Itinéraire d’un kamikaze
Haratine d’extraction modeste, l’auteur de l’attentat-suicide du 8 août contre l’ambassade de France était un jeune homme rangé et sans histoires. Comme bien souvent…
Un jeune homme sans histoires. Travailleur, responsable, respectueux de ses parents. Il est d’ailleurs revenu dans la maison familiale après une absence de neuf mois pour y passer les deux dernières nuits de sa vie. Ultime refuge dans l’innocence de la jeunesse avant le fatidique 8 août 2009 ? Ce samedi-là (dernier jour de week-end en Mauritanie), le crépuscule n’a pas encore enveloppé Nouakchott quand Moussa Ould Beina Ould Zeidane, 24 ans, actionne la ceinture d’explosifs qu’il porte sur lui. En plein centre de la capitale, à deux pas de l’ambassade de France, un « repaire de croisés », comme le dira, dix jours plus tard, un communiqué revendiquant l’attaque, signé Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Chômage et pauvreté
Auteur du premier attentat-suicide en Mauritanie, Moussa voulait mourir en « martyr », comme un serviteur zélé d’Allah. Au passage, il a blessé deux gendarmes français – dont un sérieusement, au tympan – et une passante mauritanienne. « Cette opération est venue en réaction à l’hostilité des croisés – emmenés par la France – et de leurs agents apostats », explique le même communiqué.
Un mois après l’attaque, la télévision publique s’emploie à démystifier le destin du jeune terroriste, convoquant sur ses plateaux des oulémas, des gradés et des intellectuels venus expliquer comment prémunir la jeunesse de l’islamisme radical. Quant au film de sa vie, que le journaliste mauritanien Mohamed Ould Khattat a reconstitué dans le quotidien Nouakchott Info, il fait apparaître un itinéraire banal, où le djihadisme est moins une vocation qu’un hasard croisé sur le chemin du vide et de l’ennui.
Moussa Ould Beina Ould Zeidane est né le 12 décembre 1984, dans la soirée. Sa tante l’aurait bien baptisé Maaouiya, en l’honneur de ce colonel moustachu dénommé Maaouiya Ould Taya qui a renversé le président Ould Haidallah le matin même et qui sera lui-même déposé vingt et un ans plus tard. Deuxième d’une famille de huit enfants, entre un père ex-boulanger reconverti en gardien de parking et une mère couturière occasionnelle, le petit Moussa grandit dans la pauvreté, à l’instar de la grande majorité des Haratines – descendants d’esclaves et arabophones. Alors Moussa, qui rate son bac à deux reprises, travaille beaucoup : tous les matins, il quitte au petit jour la maison familiale dans le quartier populaire de Basra, à Nouakchott, pour se poster au carrefour de la Polyclinique, une place de Nouakchott où les artisans – peintres, menuisiers – se réunissent pour proposer leurs services. En 2008, il tente en vain de rentrer dans le corps de la gendarmerie.
Questions sans réponse
Son parcours est semé d’échecs scolaires, mais il ne comporte ni larcins ni mauvais coups. Moussa n’est pas connu des services de police. Quant à sa pratique de l’islam, elle est normale, pas plus zélée que celle de sa famille. Il n’est pas réputé fréquenter une madrasa, lieu potentiel de recrutement de futurs djihadistes. Alors, comme toujours, la même question revient : comment un jeune homme tranquille de 24 ans bascule-t-il dans la violence terroriste sans que personne, même son plus proche entourage, s’en aperçoive ? En novembre 2008, Moussa quitte la maison de Basra. Il ne donnera plus aucune nouvelle à sa famille. A-t-il rejoint un « camp d’entraînement terroriste » – une appellation pompeuse pour désigner des campements mobiles et rudimentaires –, dans ce no man’s land à cheval entre le Sud algérien et le Nord malien ? Une photo diffusée par AQMI le laisse supposer. Reste à savoir comment et où s’est opéré le recrutement. À Nouakchott ? Dans la rue ? Dans une mosquée ? Moussa se rendait-il vraiment au carrefour de la Polyclinique, comme il le prétendait ? Mais si le jeune homme a pu être endoctriné à coups de vidéos, cela n’a pas pour autant dissipé sa peur. Selon un témoin de l’attentat, il tremblait avant de se faire exploser…
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