Côte d’Ivoire : Security business

Avec 300 sociétés en activité, le secteur explose. Anciens militaires, policiers ou gendarmes à la retraite, hommes politiques et businessmen lorgnent avec convoitise un marché que l’État entend réguler.

Publié le 8 septembre 2009 Lecture : 4 minutes.

Quartier résidentiel de Marcory zone 4, au sud d’Abidjan. Un Hummer et un Dodge double cabine arrivent à toute vitesse et se garent, moteurs en marche, devant un commerce. Plusieurs hommes vêtus de combinaisons jaune et noir, s’éjectent littéralement des deux véhicules, armes au poing. Il ne s’agit pas du tournage d’un film d’action. Mais d’une intervention en règle d’une compagnie de sécurité à Abidjan. Une scène qui a tendance à se multiplier dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire.

La crise armée de septembre 2002 a favorisé l’insécurité et, par là même, l’éclosion de sociétés privées de sécurité. Les Français et les communautés étrangères vivent dans des îlots depuis les événements de novembre 2004 et font appel à ces entreprises pour sécuriser leurs habitations. Un business juteux puisque de plus en plus de monde, des entreprises aux particuliers, recourt aux services de ces sociétés. Ce secteur, monté en puissance dans une économie étranglée par la guerre, est même devenu l’un des plus gros pourvoyeurs d’emplois dans le pays. Les étudiants diplômés s’y bousculent en attendant de trouver un emploi plus adapté à leur formation. En 2005, l’activité comptait 35 000 salariés et une centaine de sociétés. Aujourd’hui, selon les statistiques du patronat, plus de 300 entreprises sont en activité dans ce domaine, tournant avec un effectif d’environ 50 000 agents, qui ne passent pas inaperçus avec leurs tenues jaune et noir, les couleurs imposées par l’État. Le chiffre d’affaires de la profession aurait avoisiné les 50 milliards de F CFA (76,2 millions d’euros) en 2008, et les professionnels prévoient une croissance de l’activité de 15 % cette année. Les gros clients sont les filiales des multinationales, les organisations onusiennes, les ambassades, les sociétés d’État et les grandes surfaces. « Nos budgets de sécurité sont passés du simple au double et les entreprises se font du beurre avec la situation qui prévaut dans le pays », explique un membre du staff de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). 

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D’importants investissements

La bonne santé du secteur explique les énormes investissements en moyens logistiques de pointe et en équipements ultramodernes. Matériels de vidéosurveillance et de télécommunication radio VHF, véhicules de patrouille et 4×4 d’intervention de marques américaines, camions de transport de troupes, grosses motos de liaison, fusils à pompe, revolvers gomm-cogne, matraques électriques et détecteurs de métaux sont jalousés par la police et la gendarmerie. « Les sociétés privées de sécurité ont les moyens d’intervenir en dix minutes là où la police interviendrait en trente minutes ou une heure », se rassure un chef d’entreprise. D’ailleurs, l’État, qui manque de moyens, leur confie discrètement des missions particulières comme l’intelligence économique et militaire ainsi que la garde rapprochée de personnalités et la surveillance de sites sensibles.

Évidemment toutes les entreprises n’ont pas la même force de frappe et les sociétés étrangères ou détenues par des expatriés sont en pole position. La filiale de la multinationale anglaise G4 Securicor se taille une part importante du marché. Le groupe, qui emploie 3 000 personnes, a réalisé en 2009 un chiffre d’affaires de 7 milliards de F CFA. « Nous ne comptons pas nous arrêter à ce niveau, notre objectif est de réaliser une progression de notre activité d’au moins 10 % cette année », confie un membre de la direction du groupe. Le leader G4 Securicor est suivi de Risk group et de Vision. Ces deux sociétés fondées par Frédéric Lafont, légionnaire français à la retraite, tournent avec un effectif de 2 000 personnes et possèdent des dizaines de véhicules tout-terrain, une centaine de motos, deux avions et deux vedettes. En 2005, l’homme d’affaires ivoirien Charles Kader Gooré a racheté au Français Daniel Coin la société Omeifra Afrique, l’une des grandes entreprises du secteur. Mais sa proximité affichée avec le régime en place lui a fait perdre le contrat de la sécurisation de l’ambassade de France. Omeifra Afrique emploie toujours plus de 1 200 agents et réalise un chiffre d’affaires entre 3 et 4 milliards de F CFA.

Des sociétés créées par des nationaux concurrencent de près les leaders. Comme Bip Assistance, du général Tanny Ehueni, ancien commandant supérieur de la gendarmerie, qui a connu ses heures de gloire à la fin des années 1990. La société de ce proche de l’ex-président Henri Konan Bédié, qui avait presque tous les marchés d’État, essaie tant bien que mal de se maintenir dans le peloton de tête. D’autres entreprises, telles que MBS Security, Guardian’s, 911 Sécurité, Flash, Lavegarde, Vigassistance, SMO, etc., rivalisent avec les premières citées. Et selon la rumeur, des politiques et des proches du régime auraient monté des entreprises pour « caser » d’ex-miliciens oisifs, qui pourraient servir à tout moment de « supplétifs » de l’armée. Mais il est difficile d’identifier les vrais propriétaires derrière les prête-noms. 

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Créer de nouveaux services

Pour se développer dans cet environnement très concurrentiel, les sociétés rivalisent d’ingéniosité pour créer de nouveaux services. À côté du traditionnel métier de gardiennage, des services comme l’escorte, la garde rapprochée, le convoyage de fonds, l’audit de sécurité, la surveillance avec des chiens et la sécurité événementielle ont fait leur apparition. Des plans de formation sont élaborés pour mettre à niveau les agents. En 2007, L’Association professionnelle des banques et établissements financiers de Côte d’Ivoire (APBFCI) a sollicité les sociétés de sécurité pour mettre en place une stratégie de sécurisation des transferts de fonds confiée au français Risk group. Depuis, les braquages sont en forte diminution.

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Et le filon n’est pas près de se tarir. « Les gens ont toujours besoin de sécurité et la fin de la crise par l’élection d’un nouveau président de la République ne le fera pas disparaître. Nous sommes confiants en l’avenir, nous n’avons aucune crainte pour le métier. Les perspectives sont bonnes », explique Frédéric Lafont, l’administrateur-gérant de Risk group, le visage radieux.

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