Ali Bongo Ondimba, l’héritier

À peine élu, avec 41,7 % des voix, contesté par ses adversaires, le nouveau président du Gabon semble déjà au pied du mur. Face à une population avide de changement, les défis qui l’attendent sont immenses. Bref, le plus dur commence.

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Publié le 8 septembre 2009 Lecture : 10 minutes.

Ali Bongo Ondimba (ABO), 50 ans, est donc devenu le troisième président de l’histoire du Gabon (Rose Francine Rogombé était chef de l’État par intérim, NDLR). « Baby Zeus », comme on le surnommait du vivant de son père, poursuit son irrésistible ascension. Tous les dix ans, il gravit un échelon de la hiérarchie politique de son pays : ministre des Affaires étrangères en 1989, ministre de la Défense en 1999, président de la République en 2009.

Élu au forceps avec 41,73 % des suffrages, contre 25 % à chacun de ses deux challengeurs, André Mba Obame (25,88 %) et Pierre Mamboundou (25,22 %), au cours d’un scrutin contesté par ces derniers (qui ont tous deux revendiqué leur victoire respective, avec des chiffres contradictoires), ABO hérite d’une succession extrêmement délicate. Parce qu’il est l’héritier naturel d’un système usé et, désormais, rejeté. Parce qu’il devra incarner le changement tout en contentant ses nombreux soutiens issus de ce vieux système. Parce que le moindre de ses faits et gestes sera épié et décortiqué. Parce que sa légitimité est contestée et le socle de son pouvoir fragile (ses deux principaux opposants représentent plus de la moitié des voix et doivent certainement regretter de ne pas avoir présenté un front uni). Mais aussi, et surtout, parce que les attentes des Gabonais et leurs exigences sont telles qu’on voit mal comment elles pourraient être satisfaites à plus ou moins long terme.

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Ce qui attend le nouveau président relève de la gageure. Il faut remettre le pays en marche après des années de léthargie, changer les mentalités, moderniser l’État, rationaliser son fonctionnement, moraliser les mœurs politiques et financières, préparer l’avenir. Et affronter l’urgence : une économie en crise et des besoins sociaux énormes. Les ressources pétrolières sont en baisse, la diversification économique est un mirage. Le chômage ne cesse de s’aggraver, les grèves rythment le quotidien des Gabonais depuis des années, des secteurs clés comme l’éducation ou la santé sont exsangues. Conséquence : les conditions de vie de la population vont en se dégradant depuis une décennie. Les Gabonais sont usés. Aucune chance qu’ils fassent montre de la même patience qu’avec son père, qu’ils craignaient, voire respectaient. Bref, pour Ali, le plus dur commence. Bon courage, monsieur le Président… 

Déception, révolution avortée et transition

Cette élection, une grande première dans l’histoire du Gabon, était censée tourner la page des années Omar Bongo Ondimba (OBO) et constituer un grand moment de démocratie. Dix-sept candidats en lice, un système de contrôle arraché de haute lutte par l’opposition en 2006 (chacun des protagonistes a accès aux doubles des procès-verbaux issus des 2 800 bureaux de vote, NDLR), deux anciens ministres de l’Intérieur en lice (André Mba Obame lui-même et Louis Gaston Mayila dans le camp Mamboundou), tous deux experts en élections truquées et donc vigilants, des candidats de poids face au Parti démocratique gabonais (PDG), un champ médiatique relativement ouvert aux différents protagonistes et une participation devant battre tous les records…

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Même si la campagne, organisée dans la précipitation en raison du court laps de temps entre le décès d’OBO et le scrutin, n’était pas propice aux débats de fond, on a assisté à un bien triste spectacle. Les candidats, pas préparés, manquant de moyens humains et financiers, ont alterné voyages à Canossa pour les caciques de l’ancien régime, attaques personnelles nauséabondes, incitation à la violence, pas de danse et promesses mirifiques. La présidentielle du 30 août est loin d’avoir répondu aux espérances. Au total, seuls 357 000 des 807 000 inscrits ont voté. Le nouveau chef de l’État recueille 141 900 voix, André Mba Obame 88 000 et Pierre Mamboundou 85 800. Pas de quoi pavoiser…

Le Gabon, qui rêvait d’alternance ou à tout le moins de changement, entre dans une époque de transition. Une transition entre le Gabon d’hier, qui plonge ses racines dans l’ère coloniale, et celui de demain, dont personne ne peut dire à quoi il ressemblera. Pouvait-il du reste en être autrement, compte tenu des immenses intérêts en jeu ? Ceux de la pléthorique famille Bongo elle-même, ceux de tout un système et de ses affidés en place depuis des lustres, ceux, aussi, économiques et politiques de la France officielle, qui n’a jamais vraiment caché sa préférence pour une certaine continuité que ne pouvait incarner, entre autres, un Pierre Mamboundou, jugé incontrôlable. Seule avancée notable, le rajeunissement prévisible et le renouvellement du personnel politique. Le président élu et le deuxième du scrutin n’ont que la cinquantaine. 

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Itinéraire d’un enfant gâté

« Quand je m’en irai, si mon fils veut faire de la politique, ce sera à lui de se débrouiller, de se faire élire au suffrage universel. Les gens ne voteront pas pour lui parce que c’est mon fils », expliquait feu Omar Bongo Ondimba dans une interview à Jeune Afrique en 2005. Ali Bongo Ondimba a retenu la leçon du père et les enseignements du maître. Il s’est débrouillé. En utilisant le système, avec certes des moyens financiers nettement supérieurs à ceux de ses concurrents, mais aussi à sa manière. Celui que l’on disait timide, peu loquace, voire taciturne, a su – merci les conseillers – montrer un autre visage, sachant tenir meeting, décontracté et parfois drôle. Il faut dire que le personnage et son parcours sont atypiques. Peut-être préfigurent-ils une nouvelle génération de dirigeants africains, différents de leurs aînés, peu comparables en termes de stature, moins madrés, moins familiers de leur pays, moins experts en géopolitique africaine, mais plus modernes et plus ouverts.

Né Alain Bernard Bongo avant de prendre le prénom d’Ali lors de la conversion de la famille à l’islam, en 1973, ABO est le fruit de l’union, célébrée en 1959, entre son futur président de père et la chanteuse Joséphine Nkama, plus connue sous son nom de scène de Patience Dabany.

Né le 9 février 1959 à Brazzaville, où son père effectue son service militaire dans l’armée française, il est envoyé très tôt en France. Études secondaires au collège Sainte-Croix de Neuilly-sur-Seine, une banlieue huppée de la capitale, puis cursus de droit à l’université de Paris I — Panthéon-Sorbonne. Son doctorat en poche, il revient au pays dans les années 1980 et intègre le cabinet de son père en 1987. « Ce n’est pas parce qu’ils sont fils ou filles de président qu’ils ne doivent pas pouvoir occuper d’importantes fonctions », expliquait alors OBO. Mais le plus en vue des enfants Bongo avec sa (demi) sœur Pascaline, qui gravira une à une les marches du pouvoir jusqu’à devenir chef de l’État, aurait très bien pu emprunter d’autres chemins que celui de la politique, comme nombre de ses frères.

Ce passionné de musique soul-funk américaine, ami et fan d’un Michael Jackson mort peu de temps après son père et enterré le jour de sa victoire, a ainsi enregistré, en 1977, un album aujourd’hui oublié intitulé A Brand New Man, produit par l’ex-manageur de James Brown, Charles Bobbit. Il joue encore aujourd’hui de la guitare et du piano, et compose des musiques pour, entre autres, sa mère, Patience Dabany. Le salon de son domicile de la Sablière, quartier chic et résidentiel de Libreville, ressemble d’ailleurs davantage à un studio d’enregistrement équipé des technologies dernier cri qu’à l’antichambre d’un homme de pouvoir… Ses talents artistiques lui ont d’ailleurs bien servi pendant la campagne électorale, où il n’était pas rare de le voir chanter, danser et rapper, chauffant la salle micro à la main.

Mais celui qui expliquait dans une interview à Jeune Afrique, début août (voir J.A. n° 2536-2537), avoir attrapé le virus de la politique au début des années 1990 auprès de son père a finalement préféré les ors de la République et les bureaux du Palais du bord de mer aux salles de concerts. Au grand dam de ses adversaires et de ceux qui ambitionnaient, un jour ou l’autre, de succéder au « vieux ». Comme pour Karim Wade au Sénégal, dont Ali est proche, les ambitions des fils « génétiques » se heurtent souvent à celles des fils « spirituels ». Et comme les pères éprouvent toutes les peines du monde à réfréner les instincts de pouvoir de leur progéniture, ils entretiennent généralement le flou, assurant que c’est au peuple de choisir, tout en donnant à leurs enfants les atouts nécessaires pour s’ouvrir les portes du Palais.

Pour Ali, ce sera le fabuleux carnet d’adresses aux allures de Who’s Who international d’OBO et le très stratégique ministère de la Défense, où, pendant dix ans, il tissera sa toile, installera ses hommes et se construira un bilan. Seul frein aux ambitions des « petits », l’incapacité viscérale des « patrons » à s’effacer devant eux comme devant d’autres dauphins présumés. Préparer l’avenir et la sortie, cela n’existe pas en Afrique. Et si Ali rejoint deux autres « fils de » à la tête d’une république du continent – le Congolais Joseph Kabila et le Togolais Faure Gnassingbé –, aucun de leur géniteur n’a jamais désigné de manière claire – et encore moins publique – son successeur. Après moi, le déluge… 

Le clan Ali

Ali Bongo Ondimba s’est appuyé, pour son élection, sur la formidable machine électorale laissée par son père, le PDG. Si certains barons de l’« ancien régime » ont tourné casaque pour soutenir André Mba Obame, Pierre Mamboundou ou Zacharie Myboto, si d’autres ont tout simplement préféré rester en retrait et se contenter du service minimum pour la campagne, la plupart des cadres du parti ont été mobilisés. « Il ne faut pas se leurrer, explique l’un d’eux, beaucoup d’entre nous n’avaient pas d’affinités particulières avec Ali. Nous étions persuadés qu’il serait extrêmement difficile de le faire élire. Mais nous l’avons fait en grande partie pour son père, en mémoire de tout ce qu’il a fait pour nous. Il faut avouer également que nous étions confrontés à un choix cornélien lors de la bataille pour l’investiture du parti : c’était soit Ali, soit un Fang [Jean Eyeghe Ndong, André Mba Obame et Casimir Oyé Mba étaient aussi candidats, NDLR]. Nous avons choisi le moins risqué… »

D’autres, qui n’avaient jamais été particulièrement pro-Ali, n’ont pas économisé leurs efforts. Par choix personnel ou par pur opportunisme, persuadés qu’ils étaient qu’Ali succéderait à OBO. Parmi les champions du zèle, la ministre de la Communication, Laure Gondjout, qui a été jusqu’à dresser une liste noire des journalistes étrangers trop critiques à l’égard du poulain du PDG. Si quelques malins ont pu échapper aux mailles du filet qui les attendait à l’aéroport de Libreville, une grande majorité de ces « interdits de séjour » a dû suivre l’élection devant la télévision…

Au sein de l’armée, Ali peut compter sur le soutien sans faille du chef d’état-major général, Jean-Claude Ella Ekogha, un Fang formé à Saint-Cyr, sur Grégoire Kouna, cousin et patron de la garde républicaine, et sur Rock Ongonga, un autre cousin, qui dirige le régiment parachutiste gabonais (RPG) après avoir été son aide de camp.

Dans l’ombre de l’état-major officiel, on trouve la vraie garde rapprochée d’ABO. Ainsi, son conseiller personnel et ami intime, le Béninois Maixent Accrombessi, qui alimente quelques inimitiés puissantes chez ceux qui n’ont que peu de goût pour les Raspoutines étrangers. Dans les milieux d’affaires, très représentés autour d’Ali, on retrouve aussi quelques (très) proches : Jean-Pierre Oyiba, le directeur général de l’Office des ports et rades du Gabon (Oprag) (dont ABO est président du conseil d’administration, NDLR) ; les hommes d’affaires corses, déjà présents autour de feu OBO, Michel Tomi (groupe Kabi, Afrijet, la Gabonaise des jeux, le PMU gabonais) et André Giacomoni (Gabon Airlines) ; Léon Paul Ngoulakia, cousin d’Ali et directeur général de l’Agence de promotion des investissements privés ; l’assureur français, et conseiller très écouté sous OBO, Edouard Valentin (Ogar Assurances), dont il a épousé la fille, Sylvia, en 2000.

Pour la campagne, Ali a eu recours aux services de Michael Moussa, sorte de gourou du marketing politique, ainsi qu’à ceux du sénateur PDG de Tchibanga Germain Ngoyo Moussavou, ancien patron du quotidien L’Union, ex-ministre et proche collaborateur de son père, rencontré lors de la bataille qui fit rage au sein du parti au milieu des années 1990 entre les « rénovateurs » d’Ali (dont André Mba Obame) et la vieille garde du PDG. 

Larmes discrètes

ABO s’appuiera-t-il sur ses proches pour constituer son gouvernement ? Préférera-t-il les garder dans l’ombre ? Pourra-t-il « remercier » tous ceux qui ont contribué à son élection ? Ali assure qu’il a déjà prévenu les uns et les autres que « les temps ont changé et qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde ». De plus, s’il veut asseoir son pouvoir et élargir sa base fragile, il devra rassembler, donner des signes d’ouverture et, peut-être, pardonner à certains « anciens amis » qui l’ont malmené durant la campagne. Il se murmure même qu’il pourrait tenter des coups « à la Sarkozy » en allant piocher dans les rangs de l’opposition. Il est vrai qu’au Gabon on a l’habitude…

Quelle que soit l’équipe dont il s’entourera, le nouveau président sait que, pour lui et son pays, tout reste à faire. Les premiers signaux qu’il enverra permettront d’en savoir un peu plus sur son état d’esprit et sur sa méthode.

Après la grande fiesta donnée le 3 septembre au Beach Club, resort chic de la Sablière aux allures de « Fouquet’s gabonais », pour célébrer comme il se doit la victoire, après les discrètes larmes versées au QG de campagne à l’annonce des résultats, Ali Bongo Ondimba aura quelques jours – l’investiture est prévue vers le 20 septembre, le temps que la Cour constitutionnelle examine les recours – pour se préparer et s’installer au Palais du bord de mer. Dans le bureau de son père…

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