Ce qu’ils attendent d’Ali

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 9 septembre 2009 Lecture : 4 minutes.

« Ce n’était pas seulement une élection présidentielle. Cette consultation donnait aussi l’occasion aux Gabonais d’exprimer vraiment leur choix entre le changement et la continuité », analyse un journaliste librevillois. Pour lui, finalement, peu importe le vainqueur, pourvu qu’il tienne compte de l’aspiration profonde de la population à tourner la page, après plus de quarante et un ans de règne d’Omar Bongo Ondimba. « Sinon, prévient-il, le nouveau président aura bien du mal à gouverner ».

Les candidats, qui l’avaient bien senti, ont adapté leurs discours en conséquence. De Zacharie Myboto, un ancien cacique du régime Bongo entré en opposition, aux nouveaux venus comme Bruno Ben Moubamba, issu de la société civile, tous n’avaient que les mots « changement » ou « rupture » à la bouche. Cette demande de la population était si forte que toutes les promesses électorales ont fini par se ressembler.

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Comment ne pas entendre la réprobation qui s’est toujours exprimée à l’égard du clientélisme, de la corruption et des infractions économiques ? Dans un discours étonnant et plein d’amertume prononcé en décembre 2007 lors de la célébration du 40e anniversaire de son accession au pouvoir, Omar Bongo Ondimba avait reconnu que les détournements de fonds et la corruption gangrenaient son régime.

La plupart des 30 % de Gabonais qui survivent dans les bas-fonds, les mapan et autres matitis (bidonvilles) avec moins de 500 F CFA par jour (moins de 1 euro), à Libreville ou à Port-Gentil, considèrent que cette pauvreté est due à des détournements massifs de l’argent public auxquels l’élite dirigeante se livre en toute impunité. « On veut des routes ! » se sont entendu réclamer les candidats lors de leurs tournées dans le pays profond. Seulement un millier de kilomètres de routes construites en quarante-deux ans : le bilan des précédents gouvernements justifie ce concert de plaintes. 

Le règne du mérite

« Nous avons besoin de pain dans nos assiettes ! » clame Bruno Ben Moubamba. Ça tombe bien, tous les candidats ont inclus dans leur programme un volet « développement de l’agriculture ». Effet pervers de la prédominance de l’industrie extractive sur l’économie nationale, le Gabon en est réduit à importer 80 % des produits alimentaires. La facture s’élève à près de 150 milliards de F CFA par an (228,6 millions d’euros), selon le ministère de l’Agriculture.

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À la tête d’un pays riche peuplé d’une majorité de pauvres, le nouveau président devra assurer un meilleur partage des ressources. « Les Gabonais ont faim. Omar Bongo Ondimba avait oublié que la paix sert à rendre les gens heureux », se plaint Mehdi Teale, l’un des candidats, qui s’est désisté en faveur d’André Mba Obame. Alain Joyandet, le secrétaire d’État français à la Coopération, y est allé de son couplet face à l’urgence sociale, préconisant une redistribution plus juste des richesses, dans un pays où l’espérance de vie est de 56 ans seulement.

Sur ce chapitre, d’autres candidats ont proposé des solutions. André Mba Obame, par exemple, envisageait d’instaurer la gratuité de l’école pour les moins de 16 ans. « Nous devons compenser notre faiblesse démographique par la qualité de la formation de notre jeunesse », a-t-il déclaré. Il préconisait aussi d’étendre la couverture de l’assurance maladie à toutes les couches de la population et de faciliter l’accessibilité à l’habitat social.

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Malgré son statut d’héritier, le candidat Ali Bongo s’est, lui aussi, converti à la « rupture », comme l’exige l’air du temps. Il a promis l’avènement du règne du mérite au sein d’une société qui n’y croit plus. Casimir Oyé Mba aurait, quant à lui, donné pour priorité à son gouvernement d’en finir avec les nominations et les promotions fantaisistes.

En matière de pouvoir d’achat, les syndicats (de la santé, de l’enseignement, du pétrole…), qui paralysent régulièrement le fonctionnement du service public et, partant, de l’économie, ne manqueront pas de rappeler au nouveau chef de l’État que la trêve sociale décrétée à la mort d’Omar Bongo Ondimba n’était qu’un répit dû à une situation exceptionnelle. Les revendications exprimées ces dernières années n’ont pas trouvé de solution. 

« Bombe sociale »

Pour désamorcer la « bombe sociale », Ali Bongo s’est risqué à proposer un salaire minimal de 150 000 F CFA (230 euros). « Irréalisable, critique un ancien ministre des Finances. Avec leur traitement actuel, combien de fonctionnaires disposeront de revenus assez élevés pour pouvoir payer le salaire d’une aide ménagère ? » Impossible, aussi, d’augmenter les salaires dans la fonction publique « quand on sait que la masse salariale du secteur public va bientôt devenir insoutenable pour les ressources dont nous disposons », déconseille fermement cet ancien membre du gouvernement.

La volonté de changer de style s’est également exprimée. « Il faut dépoussiérer la géopolitique », s’exclame un politologue venu de France pour la présidentielle. Le casse-tête de la répartition du pouvoir entre la quarantaine de groupes ethniques qui composent le pays a contribué à la formation de gouvernements pléthoriques et à la prolifération de coquilles vides servant à caser des « amis » au chômage. Pierre Mamboundou est allé jusqu’à proposer de supprimer le Sénat.

Le nouveau chef de l’État devra aussi parvenir à faire respecter le principe de l’unicité des caisses. « Que les présidents des institutions qui ont soutenu la candidature d’Ali Bongo clôturent les comptes qu’ils ont ouverts dans les banques commerciales ! lance, furieux, un cadre du ministère des Finances. Que tout le monde soit rattaché au Trésor public ! Ainsi, la rupture tant attendue s’appliquera à la gestion des finances publiques. »

Après avoir vécu quarante et un ans avec le même président, les Gabonais semblent aussi vouloir remettre en cause la durée du mandat présidentiel. « Il faut le ramener de sept à cinq ans, renouvelable une fois », suggère un avocat. « Et puis, il faut renforcer les libertés publiques. En démantelant, par exemple, toutes les caméras de surveillance qui ont été installées à Libreville sans qu’aucune instance ait été consultée pour garantir le respect des libertés des citoyens », s’indigne-t-il. La tâche ne s’annonce pas facile.

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