Nouvelle-Calédonie : brûlant tour de chauffe
Après les départements d’outre-mer (DOM), c’est au tour de l’archipel océanien de connaître une vague de contestations. Pourtant, dans le Pacifique, où la question de l’indépendance reste cruciale, les racines du conflit sont bien différentes.
La Nouvelle-Calédonie se fait peur. Au cours de ce mois d’août, on y a dénombré un gendarme blessé par balle, des barrages de routes, des manifestations violentes, une grève pas très générale mais à n’en plus finir, six syndicalistes emprisonnés, dont le président de l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE), Gérard Jodar (voir p. 48). Allait-elle revivre les « événements » des années 1980 quand ses communautés kanake (mélanésienne) et caldoche (d’origine métropolitaine) s’étaient retrouvées au bord de la guerre civile ? Allait-elle connaître le même processus qu’en Guadeloupe au début de cette année, avec une grosse colère populaire contre la vie chère, les discriminations subies par les créoles et les promesses non tenues par Paris ? La genèse du conflit calédonien et le profil de ses protagonistes prouvent que l’on n’est ni en 1984 ni à Pointe-à-Pitre.
L’affaire débute avec une pantalonnade. Le 28 mai, plusieurs centaines de militants de l’USTKE envahissent l’aéroport de Magenta. Charges malencontreuses des forces de l’ordre ou déprédations volontaires ? Deux appareils de la compagnie Aircal sont endommagés et ce transporteur obtient, le 29 juin, la condamnation à un an de prison de Gérard Jodar pour « entrave à la navigation ou la circulation d’aéronef ». Le conflit était né du licenciement pour faute grave d’une hôtesse de l’air d’Aircal qui avait prévenu sa mère que son père prenait l’avion avec sa maîtresse. Deuxième syndicat de l’archipel, proche de la CGT, de la Confédération paysanne de José Bové et du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot, l’USTKE s’est fait une spécialité de monter en épingle le moindre conflit social. Là où l’affaire se corse, c’est que le président d’Aircal, Nidoish Naisseline, est indépendantiste, élu de la province des Îles et chef coutumier sur l’île de Maré, d’où est originaire le père volage. Le fondateur et ancien président de l’USTKE, Louis Kotra Uregei, n’est pas moins indépendantiste et également élu de la province des Îles.
Atermoiements
Au-delà de l’aspect Clochemerle de cette embrouille se profile un vrai conflit politique au sein des indépendantistes kanaks. Il y a ceux, comme Nidoish Naisseline, qui ont approuvé les accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998), dans lesquels ils voient une marche lente et responsable vers une autonomie plus forte ou une indépendance maîtrisée, et qui pensent que la Nouvelle-Calédonie doit éviter à tout prix de sortir « par la grande porte de l’indépendance pour rentrer par la petite porte de la mendicité et du Fonds monétaire international », comme le redoutait le père du Front de libération national kanak et socialiste (FLNKS), Jean-Marie Tjibaou, en 1988, au lendemain du drame d’Ouvéa (19 morts indépendantistes, 2 militaires tués).
Et puis il y a les indépendantistes qui piaffent face à ce qu’ils considèrent comme des atermoiements et des compromissions avec le système colonial et capitaliste. Ceux-là se retrouvent notamment au Parti travailliste, annexe politique de l’USTKE, que préside Louis Kotra Uregei et qui a obtenu 33 élus lors des élections municipales de 2008 et 7,97 % des suffrages lors des élections provinciales de mai 2009. À l’approche du référendum sur l’autonomie ou sur l’indépendance qui doit se tenir entre 2014 et 2018, les surenchères se multiplient dans le camp indépendantiste.
Inégalités
Rien à voir donc avec le cas antillais, d’autant que les actions musclées de l’USTKE suscitent un rejet massif de la population calédonienne, alors que toute la Guadeloupe se retrouvait derrière Élie Domota, le charismatique porte-drapeau du LKP. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le 8 août, 25 000 manifestants – toutes ethnies confondues – arpentaient les rues de Nouméa pour protester contre la paralysie économique infligée par l’USTKE et dire leur refus de la répétition des déchirements des années 1980 ; ils étaient soutenus par les partis de droite, le gouvernement calédonien, les chefs d’entreprise et les corps consulaires. Le 22 août, ils n’étaient qu’un millier à défiler à Nouméa sous la bannière de l’USTKE pour demander la libération de Gérard Jodar.
Ce rapport des forces ne doit pas faire illusion : malgré une croissance rapide qui a atteint 5 % par an de 2004 à 2008, le « Caillou » n’est pas au mieux de sa forme. Les inégalités s’accroissent entre les Kanaks qui ont réussi et qui occupent les postes à responsabilités et les tribus déshéritées de la côte Est. Dans la cité de Montravel, à Nouméa, les jeunes Kanaks vivent de petits boulots et voient avec amertume un flux d’immigrants métropolitains accaparer les emplois qualifiés. La lenteur de l’application de l’accord de Nouméa exaspère ceux qui attendaient un drapeau et un nouveau nom pour leur terre afin de proclamer l’identité kanake et une loi pour protéger enfin l’emploi local.
Que l’arrêt de la cour d’appel de Nouméa aggrave la peine d’emprisonnement de Gérard Jodar, ou qu’elle l’allège, le 13 septembre, ne signifiera pas la fin des tensions en Nouvelle-Calédonie. On verra encore souvent les militants de l’USTKE en keffieh se dresser sur les barrages ou assurer des piquets de grève, les jeunes des cités « caillasser » les forces de l’ordre, et les indépendantistes se déchirer. Jusqu’à ce qu’un équilibre politique s’établisse entre les différentes forces qui traversent la communauté kanake.
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