Tintin en enfer
Depuis plusieurs semaines, Tintin et Milou sont enfermés dans un cachot new-yorkais. Ils y reçoivent des visites au compte-gouttes, qui ont au préalable fait l’objet d’une demande auprès de l’administration de la bibliothèque municipale de Brooklyn. Cette dernière aura considéré avec gravité l’âge, la maturité et la sensibilité du requérant avant de délivrer son sésame pour le monde d’Hergé.
C’est suite à la dénonciation d’une certaine Laurie Burke que le reporter au Petit Vingtième se retrouve, à presque 80 ans, derrière les barreaux. Après avoir feuilleté Tintin au Congo – le deuxième des vingt-quatre albums de « Tintin », paru en 1930, après Au pays des Soviets –, cette mécène a rempli une « demande d’examen du contenu de la bibliothèque ». « Offensant pour les personnes noires », estime Mme Burke, qui déplore tout particulièrement une certaine façon de les représenter « comme des singes ». Cette remarque sur le caractère raciste de Tintin au Congo n’étant pas la première, la direction a fini par retirer l’album des rayonnages pour le reléguer dans une chambre forte cadenassée, accessible sur rendez-vous uniquement. Bref, en « enfer », comme on appelle la section d’une bibliothèque regroupant les ouvrages jugés licencieux.
Le petit blond au chien blanc qui embarque sur un paquebot pour découvrir l’Afrique a toujours entretenu la polémique. Une première version de Tintin au Congo paraît sous forme de feuilletons en 1930. En 1946, l’album est publié une deuxième fois, en couleurs. Une réédition dont l’auteur profite pour gommer certaines bévues. La leçon d’histoire-géo sur la « mère patrie » belge dispensée par Tintin (et Milou) à une classe de petits Congolais – à l’époque sous administration belge – se transforme ainsi en un innocent cours de maths. Qui, si l’on suit Laurie Burke, n’est toutefois guère moins « offensant » puisqu’à la question « Qui peut me dire combien font deux plus deux ? », aucun des élèves ne sait répondre…
« Li Blanc y en a fendu crâne di fétiche sacré ! À mort li Blanc ! » Plus récemment encore, cette façon dont parlent les Noirs de Tintin au Congo a outré la Commission britannique pour l’égalité des races. Si bien qu’en 2007 Borders, l’éditeur au Royaume-Uni, avait fini par faire passer l’album de la rubrique « BD enfants » à « BD adultes ». À mi-chemin entre l’enfer et le paradis.
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