Algérie : une rentrée et des questions
Adoption du week-end semi-universel, perte des crédits à la consommation, apparition de nouvelles taxes… La reprise ne s’annonce pas de tout repos. Pour les citoyens comme pour leurs gouvernants.
Comme en 2008, la rentrée politique et sociale tombe cette année en plein ramadan, période de jeûne et de spiritualité, mais aussi de consommation frénétique et de léthargie collective. Et, comme en 2008, la rentrée ne s’annonce pas de tout repos. Pour les citoyens comme pour leurs gouvernants. Au palais d’El-Mouradia, on s’amuse de l’utilisation du terme « rentrée », jugé inapproprié puisqu’il « n’y a eu ni vacances ni congés », comme le déplore un conseiller du président de la République. Il est vrai qu’en dehors d’une courte période de deuil, à la suite du décès de sa mère, le 5 juillet, Abdelaziz Bouteflika est resté sur le pont, légiférant par ordonnance, signant des décrets, ratifiant conventions et traités internationaux. Résultat : à leur retour de congés, les Algériens changent de week-end, perdent les crédits à la consommation, découvrent de nouvelles taxes et des mesures contraignantes dans les opérations de commerce extérieur.
Traditionnellement, la rentrée politique coïncide avec l’inauguration de la session d’automne des deux chambres du Parlement, en l’occurrence le 2 septembre pour cette année. Mais on verra que notre conseiller à la présidence n’a pas tout à fait tort. La rentrée politique n’a pas attendu le retour des députés. S’agissant de la rentrée scolaire, on n’est pas plus fixé. Officiellement, l’école rouvrira ses portes le 13 septembre. Mais il n’est pas dit que les élèves soient au rendez-vous, les « enfants », selon une rumeur insistante, auraient décidé de surseoir à leur retour sur les bancs de l’école pour cause… de ramadan. En matière sociale, et hormis quelques jacqueries et émeutes ici et là, la rentrée est renvoyée à la fin d’octobre, date à laquelle devrait s’ouvrir la tripartite gouvernement-syndicats-patronat appelée à décider de l’ampleur de la hausse du salaire national minimum garanti (SNMG, le smic algérien). Revue de détail des différents aspects de la vraie fausse rentrée politique en Algérie.
Maîtriser les importations
Depuis sa réélection en avril 2009, Abdelaziz Bouteflika a présidé trois Conseils des ministres, dont deux en pleine période estivale, le 22 juillet, puis le 26 août. Le 11 juillet, dix jours après que les députés et sénateurs eurent clôturé leur session, le chef de l’État a signé et fait promulguer au Journal officiel deux importantes ordonnances : loi de finances complémentaire 2009 et code de l’eau. Le premier texte a provoqué de nombreuses réactions, car il contient les nouvelles mesures devant permettre d’assurer une meilleure maîtrise de la facture des importations, qui a explosé en 2008, frôlant la barre des 40 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB de la Tunisie. À aucun moment la chute des cours pétroliers n’a constitué une menace pour l’équilibre budgétaire. Le prix de référence du baril retenu par le gouvernement pour élaborer le budget est de 37 dollars. Or les cours du marché étaient de 42 dollars en moyenne durant le premier semestre 2009. Mais la brusque chute de l’excédent commercial (moins de 1,5 milliard de dollars pour les sept premiers mois de l’année, contre près de 25 milliards de dollars sur la même période de l’année précédente) a constitué un sérieux avertissement. Faute de pouvoir diversifier ses exportations, composées presque exclusivement des hydrocarbures, le pays devait contrôler ses importations. Avec 3,8 milliards de dollars en 2008, l’importation de véhicules de tourisme représente près de 10 % de la facture totale. C’est donc le secteur qui a été le plus concerné par les mesures gouvernementales. Les résultats ne se sont pas fait attendre : entre juillet et août, les services de la douane algérienne ont enregistré une baisse des importations de l’ordre de 23 %. Ce n’est pas resté sans conséquences sur le port… de Marseille, en France, dont près du tiers des activités dépend des échanges avec l’Algérie. Le lobby des importateurs (une jonction entre rentiers du système et groupes internationaux de production industrielle) a agité ses relais médiatiques, annonçant tantôt des mesures de représailles, tantôt une catastrophe pour l’économie algérienne. Mais le gouvernement a tenu bon.
Patriotisme économique
Les nouvelles mesures ayant été prises par ordonnance présidentielle, et donc sans avis du pouvoir législatif – une prérogative constitutionnelle permettant de légiférer en période de vacances parlementaires –, on aurait pu croire que le chef de l’État redoutait une quelconque fronde des députés. Mais ce n’est pas le cas. La quasi-totalité de la classe politique soutient sans réserve les nouvelles mesures. Aucune voix dissonante n’ose s’élever de peur de passer pour le porte-parole des intérêts des multinationales et des groupes industriels chinois qui inondent le marché algérien de leurs produits en cette période de vaches maigres et de récession dans les autres régions du monde. Décidées par Bouteflika, annoncées par le biais du Journal officiel, ces mesures sont soutenues par les partis politiques, mais un seul ose en revendiquer la paternité. Le plus cocasse est qu’il s’agit d’une formation de l’opposition : le Parti des travailleurs (PT, de Louisa Hanoune). Si la rivale malheureuse de Bouteflika à la présidentielle d’avril 2009 ne se réclame plus du trotskisme, elle se revendique d’une gauche ultranationaliste, jalouse de la souveraineté nationale, en guerre permanente contre « l’impérialisme, prédateur de richesses nationales, et ses complices, ennemis intérieurs des Algériens ». Surfant sur la mode du protectionnisme, elle n’hésite pas à placer la barre plus haut, exigeant la dissolution de l’Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse du Parlement), coupable d’avoir « voté des lois scélérates » favorisant les importateurs au détriment de la production nationale. Patriotisme économique chevillé au corps, Louisa Hanoune est sans aucun doute la personnalité politique la plus en vue. D’autant que les autres sont engluées dans des histoires de dissidences internes, à l’instar d’un Bouguerra Soltani, patron des Frères musulmans algériens, ou encore d’un Abdelaziz Belkhadem, confronté à des difficultés liées à la préparation du 9e congrès de son parti, le Front de libération nationale (FLN, ancien parti unique), tous deux membres de l’Alliance présidentielle. Ahmed Ouyahia, troisième larron de cette même Alliance, par ailleurs Premier ministre de Bouteflika, est accaparé par la mise en musique des partitions composées à El-Mouradia. Il le fait de manière plus discrète. Sans doute un effet de la révision de la Constitution, le 12 novembre 2008, qui a renforcé les pouvoirs du président et retiré au Premier ministre son statut de chef du gouvernement.
À nouveau week-end, nouveaux problèmes
« Si on avait attendu un débat parlementaire sur la question, nous ne serions jamais arrivés à une décision concernant le changement de week-end. » Notre conseiller à la présidence est catégorique : le passage par voie d’ordonnance du « week-end islamique » (jeudi et vendredi) à un week-end « semi-universel » (vendredi et samedi) a fait gagner du temps. Cette décision met fin à une situation qui pénalisait lourdement l’économie algérienne, notamment le secteur financier, qui ne disposait que de trois jours ouvrés par semaine dans ses échanges avec les partenaires étrangers. Adopté en juillet 1976, le week-end islamique est donc abandonné à partir du 14 août 2009. Mais sa mise en œuvre s’est révélée un véritable casse-tête en matière d’aménagement du temps de travail – tant dans la fonction publique que dans de nombreux autres secteurs d’activités – et d’élaboration de l’emploi du temps à l’école et à l’université. Vendredi, le premier jour du nouveau week-end, remplace les « jeudis d’antan ». Or le vendredi n’est pas un jour comme les autres. Il est aux musulmans ce qu’est le dimanche aux chrétiens, c’est-à-dire une journée où l’activité humaine, économique ou autre, doit être limitée au strict nécessaire. Seulement voilà, le jeudi était jour ouvré pour les commerces, les laboratoires médicaux, les établissements scolaires… Envisager de reporter toutes ces activités au vendredi est très délicat sur le plan religieux (jour de la Grande Prière hebdomadaire), mais également sur le plan pratique. S’il est peu réaliste de vouloir contraindre les chefs d’entreprises privées à renoncer à la matinée du premier jour de week-end, il est encore moins réaliste d’obliger les opérateurs du secteur des transports collectifs de maintenir leur activité « le jour du Seigneur ». Un vrai calvaire en perspective pour les travailleurs du vendredi. Autre casse-tête : la gestion de l’emploi du temps scolaire et universitaire. Pour ne pas ajouter aux problèmes de transport évoqués plus haut, le ministère de l’Éducation a renoncé à la matinée de la première journée du week-end, précédemment ouvrée pour les établissements scolaires. Mais comment compenser la perte des quatre heures de cours sur les trente-sept hebdomadaires ? En annulant le repos de milieu de semaine consenti aux élèves pour une « respiration pédagogique » (lundi après-midi avant le changement de week-end) ? Tollé chez les parents d’élèves, les enseignants et les pédagogues.
À quelques jours de la rentrée scolaire, les consultations entre le gouvernement, les syndicats d’enseignants et les associations de parents d’élèves n’ont toujours pas permis de trouver une solution à la question de la gestion de l’emploi du temps scolaire. Mais Abou Bakr Ben Bouzid, ministre de l’Éducation, n’en est pas à un souci près. Il avait déjà sur les bras plusieurs dossiers sensibles : statut des enseignants contractuels, revendications salariales, logements d’astreinte… Il se retrouve avec un problème complètement inattendu : la date de la rentrée scolaire. Officiellement, les écoles doivent rouvrir leurs portes le 13 septembre. Or, à cette date, le ramadan n’en sera qu’à sa troisième semaine. D’où la folle rumeur sur les enfants qui « se sont donné le mot pour boycotter la rentrée et ne rejoindre les classes qu’à l’issue du mois de jeûne ». Difficile de croire que les enfants, les moins concernés par le carême, aient pu prendre une telle initiative. À moins qu’elle leur ait été inspirée par leurs professeurs. Voire par leurs parents.
Les réformes d’octobre
Un des effets de la crise financière internationale sur l’Algérie est une envolée de l’inflation, passée de 4,1 % en 2008 à près de 6 % en juillet 2009. Le ramadan et sa folie consumériste ne sont pas pour arranger les choses. En Algérie, comme ailleurs, la préoccupation centrale de la population en cette rentrée 2009 se limite à deux mots : pouvoir d’achat. Et on évoque avec insistance des hausses salariales. Mais pour désamorcer les tensions sociales, le gouvernement d’Ahmed Ouyahia et ses partenaires sociaux se sont empressés d’annoncer la tenue d’une tripartite prévue pour novembre. Cette structure rassemble des représentants de l’exécutif, des organisations syndicales et du patronat, qui ont signé, en 2006, le pacte économique et social. Mais depuis l’adoption de ce document, la tripartite ne s’est jamais réunie. C’est donc une première. Et si l’opinion se focalise sur la question des salaires, il est peu probable que ce soit le seul point à l’ordre du jour de la rencontre d’octobre. Un autre dossier sensible devrait y être abordé, celui d’une profonde refonte de la législation du travail, avec un nouveau code qui devrait être soumis dans quelques mois au Parlement. Quelle flexibilité pour l’emploi ? Comment concilier les intérêts de l’entreprise avec ceux des travailleurs ? Comment parvenir au plein-emploi ? À défaut d’une Révolution d’octobre, l’Algérie se prépare aux réformes d’octobre.
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