Presse : série noire en RDC
Pas moins de trois décès suspects dans l’Est, des menaces et un harcèlement permanent : les journalistes congolais paient un lourd tribut au nom du devoir d’informer.
Bruno Koko Chirambiza est-il « mort de journalisme » ? C’est l’énigme que doit résoudre l’enquête ouverte par le parquet de Bukavu au lendemain du meurtre, dans la nuit du 23 août, du jeune présentateur de Radio Star, émettant depuis la capitale du Sud-Kivu. À 24 ans, Bruno Koko a été poignardé en plein thorax, dans la rue, alors qu’il rentrait d’une fête avec un ami. Transporté à l’hôpital, il n’a pas survécu à ses blessures.
L’hypothèse d’un crime crapuleux laisse néanmoins sceptiques les associations de défense des médias. Bruno Koko a en effet été retrouvé avec tous ses biens – téléphone, dictaphone – et son argent. Ce qui incite Pierre Pay-Pay, le propriétaire de Radio Star, cité par l’AFP, à considérer que le meurtre était « prémédité ». « Le mobile reste à éclaircir, mais les circonstances de sa mort semblent indiquer qu’il était personnellement visé », avance Ambroise Pierre, responsable Afrique de Reporters sans frontières (RSF).
Relatée dans un rapport de RSF paru en mars dernier (« Bukavu, la cité des meurtres »), la série noire qui frappe les médias dans la ville impose un constat : la profession court des risques grandissants. Bruno Koko est le troisième journaliste assassiné ici en un peu plus de deux ans. En novembre 2008, le corps de Didace Namujimbo, un de ses confrères de Radio Okapi – radio implantée dans tout le pays, née d’un partenariat entre la mission de l’Organisation des Nations unies en RD Congo (Monuc) et une fondation suisse, Hirondelle – était retrouvé gisant dans une mare de sang, à quelques pas de chez lui. En juin 2007, Serge Maheshe, secrétaire de rédaction à Radio Okapi, était lui aussi tué en pleine rue.
Règlements de comptes ? « L’Est vit à couteaux tirés, les milices sont nombreuses et les armes circulent, explique Tshivis Tshivuadi, secrétaire général de l’ONG Journaliste en danger. Quelle que soit votre façon de traiter une information, on vous classe dans un camp. » Dans une région à fleur de peau, où les tensions entre rebelles et armée régulière sont incessantes depuis dix ans, aucune information, aussi objective soit-elle, n’est considérée comme neutre, en particulier lorsqu’elle concerne l’état des troupes. Toute prise de parole – surtout à la radio, le média le plus populaire dans cette partie du pays où la presse écrite se fait rare – est un enjeu. « À Bukavu, les leaders d’opinion comme les chefs coutumiers, les prêtres et les journalistes sont particulièrement exposés », explique le ministre de l’Information, Lambert Mende Omalanga.
Mais pour les associations de défense des médias, s’en remettre au contexte sécuritaire et aux risques inhérents à la profession est un peu court. « Notre environnement, c’est l’impunité généralisée, témoigne un journaliste sous le couvert de l’anonymat. Les coupables savent que rien ne sera fait pour les arrêter. » Pour le meurtre de Serge Maheshe, un procès, suivi d’un appel, a bien eu lieu devant le tribunal militaire de Bukavu, l’arme du crime – un fusil-mitrailleur AK 47 – ayant été jugée de nature militaire. Mais malgré plusieurs condamnations, RSF parle d’un « demi-fiasco », avançant que le principal suspect, un militaire cité par deux témoins, n’a pas été inquiété. Quant à Didace Namujimbo, une enquête a été menée, mais le procès n’a pas encore eu lieu. Dans les deux cas, la lumière n’a pas été faite sur d’éventuels mobiles et commanditaires.
Sans aller jusqu’au meurtre, l’intimidation des médias est monnaie courante en RD Congo. Chaque journaliste peut y aller de sa petite histoire. Interrogé, tel rédacteur en chef d’un quotidien réputé pro-Kabila se souvient : après avoir annoncé des estimations « sortie des urnes » des résultats du premier tour de la présidentielle, en 2006, il a reçu, toutes les deux minutes pendant une journée, des SMS lui promettant la mort. « Les hommes politiques, du pouvoir comme de l’opposition, n’acceptent pas la contradiction », conclut-il. Tel présentateur radio évoque des appels anonymes lui demandant de déprogrammer une émission sur l’Agence nationale des renseignements, régulièrement accusée d’arrestations arbitraires par les organisations de défense des droits de l’homme.
RFI suspendue
Bref, il y a des sujets dont on ne doit pas parler et des « vérités » qu’on ne remet pas en cause. De cette loi non écrite, Radio France internationale (RFI) fait aujourd’hui les frais : depuis fin juillet, son signal est suspendu dans le pays. Motif : « Atteinte à notre système de défense », avance le ministre de l’Information. En clair, le reproche fait à RFI – la radio la plus écoutée en temps normal –, c’est la diffusion d’informations jugées fausses et de nature à démoraliser les troupes, comme la chute de telle localité, l’absence de réserves de carburant… « Je ne connais pas un commandement militaire au monde qui accepterait cela », se justifie Lambert Mende. D’après lui, plusieurs mises en garde ont en vain été notifiées à la radio. Qui, crédibilité oblige, se refuse de son côté à tout mea-culpa. Des discussions sont en cours et un émissaire de RFI pourrait se rendre en RD Congo. Si le signal est coupé, le dialogue ne l’est pas.
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