Kadhafi, 40 ans après
Le 1er septembre 1969, un jeune officier prenait le pouvoir avec onze compagnons d’armes. Aujourd’hui, Mouammar Kadhafi est à la tête de l’un des derniers régimes despotiques de la planète.
Un putsch de lieutenants « incroyablement naïfs » et « scandaleusement purs ». C’est par ces mots que l’éditorialiste égyptien Mohamed Heykal, dépêché par Nasser au lendemain du 1er septembre 1969 pour s’enquérir des intentions de Mouammar Kadhafi et de ses compagnons, décrit à son retour au Caire le profil psychologique de ceux qui viennent de renverser sans violence ou presque le roi Idriss, en villégiature sur la côte turque. « Kadhafi m’a dit qu’il ne voulait pas du pouvoir et qu’il entendait remettre la Libye dès maintenant entre les mains de Nasser, afin de lui permettre de reprendre la guerre contre Israël », poursuit Heykal, avant de conclure : « Ces jeunes gens sont une vraie catastrophe. »
Quatre décennies plus tard, le lieutenant de 27 ans est devenu un sexagénaire confortablement installé à la tête de l’« État des masses », et la catastrophe annoncée a pris l’allure de l’un des derniers régimes despotiques de la planète. Que reste-t-il de l’image de l’officier au regard limpide et droit, qui annonça lui-même sa Révolution – sous le nom de code d’« Opération Al Qods » – sur les ondes de Radio Benghazi ? Des affiches de propagande, où le « Guide » à l’éternelle verdeur se décline à chaque lieu de la vie quotidienne des Libyens entouré des accessoires de son culte, avec en main le sceptre du « roi des rois d’Afrique » dressé comme le symbole d’une virilité jaillissante, érectile et illimitée. Des apparitions aussi, de plus en plus théâtrales, au cours desquelles l’icône enchâssée apparaît le menton relevé, le geste lent, la pose figée et hiératique, la poitrine envahie de décorations tel un patriarche fourbu conduisant un défilé de carton-pâte. Que reste-t-il aussi de ce charme naturel et vénéneux, trouble parfois, devant lequel bien des femmes et quelques hommes entrèrent en pâmoison, de cette ferveur originelle, de ce messianisme insolent qui fascina les révolutionnaires tiers-mondistes des années 1970 ?
Un rêve devenu caricature
Bien peu de chose : l’écume d’un rêve devenu caricature, des engouements serviles et rétribués, des youyous de commande et une lessive idéologique confuse, où ce qui demeure des convictions d’antan barbote comme une daurade dans le pantalon d’un noyé.
Ce que célèbre Mouammar Kadhafi en ce 1er septembre 2009 n’est pas autre chose qu’un record digne du Guiness Book : depuis le retrait de Fidel Castro et le décès d’Omar Bongo – et si l’on excepte la reine d’Angleterre –, il est en effet le doyen (par la longévité) des chefs d’État en exercice. La conservation du pouvoir, pour laquelle il lui arriva d’user de la violence (à une échelle nettement moindre toutefois qu’un Assad de Syrie, un Hussein d’Irak ou même un Hassan II du Maroc) et plus souvent de la cooptation, du consensus et des équilibres tribaux, est un domaine dans lequel il a incontestablement réussi, au point que le peuple libyen, bercé par les sirènes anesthésiantes d’une prospérité relative, semble être aujourd’hui l’un des plus dépolitisés au monde. Le seul domaine ? Sans doute, tout le reste, à savoir à peu près tout ce qu’a entrepris le fantasque colonel, fut marqué par le syndrome de l’échec. Échec des unions avec ses voisins de l’est et de l’ouest, échec à jouer un rôle quelconque au Proche-Orient, échec cinglant des incursions militaires en Afrique, au Tchad et en Ouganda, échec des « États-Unis du Sahel », échec des aventures terroristes, échec à bâtir une armée crédible malgré les milliards de dollars engloutis, comme si les descendants d’Omar el-Mokhtar avaient perdu le goût de la force et soldé leur dignité dans les sables du Tibesti. Échecs et humiliations face à une Amérique, haïe et adorée, qui, après l’avoir protégé pendant les premières années de son règne, bombarda sa propre maison, et aux pieds de laquelle il fût contraint de déposer son embryon d’arsenal nucléaire.
Tout s’achète
Pourtant, comme le démontrent le triomphal retour au pays d’Abdel Basset Ali el-Megrahi, les excuses du président de la Confédération helvétique, les voyages à Paris et à Rome et plus largement le spectaculaire « come-back » de la Jamahiriya au sein des nations dites civilisées, le président en exercice de l’Union africaine n’a jamais été aussi courtisé à l’extérieur et aussi peu menacé à l’intérieur. Par quelle magie ? Outre son génie à transformer les défaites en victoire, Mouammar Kadhafi nourrit à propos de la marche du monde quelques idées simples et en particulier celle-ci qui lui a manifestement réussi : tout s’achète à condition d’y mettre le prix, y compris la respectabilité. Or lui seul détient les clés de la fantastique raffinerie libyenne, gérée depuis quarante ans dans la plus totale opacité. C’est ainsi qu’il fonctionne, depuis que Nasser a refusé de prendre les commandes d’une Révolution qu’il avait faite pour lui, le laissant orphelin, inconsolable et définitivement incompris.
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