Gbagbo, directeur de campagne

Le chef de l’État entrera officiellement dans la course électorale dans un mois, à l’occasion d’un grand meeting de soutien à Abidjan. Mais il est déjà à la manœuvre depuis des semaines et pilote sa stratégie depuis la présidence.

Publié le 9 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Alors qu’Henri Konan Bédié, le lièvre de la course à la présidentielle, a été le plus rapide, le 2 septembre, pour déposer officiellement sa candidature, qu’Alassane Ouattara enchaîne depuis des mois meetings, tournées et temps de récupération en Europe, Laurent Gbagbo joue la tortue de la fable. Le président reste dans son rôle de chef d’État. En apparence. À trois mois de la présidentielle, il n’a toujours pas de staff de campagne. En apparence, encore. Car comme le souligne un proche du chef de l’État, « le directeur de campagne de Gbagbo, c’est Gbagbo ».

Depuis des semaines, Abidjan bruisse de rumeurs et de « scoops » sur l’équipe qui entourera le candidat. La semaine dernière, les journaux lâchaient trois noms en pâture. Un triumvirat avec, dans l’ordre d’apparition, son directeur de cabinet adjoint Malick Issa Coulibaly, le président du Front populaire ivoirien (FPI) Pascal Affi N’Guessan, et enfin Gervais Coulibaly, son porte-parole. Ce dernier se refuse à confirmer, attendant prudemment une annonce officielle. « Si scoop il y a, il est dans la tête du chef de l’État, pas dans la presse. Il observe et il décidera », explique cet ancien préfet. Pascal Affi N’Guessan remet, lui, l’enjeu à sa place : « Finalement, le plus important, est-ce vraiment qui va conduire la campagne ? La question c’est plutôt la stratégie, la mobilisation, l’organisation. Et, ça, au FPI, nous le faisons au quotidien », explique le président du parti. « Le directeur de campagne, il prendra le train en marche et assurera la mise en œuvre », poursuit-il. 

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En posture de chef d’État

Bien calé dans sa posture de chef d’État, Laurent Gbagbo n’a aucun intérêt à mettre la charrue avant les bœufs. « Dès qu’il sera candidat, il sera traité comme tel, notamment par ses adversaires. Ce n’est pas bon pour la stabilité du pays. Il faut que le pays reste gouverné et que la période pendant laquelle nous n’aurons que des candidats en campagne soit la plus courte possible », estime le président du FPI.

Le grand raout, qui marquera l’entrée en campagne, aura lieu début octobre. Pas moins de 200 000 personnes attendues pour un grand meeting de soutien au candidat Gbagbo, qui réunira pour la première fois son parti, le FPI, une vingtaine d’autres formations politiques ralliées à sa cause, une trentaine d’associations diverses, ainsi qu’une centaine de mouvements de soutien venus de tout le pays. La grand-messe se tiendra à Abidjan, dans un lieu qui reste à choisir. Selon Affi N’Guessan, c’est à ce moment-là, et pas avant, que sera rendu public le nom du directeur de campagne. En attendant, chacun essaie de se faire valoir et, au final, on se tire allègrement dans les pattes. « Quand le président jugera utile de siffler la fin de la récréation, il fera rentrer tout le monde dans le rang, distribuera les rôles des uns et des autres et partira au combat », commente un membre du cercle le plus proche.

Au FPI, on essaie de prendre les devants. Ébranlé par la crise de 2002, déchiré au sommet par des tensions internes, le parti a tout de même réussi à travailler à la base en nommant des responsables pour la campagne présidentielle, proches de la population, à tous les échelons – régional, départemental et local. Gbagbo, lui, s’occupe de resserrer les rangs parmi ses collaborateurs directs. Ce fut l’objet d’un voyage, les 27 et 28 août, à Issia, dans l’ouest du pays, où, sous couvert d’une visite d’État, le président a voulu sceller la réconciliation entre deux barons du régime et ressortissants de la région, son ministre de la sécurité Désiré Tagro et le ministre du Plan Paul Antoine Bohoun Bouabré.

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Simone Gbagbo, présidente du groupe parlementaire FPI à l’Assemblée nationale, Bohoun Bouabré et Aboudramane Sangaré, inspecteur général de l’État, tous des pontes du parti, enchaînent les réunions nocturnes à la résidence de Pascal Affi N’Guessan pour déterminer une stratégie de campagne. Le 1er septembre, ce dernier s’est longuement entretenu avec Laurent Gbagbo pour lui présenter un premier document de travail. Les intellectuels du parti sont chargés de « revisiter », de moderniser et d’actualiser « La Refondation », le programme de gouvernement.

Un thème se dégage, surfant sur la vague patriotique et nationaliste, autour de « Gbagbo, le candidat des Ivoiriens » face aux candidats chouchous de la communauté internationale. Pas de slogan officiel encore, mais un cri de ralliement pour les militants : « On gagne, ou on gagne. »

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Le problème du FPI reste cependant de chasser des voix en dehors de son fief. La première stratégie a été de débaucher des cadres et des personnalités du Centre et du Nord. De Malick Coulibaly, oncle d’Amadou Gon Coulibaly, directeur de campagne d’Alassane Ouattara, à Laurent Dona Fologo, ancien baron du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), tous deux originaires du Nord, en passant par Danielle Boni-Claverie, ancienne ministre de Bédié, Théodore Meg El, ou Zemogo Fofana, transfuge du Rassemblement des républicains (RDR) de Ouattara dont le FPI revendique le ralliement… Laurent Gbagbo débauche à tour de bras. Ne disait-il pas en 2004 devant la presse internationale qu’il n’aurait pas autant investi dans « l’achat des armes » s’il avait su que « l’achat des âmes » était aussi facile ?

« Tout candidat est libre de prendre son staff où il veut », commente Ally Coulibaly, porte-parole du président du RDR, qui conseille aux populations : « Prenez de l’argent si on vous en distribue. Profitez-en, mais gardez vos convictions ! » 

Offensive sur le Nord

Pas de meetings ni de tournées électorales pour Gbagbo, mais, sous couvert de visites d’État ou voyages privés, il sillonne le pays. Il a ainsi entamé dans l’Ouest un processus de réconciliation avec les parents de feu Robert Gueï, ancien chef d’État, lâché par Gbagbo, et assassiné en 2002. Il a surtout multiplié les voyages dans le Nord et courtise sans vergogne les chefs et leaders d’opinion baoulés.

« Au Nord, on y va, mais mollo mollo. Ce n’est pas évident, il faut faire passer le message en douceur auprès de nos parents. Finalement, ce n’est pas la région la plus difficile à conquérir », assure Gervais Coulibaly. Affi N’Guessan approuve cette analyse, estimant aussi que le Centre, en particulier la région des Akans, est particulièrement compliqué. « Ce sont des électeurs très conservateurs, ils votent depuis un demi-siècle pour le PDCI », constate-il.

Le prochain déplacement de Laurent Gbagbo devrait être, encore une fois, le Nord. Selon le président du FPI, il s’agira d’une visite totalement privée à Korhogo… ce qui n’empêchera pas le chef de l’État de rencontrer tout ce que la région compte de personnalités influentes et de lobbyistes.

Au RDR pourtant, on ne s’affole pas outre mesure. « On voit bien qu’il y a une offensive sur le Nord. Le RDR n’est pas propriétaire de cette région, il est normal que les autres candidats y fassent campagne. Nous ne sommes pas pour autant inquiets. Le président Ouattara ira là-bas fin octobre début novembre », explique Ally Coulibaly.

Alors que le FPI table sur 60 % de votes pour Gbagbo dans le Grand Ouest, qui regroupe 21 départements, soit un tiers de l’électorat, il devra se battre pour dépasser les 40 % dans le Centre et dans le Nord, condition sine qua non à une victoire au premier tour, que la direction du FPI croit toujours possible. La grande bataille restera bien entendu Abidjan, avec 30 % de l’électorat, où les trois grands partis devraient être au coude à coude. 

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