Ramadan : jackpot pour les télévisions du Maghreb

L’Algérie, le Maroc et la Tunisie vivent au rythme du ramadan depuis le 22 août. Régies télé, agences de production et marques profitent de ce mois exceptionnel avec un marché de la pub qui explose de 40 %.

Publié le 10 septembre 2009 Lecture : 6 minutes.

À l’heure du ramadan
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À l’heure du ramadan

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Record battu, le 23 août dernier  : 299 minutes – quasi 5 heures – de publicité ont été diffusées sur le petit écran tunisien lors du deuxième jour du mois de ramadan, selon le cabinet d’études Sigma Conseil. Les pays voisins ne sont pas en reste. Au total, près de 200 heures de pub seront diffusées d’ici à la fin du mois dans les trois pays du Maghreb – cinq fois plus qu’un mois « normal ». Ces records sont révélateurs de ce mois d’exception, qui n’est plus seulement celui du jeûne ou du recueillement spirituel, mais aussi celui de l’hyperconsommation. Au Maghreb, on ne dépense jamais autant que durant le ramadan. Et pour doper leurs ventes les annonceurs investissent massivement le petit écran : près de 75 millions d’euros pour ce cru 2009 (+ 40 %).

Là réside l’exception « ramadanesque » de la publicité : la prééminence de la télévision. « Le ramadan, c’est le Super Bowl du Maghreb », explique non sans humour Stéphane Martin, directeur délégué du Syndicat national français de la publicité télévisuelle (SNPTV), qui connaît bien le secteur au sud de la Méditerranée. « C’est le seul mois de l’année où l’on regarde les chaînes locales », témoignent un Algérien et un Tunisien. Bien que le paysage audiovisuel diffère d’un pays à l’autre, le comportement des téléspectateurs maghrébins se révèle homogène, calqué sur le même rituel. La rupture du jeûne, signalée à la fois par les haut-parleurs des mosquées et par la télévision, se fait en famille. Devant son poste, allumé une grande partie de la nuit tant se multiplient les agapes entre ftour et shour, on consomme « local ». Exit les arabes MBC, Al-Jazira, ou encore les françaises M6 ou TF1, évincées par 2M et Al-Aoula au Maroc, ENTV et A3 en Algérie, Tunis 7 et Hannibal TV en Tunisie. Les programmations « spécial ramadan » chamboulent le prime time, ajusté à l’heure du ftour, mettant l’accent sur les traditions, l’humour et les valeurs propres à chaque pays. Toutes font la part belle aux productions locales, feuilletons, sitcoms et autres « capsules » (sketchs et caméra cachée notamment), en plus des feuilletons turcs ou moyen-orientaux dont les Maghrébins sont friands.

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Du coup, les audiences quotidiennes explosent – celle de l’ENTV algérienne se voit triplée. Conséquence : « Si l’audience est là, la publicité aussi », dixit Stéphane Martin. À peine passé l’annonce du ftour, le préambule religieux de rigueur, qui marque le réveil du petit écran, laisse place à de longs tunnels de publicité, jusqu’à 18 minutes en continu : 27 coupures pub en moyenne chaque jour au Maroc au lieu de 18 en temps normal, 23 en Algérie au lieu de 12, et 17 en Tunisie au lieu de 10 (chiffres Sigma Conseil). Au total, ce sont plus de 68 heures de publicité au Maroc et plus de 61 heures en Algérie qui seront diffusées durant ramadan (au lieu de 16 et 11 heures de moyenne mensuelle en 2009). La palme revient à la Tunisie, eu égard à sa taille, avec plus de 69 heures de pub, au lieu de 13 heures. 

Matraquage… alimentaire

Côté annonceurs, priorité est donnée au prime time (18 h 30-21 heures). « Sinon vous avez peu de chances d’être vu », assure Mohamed Haoues, à la tête de l’Institut d’études algériennes (IEA). « Face à des programmes qui fédèrent 80 % de l’audience, il est impératif d’être présent », insiste Khaled Aouij, fondateur du portail Internet tunisien Pros de la Com. Difficile d’ignorer Vanoise en Tunisie, Mobilis en Algérie ou Wana au Maroc, qui bombardent de leurs spots les téléspectateurs. Si les opérateurs de téléphonie mobile continuent de figurer au palmarès des publicités les plus diffusées, en particulier au Maroc, ils font une place à l’agroalimentaire – huiles, levures, biscuits et autres sucreries – comme Nejma en Tunisie ou Cevital en Algérie, café Facto, farine Sim ou levure Nouara en Algérie… « Certaines marques locales ne communiquent que pendant ramadan », souligne Riad Aït Aoudia, patron de MediAlgeriA, une centrale d’achat. La période est aussi idéale pour lancer un nouveau produit, à l’instar de La Rose Blanche. Voilà deux ans, La Vache qui rit en a également profité pour lancer Chef, en Algérie. Signe de cette appétence pour le mois de jeûne, « les annonceurs acceptent d’investir davantage », reconnaît le patron d’Ulysson, le producteur Riadh Thabet. Leur budget pub s’envole de 25 % à 60 % pendant cette période. À défaut de doper leurs ventes, les marques tentent d’asseoir leur capital notoriété. À coups de matraquage : 22 spots par jour pour les biscuits Major, propriété de Sotubi, qui a renouvelé son contrat avec le champion olympique de natation Oussama Mellouli – soit un investissement d’au moins 80 000 dinars tunisiens (DT) quotidiens. Autre prédilection des marques : le sponsoring des programmes les plus cotés. À l’instar de Mobilis, qui a déboursé 60 millions de dinars pour Djemaï Family, une sitcom de 25 minutes – sur un total de 265 millions de dinars algériens (DA) d’achat d’espace télé.

Premières bénéficiaires de cette manne d’exception, les régies publicitaires des chaînes de télévision. Le seul ramadan pèse jusqu’à 20 % de leur chiffre d’affaires annuel ! Mieux, « le chiffre d’affaires brut de l’ENTV avoisine les 65 millions de DA [644 000 euros] par jour pendant le ramadan, contre 10 millions de DA [99 000 euros] en temps normal », indique Mohamed Haoues, qui, sur cette base, évalue, hors remises, à 1,9 milliards de DA (19,5 millions d’euros) son chiffre d’affaires brut pour le ramadan. Côté tunisien, le feuilleton Maktoub, de Sami Fehri, entrecoupé d’une rafale de 12 minutes de réclame non-stop, concentre 22 annonceurs à lui seul. Un vrai jackpot pour la chaîne historique Tunis 7, qui en diffuse la saison 2. Même le Maroc, qui a souffert d’une baisse de ses investissements publicitaires au cours du premier semestre 2009, sauve les meubles. « Pour l’heure, affirme Zoheir Zrioui de la chaîne 2M, nous constatons une légère augmentation par rapport au ramadan 2008. » Assaillies de demandes et courtisées par les annonceurs, les régies n’hésitent pas à gonfler leurs prix : pour un spot de 30 secondes en prime time, il vous en coûtera 7 300 euros au Maroc au lieu de 5 800 euros, 4 000 euros en Algérie au lieu de 3 300 euros, et 2 400 euros en Tunisie au lieu de 1 600 euros. Mais gare à ne pas trop affûter les prix. Ayant carrément doublé ses tarifs, l’ENTV a été boycottée par les annonceurs lors du ramadan 2007, et la manne s’est tarie : 5,5 millions d’euros seulement pour ce mois de jeûne, bien loin des 12,7 millions d’euros de l’année suivante. 

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Les producteurs à l’offensive

Période faste aussi pour les sociétés de production audiovisuelle. Riadh Thabet le reconnaît : « C’est un tiers de mon chiffre d’affaires annuel. » Voire 40 % pour d’autres. D’ordinaire peu offensifs, les producteurs maghrébins mettent les bouchées doubles. « J’ai imaginé la série spécialement pour le ramadan », avoue Riadh Ghariani, le concepteur de Tunis 2050, la série animée en 3D qui fait le bonheur d’Hannibal TV. Surtout, ce programme a inauguré une stratégie nouvelle, le placement de produits : les personnages font leurs courses à Carrefour, mangent un yaourt Danone, etc. « Il y a tant d’encombrement publicitaire lors du ramadan que les marques cherchent une nouvelle visibilité, explique Ghariani. Plusieurs sponsors étaient intéressés, mais notre convention avec Hannibal TV fixe la limite à trois » : Délice Danone, Moulin et la SNBG. Il précise : « Pour un projet comme le nôtre, les sponsors sont indispensables. » Financièrement parlant, s’entend : le sponsoring « est plus cher qu’un spot classique », mais motus et bouche cousue sur les revenus générés par la série.

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Que révèle cette inflation publicitaire ? « Qu’il y a de la place pour une vraie industrie de la production audiovisuelle, s’enflamme Hassen Zargouni, le patron de Sigma Conseil. Le seul moyen d’éviter l’encombrement durant le ramadan, c’est de démultiplier les médias et que ceux-ci déploient une offre forte, à même de fédérer une audience le reste de l’année. » Logiquement viendront ensuite les annonceurs.

Pour l’heure, tel n’est pas le cas, à part au Maroc. La fin de ramadan sonnera la fin de la récréation publicitaire en Tunisie et en Algérie. À son tour, la publicité subira un jeûne drastique. Budgets épuisés et régies gavées vont se mettre au régime, au moins jusqu’à la fin 2009. Jusqu’au ramadan 1431 ? 

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