Paiements : quand la téléphonie mobile vole au secours des banques

Régler ses achats, ses factures ou opérer un virement grâce à son portable. L’idée gagne du terrain. Un marché prometteur qui attise les rivalités entre les opérateurs, les établissements financiers et les sociétés de services.

Publié le 8 septembre 2009 Lecture : 6 minutes.

Les paiements par téléphone mobile sont-ils la nouvelle « frontière stratégique » des banques, des établissements financiers et des opérateurs télécoms dans les pays francophones de l’Afrique subsaharienne ? En tout cas, de nombreux acteurs, qui avaient multiplié les effets d’annonce au début de cette année, lancent désormais des produits permettant aux usagers de transférer de l’argent, de payer leurs factures et de régler leurs achats par l’intermédiaire de leur téléphone portable.

L’importance de l’enjeu saute aux yeux. Le taux de bancarisation dans les pays africains est l’un des plus faibles du monde. S’il atteint 99 % dans certains pays industrialisés, de 50 % à 60 % au Maghreb, il ne représente qu’entre 3 % et 7 % dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), selon le rapport 2007 de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Et pour cause : le secteur financier formel ne s’est pas vraiment démocratisé depuis les indépendances. Mais aujourd’hui, la téléphonie mobile peut faciliter l’essor rapide de la bancarisation en Afrique. D’introduction bien plus récente, elle se distingue par une croissance forte : 58,5 % des Africains se trouvaient à la portée d’un signal mobile en 2008 contre 25 % en 2000, selon le dernier rapport de l’Union internationale des télécommunications. Et l’on comptait 246 millions d’abonnements sur le continent en 2008 contre 100 millions en 2006, soit une progression de 146 %.

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Dans ce contexte très ouvert, qui, des compagnies de téléphonie mobile, du monde de la finance ou des sociétés indépendantes (d’ingénierie principalement), tirera son épingle du jeu et prendra la tête de ce marché encore largement en friche ? Après un lancement hypermédiatisé, le 4 décembre 2008, Orange Money est entré en phase d’exploitation en Côte d’Ivoire, où la mascotte du produit – un petit bonhomme virtuel qui marche les mains dans les poches en sifflotant – figure désormais sur des centaines de panneaux publicitaires. Et des déploiements sont annoncés pour les prochains mois au Sénégal, au Mali et au Cameroun.

Fonctionnel depuis le mois de juin en Côte d’Ivoire, dans une sorte de version « bêta test », le produit Mobile Money de MTN est présenté comme très prometteur. « Nous avons refusé de mettre la charrue devant les bœufs en communiquant trop fortement dès le départ. Nous avons voulu tester la robustesse de notre plate-forme en proposant le service uniquement aux clients venant dans nos agences pour d’autres besoins, et auxquels nous présentons notre innovation. Malgré notre discrétion, nous avons explosé nos prévisions », affirme une source interne. Les déconvenues de Mobile Money en Ouganda, où le lancement a eu lieu en février dernier, sont dans tous les esprits : dans ce pays, la ruée des usagers a créé de nombreuses défaillances techniques et humaines. Au Cameroun, des équipes travaillent déjà sur le déploiement de Mobile Money. Le site Internet de MTN Bénin fait déjà la promotion de ce service, tout en signalant qu’il n’est pas encore disponible dans le pays. 

Safaricom joue les pionniers

Pourquoi se lancer dans le secteur du paiement mobile ? La question suscite des débats dans le secteur des télécoms. L’intérêt est-il de fidéliser et de recruter de nouveaux usagers grâce à un service pouvant être assimilé à du « social business », ou alors de capter durablement une nouvelle source de revenus avec les commissions générées par les différentes transactions ? « Les marges sont bien plus faibles que sur le créneau de la voix, l’activité traditionnelle des entreprises de télécommunications », constate un observateur, qui justifie le retard de nombreux chantiers par le scepticisme de certaines compagnies quant au potentiel du nouveau marché.

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Tous les regards sont tournés sur M-Pesa, service pionnier lancé par Safaricom au Kenya en 2007, et qui bénéficie déjà d’un réseau de 9 000 agents et de 60 entreprises l’autorisant à recouvrer leurs factures. Selon le dernier rapport annuel de l’entreprise, il a enregistré 6 180 000 utilisateurs durant l’exercice 2008-2009, contre à peine 2 millions durant l’année financière – de mars à mars – précédente. Seulement, le rapport ne révèle pas quelle est la part de M-Pesa dans les résultats de Safaricom. Le constat est que le revenu moyen par utilisateur (Arpu) a baissé de 24,4 % dans les premiers mois de l’année financière 2008-2009, en raison de la concurrence de plus en plus agressive des nouveaux venus Orange et Zain.

Un professionnel d’Afrique de l’Ouest réfute les arguments des sceptiques en prenant un exemple. « Au Togo, les transferts d’argent de la diaspora représentent 10 % du PIB du pays. Quel que soit le pourcentage des commissions des intermédiaires, cela fait beaucoup d’argent. Et je ne compte ni les transferts de la ville au village, fréquents dans nos cultures, ni des opportunités comme les petits salaires et les pensions des retraités », argumente-t-il.

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Autre question : celle du rapport des opérateurs avec les banques, qui doivent garantir les différentes transactions, en tant qu’émettrices agréées de monnaie électronique. Les filiales du groupe BNP Paribas en Côte d’Ivoire (Bicici), au Sénégal (Bicis) et au Mali (Bicim) sont les partenaires stratégiques – et exclusives – des opérations Orange dans le cadre des services de paiement mobile. MTN, de son côté, a choisi une autre option : contracter des partenariats non exclusifs avec plusieurs banques, établissements financiers et institutions de la microfinance. Objectif : étendre au maximum son réseau de distributeurs. De son côté, Orange a lancé en Côte d’Ivoire une politique d’attribution de franchises à des PME indépendantes qui renforceront son maillage du territoire.

Mais les opérateurs, malgré les solutions différentes mises en place et la concurrence féroce qu’ils se livrent, ne pourront échapper à la question sensible de l’interopérabilité des réseaux. Un abonné Orange pourra-t-il envoyer de l’argent à un abonné MTN ? « La BCEAO préconise des solutions interopérables. Pourtant, le modèle adopté par tous les opérateurs est un modèle plutôt fermé, à des fins de recrutement de nouveaux clients. Or celui qui adoptera la solution la plus ouverte gagnera la bataille », analyse un professionnel du secteur.

Reste que l’univers de la finance et des banques – ces dernières sont déjà dans une logique d’interopérabilité à travers le Groupement intermonétique de l’UEMOA (GIM-UEMOA) – a aussi des atouts à faire valoir. Même si les banques africaines font souvent preuve de conservatisme, les métiers d’argent sont leur domaine. Créée en 2005 en Afrique du Sud, Wizzit Bank, une filiale de la South African Bank of Athens Limited, qui fournit des services bancaires uniquement par mobile aux populations pauvres des zones urbaines et rurales, comptait 250 000 clients et disposait d’un réseau de 3 000 distributeurs (les « wizzkids ») fin 2008.

Au Cameroun, la société Express Union, partenaire de MoneyGram, qui part avec l’avantage d’un réseau dense, y compris dans les zones rurales, est la première à avoir lancé une solution qui permet à ses clients de transférer de l’argent sans se déplacer, uniquement à travers un SMS. Pour l’instant, toutefois, elle n’a pas développé d’application permettant de réaliser des achats ou de régler des factures via le mobile. 

Les SSII en embuscade

Enfin, les intégrateurs de solutions peuvent également jouer un rôle en fédérant des institutions financières autour de leurs solutions. En Côte d’Ivoire, par exemple, la société Etranzact, spécialisée dans les plates-formes de paiement électronique, a déjà conclu un accord avec deux banques – Versus Bank et BIAO – pour l’utilisation d’une carte à puce prépayée et d’un produit de paiement mobile. Le problème : la solution Etranzact passe par une application Java nécessitant la collaboration des opérateurs. Pour l’instant, seul le challengeur Koz joue le jeu, alors qu’une deuxième compagnie serait sur le point de signer.

En Côte d’Ivoire, deux PME se sont aussi lancées dès la mi-2008 : Celpaid et Scash. Depuis, elles ont plus ou moins suspendu leurs activités. Les entraves sont en effet nombreuses pour les « pure players ». Elles doivent disposer, au point de vue réglementaire, du précieux statut d’émetteur de monnaie électronique délivré par la BCEAO. Et, de plus, mettre en place un réseau de distribution puissant et disposer d’assez de fonds propres pour mener une campagne de communication d’envergure.

Un marché d’autant plus difficile que les multinationales solidement installées dans le secteur du transfert d’argent n’ont pas dit leur dernier mot. Western Union – qui a annoncé, le 24 juillet, un accord de partenariat global avec Zain – veut se poser en « agrégateur » de solutions de paiement mobile à travers son programme « Digital Vendor Program ».Ce dernier vise notamment à certifier les offres techniques et commerciales existantes, comme la plate-forme de Fundamo, utilisée par MTN, déjà validée, et à les distribuer dans son réseau de 334 000 agents dans 200 pays et territoires. Le 3 août, MoneyGram a annoncé un accord de partenariat avec Affinity Global Services, spécialisée dans les plates-formes pour services financiers mobiles.

Dans ce contexte fait d’innovations et d’incertitudes, les différents acteurs semblent avoir la même obsession : ne pas se laisser marginaliser.

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