Tunisie : à chacun son été

Si pour une grande partie de la population citadine saison estivale rime avec dolce vita, tel n’est pas le cas pour les citoyens issus des bourgades reculées. Reportage.

Publié le 8 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Les grandes vacances sont, en Tunisie comme partout ailleurs, assez révélatrices. Les gens se laissent aller… pour le meilleur et pour le pire. Il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter et d’observer. L’été 2009 est plus particulier que les précédents. Ramadan oblige – le mois de jeûne a commencé le samedi 22 août –, les familles ont dû boucler tous les grands événements avant cette date. Fiançailles, mariage, circoncision, réussite scolaire ou universitaire, anniversaire de naissance ou de mariage, construction de la dalla (le toit d’une maison), toutes les occasions sont bonnes pour faire la fête. On se rencontre, on boit, on danse, on discute et on devise sur la Tunisie (Ben Ali au pouvoir depuis 1987, l’élection présidentielle et les législatives d’octobre 2009) et sur le reste du monde (l’Irak, la Palestine et, surtout, Barack Obama).

C’est la Tunisie « festivale » qui vit, qui bouge et qui dépense sans compter des millions de dinars chaque jour. Un « petit déj’ » dans un café à la mode coûte entre 5 et 10 dinars par personne (entre 2,6 et 5,20 euros), une table dans une boîte de nuit « plein air » avec une bouteille d’alcool, entre 150 et 300 dinars (entre 80 et 160 euros), une location de voiture, 100 à 150 dinars par jour et une nuitée de salle de fêtes, sans les boissons et les pâtisseries (entre 1 000 et 3 000 dinars). Ajoutez à cela les frais de coiffure (les salons ne désemplissent pas) ou de location de robes de soirée, etc. et vous comprendrez que ces Tunisiens-là vivent largement au-dessus de leurs moyens. Certains aux dépens de leurs riches parents, mais la plupart à crédit. Les banques ont appris à prêter sans rechigner, mais non sans garantie (retenue sur les salaires à venir). Même l’État a vu ses dépenses augmenter : mobilisation des forces de sécurité (des barrages routiers partout dans les villes et près des plages), organisation de nombreux festivals régionaux, en particulier celui d’Aoussou (24 juillet), une fête païenne célébrant le dieu de la Mer et qui a été récupérée pour fêter la gloire de la République (25 juillet). 

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Image d’Epinal

Des milliers de drapeaux ornent les rues et autant de banderoles louent les « grandes réalisations » du « Changement » (qui dure depuis 1987), avec force portraits géants du président de la Répu­blique, imprimés sur du vinyle, dressés le long des avenues et sur les façades des immeubles… Pour les deux millions de touristes venus en juillet et en août, la Tunisie offre l’image d’un pays prospère, qui connaît la joie de vivre et une totale sécurité… Hormis quelques accidents de la route, qui ne peuvent pas passer inaperçus, et des noyades, signalées par l’arrivée des ambulances, on ne sait pas grand-chose de ce qui se passe dans le pays. Les informations se limitent aux activités présidentielles, aux matchs de foot et aux galas. Trois cents touristes tchèques bloqués à l’aéroport de Djerba par la faute d’une agence de voyages ? Ils ne méritent pas une citation dans le journal télévisé. Même si ce n’est pas la faute du gouvernement, ce n’est pas bon pour l’image du pays, doit-on estimer en haut lieu. De même pour une touriste décédée après une chute sur le bord d’une piscine… Les informations sont filtrées, mais Internet fonctionne et alimente le bouche à oreille. Les rumeurs gonflent démesurément et inutilement.

Quid de l’autre Tunisie, celle qui ne festoie pas mais qui trime ? Il suffit de se rendre dans les villages reculés pour voir les femmes récolter les pommes et les tomates, ou les bergères faire ­paître leurs maigres troupeaux de moutons ou de chèvres… Il suffit aussi de jeter un coup d’œil sur les bas-côtés des autoroutes et des routes express pour apercevoir des femmes et des hommes courbés, en train de ramasser les déchets jetés par des automobilistes pas très civilisés (paquets de cigarettes vides, tasses de café, bouteilles d’eau en plastique, serviettes en papier, etc.). D’autres arpentent les plages sous un soleil de plomb, suant à grosses ­gouttes, pour ramasser les détritus abandonnés à même le « sable d’or » (dixit la publicité) par des baigneurs pas très civilisés non plus (sacs en plastique, canettes de boissons gazeuses et de bière, bouteilles en verre, restes de sandwichs, écorces de pastèque et de melon, couches bébé…). Ces agents de nettoyage des temps modernes viennent des bourgades de l’intérieur. Ils perçoivent 5 dinars par jour, moins que le prix d’un petit déj’. D’autres forçats des temps modernes récoltent tout au long de la journée les bouteilles en plastique jonchant les rues pour quelques millimes le kilo. Des sociétés organisées gagnent bien leur vie en centralisant la collecte et le recyclage. 

La loi du mâle

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Dans les zones rurales, les femmes vivent sous la coupe de leurs maris, qui bien souvent ignorent ou se moquent du code instituant l’égalité des sexes et les droits de l’épouse. Quand celle-ci se plaint au poste de gendarmerie du village, le mari indélicat est certes arrêté. Mais l’épouse rebelle subit aussitôt la pression de ses propres enfants. Elle retire alors sa plainte et tout repart comme avant. La loi du mâle est ici plus forte que celle de l’État. Rencontrée dans un village, près de Kasserine, à 250 km au sud-ouest de Tunis, une jeune fille de 17 ans raconte, en pleurant, les malheurs de sa mère et la tyrannie de son père, un commerçant de détail. « Il ne veut plus que j’aille à l’école pour poursuivre mes études. Il exige que je travaille été comme hiver comme “bonne” (femme de ménage) à Tunis et que je lui envoie une partie de mon maigre salaire (200 dinars par mois). Si je ne le fais pas, il fera des misères à ma mère. » Jusqu’à présent, elle ne travaillait que pendant les deux mois d’été pour aider la famille et payer ses fournitures scolaires. Elle n’est pas sûre de retourner au lycée le 22 septembre prochain, date de la rentrée scolaire. Que son père puisse échapper aux lois du pays est la preuve que beaucoup reste à faire pour que les droits de la femme et de l’enfant deviennent une réalité dans la Tunisie profonde. 

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