Affaire de famille
L’adoption d’un code de la famille progressiste provoque une vive contestation. Sous la pression des conservateurs, le texte va être renvoyé devant l’Assemblée nationale.
De mémoire de Bamakois, jamais une telle foule ne s’était autant mobilisée depuis les événements de 1991, qui ont vu la chute du régime de Moussa Traoré. Le 22 août, plus de 50 000 manifestants se sont rassemblés au stade du 26-Mars de Bamako, à l’appel des chefs coutumiers et d’organisations religieuses, dont l’influent Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), dirigé par l’imam Hamadou Dicko. Une semaine plus tôt, environ 10 000 personnes avaient défilé dans les rues de la capitale malienne, alors que les villes de Kati, Sikasso, Ségou et Tombouctou étaient, elles aussi, le théâtre de rassemblements de mécontents. La cause de ces protestations ? Le vote le 4 août par l’Assemblée nationale – à la quasi-unanimité – du nouveau code de la famille et des personnes. Les raisons de cette formidable mobilisation se trouvent dans une vingtaine d’articles – sur plus de 1 100 – censés défendre et améliorer les droits des femmes. Alors que les cas délicats de l’excision et de la polygamie sont éludés, d’autres sujets suscitent de vives polémiques : primauté du mariage civil sur le mariage religieux, égalité de droits entre épouses légitimes et femmes illégitimes en cas de succession, ainsi que pour leurs enfants, suppression du « devoir d’obéissance » de la femme à son mari, âge minimum pour le mariage porté à 18 ans… Selon certaines, le nouveau code aurait été instrumentalisé par les leaders religieux auprès d’une population absorbée par les difficultés du quotidien, alors que la hausse des prix pendant le mois de ramadan ne fait qu’accroître les crispations. « Pourquoi le gouvernement se mêle-t-il de la gestion de notre foyer, alors qu’il est incapable d’assurer un avenir meilleur à nos enfants ? », se plaint un employé de banque.
L’ampleur des protestations montre que les autorités ont certainement sous-estimé la difficulté de faire accepter ce texte progressiste, que l’on dit importé de l’extérieur, par une société conservatrice et fière de ses traditions. Ultime maladresse, le vote de ce projet, décidé à la veille des vacances et du mois de jeûne, n’a fait qu’accroître le ressentiment populaire. Car le nouveau code divise bien au-delà des clivages classiques. « Il ne s’agit pas d’un débat opposant les élites au peuple. La preuve, le sujet suscite des débats passionnés au sein même de notre rédaction, souligne Mame Diarra Diop, rédactrice en chef du site Internet journaldumali.com. La ligne de fracture ne se trouve pas non plus entre hommes et femmes, puisque nombre d’entre elles ont pris part aux manifestations. Encore moins entre les jeunes et leurs aînés, ou entre chrétiens et musulmans. Par exemple, pour ce jeune cadre commercial, catholique, « le nouveau code va remettre en cause les valeurs traditionnelles familiales, qui fonctionnaient très bien jusqu’ici ».
Mystérieux soutiens
Très bien organisées, les marches et les manifestations des dernières semaines ont été pacifiques, même si des menaces ont été proférées à l’égard des députés et de certaines associations de femmes. Reste à savoir qui soutient ce mouvement qui n’a rien de spontané. L’opposition ? difficile à croire tellement celle-ci paraît aphone et dépassée par les événements. Quelques partis peu représentatifs ont annoncé leur soutien aux manifestants, mais le Rassemblement pour le Mali (RPM) et le Parti pour la renaissance nationale (Parena), principaux adversaires du régime, ont voté en faveur du texte. Quant à l’origine des fonds dont disposent les organisations islamiques pour orchestrer les rassemblements, elle suscite des interrogations, et l’on se demande s’il n’existe pas d’autres bailleurs que les traditionnels grands commerçants bamakois et certains pays musulmans comme l’Égypte, l’Arabie saoudite ou les émirats du Golfe.
Rentrée sous pression
Le gouvernement, qui s’attendait à une rentrée paisible, se retrouve donc sous pression. « Le pouvoir n’a pas assez communiqué en amont sur le projet, alors qu’il fallait organiser des débats dans tout le pays, faire participer la population pour aboutir à un consensus », estime Oumar, patron de PME. Et la presse privée de tirer à boulets rouges sur l’insuffisance des ministres, « trop vite partis en vacances après le vote de la loi ».
Pourtant, « une commission de réflexion a été mise en place depuis 2007 pour réfléchir au contenu du futur code, et au sein de laquelle siégeait le HCIM, rappelle un conseiller à la primature. Mais certaines de leurs réserves n’ont pas été prises en compte, car nous sommes garants de la laïcité de l’État ». Les parlementaires sont aussi montrés du doigt. Pour les religieux, les élus auraient trahi les valeurs de l’islam ; pour d’autres ils n’ont pas assuré le « service après-vente » de la loi en allant expliquer les principales mesures dans leurs circonscriptions. « Ce projet de loi nous a été imposé par le président, et il va trop loin pour certains points, réplique un député sous le couvert de l’anonymat. C’est donc à lui de trouver la solution pour dénouer ce problème épineux. » Tous les regards sont donc braqués sur la colline de Koulouba, siège de la présidence, où il sera difficile de ne pas tenir compte des protestations. Désormais en première ligne, Amadou Toumani Touré (ATT) semble isolé, tant les partis de sa majorité et les associations qui le soutiennent se font discrets. Promulguer le texte en l’état pourrait passer pour une provocation en ce mois de ramadan, propice à la mobilisation de la communauté musulmane (environ 90 % de la population). Abandonner le nouveau code fragiliserait encore le pouvoir, irait à l’encontre de l’une des promesses du Programme de développement économique et social (PDES), sur la base duquel ATT s’est fait réélire en 2007. Reste le dialogue. Des consultations ont été entamées le 25 août par le chef de l’État avec les représentants des partis politiques et les leaders religieux. Pour calmer le jeu, le président a annoncé le renvoi du texte devant l’Assemblée pour une seconde lecture. Nul doute que celle-ci aboutira à des compromis… Pas forcément bénéfiques pour la condition de la femme au Mali.
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