme comporte une batterie de mesures coûteuses : revalorisation de 30 % du smic horaire, qui passerait à 1 000 yens (7,40 euros), limitation du recours aux contrats précaires dans l’industrie, suppression des péages autoroutiers, diminution des frais de scolarité, baisse des taxes sur l’essence et augmentation des allocations familiales. Pour enrayer la baisse de la natalité et éviter que l’archipel ne perde 40 millions d’habitants d’ici à 2050, ils ont promis d’allouer aux familles 26 000 yens par enfant et par mois à partir de 2011. Bref, ils entendent donner la priorité à la redistribution et mettre fin aux faramineuses « dépenses fiscales », qui reviennent à subventionner, directement ou indirectement, les entreprises et profitent peu aux salariés.
Mais la marge de manœuvre du nouveau gouvernement est étroite, la dette publique (180 % du PIB) étant déjà vertigineuse. Son programme, chiffré à 125 milliards d’euros en année pleine, pourra-t-il être financé par un simple redéploiement des crédits et la chasse aux gaspillages ? L’élaboration du budget 2010 (l’année fiscale commence ici le 1er avril) constituera un test crucial. Pour Yukio Hatoyama, l’état de grâce pourrait être de courte durée.
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