Patrick Besson : « L’Afrique est un roman d’aventures »
Jeune Afrique : Décrivant la passion de l’un de vos personnages – un Européen – pour l’Afrique, vous dites qu’il a « attrapé le virus ». Et vous, ce virus pour l’Afrique, vous l’avez attrapé quand ? Où ? Et comment ?
PATRICK BESSON : Ne parlez pas de virus, s’il vous plaît. Amour ? Je dirais passion. Obsession. Fascination. L’Afrique est un roman d’aventures dont j’ai adoré lire les 53 chapitres : les 53 pays africains. Trois ans de travail, ça ne suffit pas pour devenir un africaniste, mais ça ouvre quand même un peu l’esprit sur ce continent qu’il est impossible, que ce soit sur le plan politique ou sur le plan poétique, d’ignorer. Peut-être étais-je davantage en Afrique quand je me trouvais à Paris, entre deux séjours au Congo. L’Afrique se rêve. Le nombre de pays imaginaires où les écrivains africains ont situé leurs livres, afin de pouvoir rentrer en vacances chez eux ! Il n’y a pas, dans la littérature latino-américaine, de pays imaginaires. Ni dans la littérature asiatique. Et moins encore dans la littérature européenne. Le pays imaginaire est une invention de la littérature africaine. Est-ce parce que nous imaginons l’Afrique, les Africains en premier ?
Vous mettez en scène un jeune métis qui, par certains côtés, vous ressemble beaucoup. Sa mère est russe (vous, c’est votre grand-père) ; il est jeune, fougueux, plein d’idées. Vous le prénommez Pouchkine (rien que ça !). Après qu’il a cité Françoise Sagan, Louis Aragon, Carson McCullers, Edmond Rostand – et même Léon Tolstoï ! – vous lui faites dire : « Les meilleures œuvres sont des œuvres de jeunesse. » Vous avez aujourd’hui plus de 50 ans et vous êtes l’auteur de plus de cinquante livres ! Vous avez publié votre premier roman en 1974, à l’âge de 17 ans, obtenu le Grand Prix de l’Académie française à l’âge de 29 ans, le Renaudot à 39 ans. Mais le fleuve tuera l’homme blanc, pourtant annoncé par votre éditeur comme votre œuvre « la plus accomplie », n’est-il donc pas votre meilleur livre ?
Il est impossible à un romancier d’être d’accord avec tous ses personnages. Sade n’était pas sadique et Dostoïevski n’a jamais tué son père. La plupart des propos tenus dans ce livre – y compris la stupide remarque de Pouchkine concernant l’âge des créateurs – ne le sont pas par moi. Je pense évidemment à toutes les choses désagréables que les gens, dans mon roman, disent les uns sur les autres, surtout ceux d’une ethnie différente. Le romancier invente des personnages qui choisissent, ou pas, de le mettre ensuite dans la merde par des propos intempestifs et des actes répréhensibles. Là, on dirait bien que c’est le cas.
Durant les conflits qui ont déchiré les Balkans, vous avez pris position clairement en faveur des Serbes. Ici, on dirait que vous vous abstenez de tout jugement, renvoyant les belligérants dos à dos. Hutus et Tutsis, Flamands et Wallons, Congolais du Nord et Congolais du Sud, services secrets français et services secrets rwandais : nul n’a vraiment grâce à vos yeux ?
Le traitement médiatique infligé aux Serbes dans les années 1990 est l’une des pires ignominies dont se soient jamais rendus coupables les journalistes et les intellectuels occidentaux. Je ne crois pas que je pourrai le leur pardonner, même quand je serai très vieux. Cela dit, aucun rapport entre les Serbes et les Hutus. Il n’y a aucune raison de les rapprocher, sauf la mauvaise foi. Tout le monde, sur terre, trouve grâce à mes yeux. Après, quand ça descend jusqu’au stylo, je change un peu. Mais je rédige des romans, pas des dépliants publicitaires pour l’humanité : elle n’est pas à vendre.
Est-ce de vous que vous parlez lorsque vous décrivez un personnage – un dénommé Bernard – en ces termes : « Bernard était sincère et, en même temps, il pouvait changer d’avis en une minute. Sur tout. Par ennui, caprice, intérêt. » ? Vous avez été communiste, et vous ne l’êtes plus. À quoi croyez-vous encore aujourd’hui ? Pour combien de temps ?
Je suis communiste depuis l’âge de 15 ans et n’ai aucune intention de cesser de l’être. Bernard n’est pas moi, bien que nous ayons un certain nombre d’expériences politiques et amoureuses en commun. Pour les finances, il a été bien meilleur que moi, je l’admets.
Le journaliste d’investigation Pierre Péan a été traîné devant les tribunaux pour avoir rapporté, dans son livre sur le génocide rwandais, la remarque d’un de ses interlocuteurs sur « la culture du mensonge et de la dissimulation » chez les Rwandais de toutes origines. Ne craignez-vous pas, vous aussi, les foudres de la justice pour rapporter dans votre livre tant de propos certes imaginaires, mais souvent « limites » ?
Je ne suis partie prenante en rien dans le conflit Hutus-Tutsis tel qu’il s’est déroulé depuis le XIVe siècle. Ce qui relève de l’Histoire dans mon roman a été trouvé dans des livres qui sont en vente libre en France et en Europe, n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation. Un procès est parfois une bonne chose pour une œuvre d’art : celui de Madame Bovary, celui des Fleurs du mal, celui des Particules élémentaires. Je serais surtout peiné d’avoir blessé un peuple, que ce soient les Tutsis, les Hutus ou les Congolais. Je parle dans Mais le fleuve tuera l’homme blanc d’individus nullement représentatifs de toute une collectivité, et – j’insiste – les opinions qu’ils profèrent les uns sur les autres n’engagent qu’eux-mêmes.
À vous lire, à écouter vos personnages, on se demande si vous croyez à la démocratie en Afrique – et même si vous la souhaitez.
La démocratie, c’est quand chacun a un toit et un travail, ainsi que le droit de dire ce qu’il pense, comme il le pense, quand il le pense, et à ma connaissance ce système politique n’existe pas encore, que ce soit en Afrique ou n’importe où dans le monde.
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