La mort aux trousses

Si l’édition et le cinéma résistent mieux, l’industrie de la musique est de loin la plus touchée. À la crise financière s’ajoute celle du disque causée par le piratage.

Publié le 1 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

La crise économique qui secoue la planète depuis plusieurs mois continue de faire des dégâts. Loin des centres industriels en pleine décomposition ou restructuration, un tsunami silencieux s’est abattu sur un autre secteur : la culture. Une situation qui concerne avant tout les pays occidentaux, mais dont les artistes africains risquent d’être les « victimes collatérales ».

Maisons de production sans moyens, festivals en berne, disparition de revues spécialisées, contrats et cachets d’artistes en baisse, subventions supprimées, intermittents du spectacle au chômage… Dans les pays occidentaux, peu de branches de ce secteur échappent à la bourrasque, à commencer par le marché de l’art. Confrontées à une chute de leurs ventes, des dizaines de galeries ont licencié leur personnel aux États-Unis, s’endettent ou font faillite, à l’instar de celle que Becky Smith tenait depuis dix ans à Manhattan et qui a fermé en juin. Selon le magazine new-yorkais Artnet, une vingtaine de galeries ont fermé ces deux dernières années ; et ce surtout au cours des neuf derniers mois.

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Si l’industrie du livre et celle du cinéma résistent mieux, le monde de la musique semble de loin le plus touché. Aucun festival de jazz n’a été organisé cet été à New York, faute de sponsors. Du jamais vu depuis quarante ans. La firme japonaise JVC, traditionnellement grande promotrice de cette musique, n’a pu honorer ses engagements. Des revues illustres comme JazzTimes n’ont pas résisté à la tempête et ont mis la clef sous la porte. En France, la revue Jazzman a cessé ses activités et va fusionner à partir de septembre prochain avec l’un de ses concurrents, Jazz Magazine.

Pour les professionnels, les signes ne trompent pas. « Des manifestations n’ont pu se tenir cette année faute de budgets. De nombreux festivals ou des rencontres organisés par des associations n’ont pu avoir lieu en raison de la diminution, voire de la suppression de leurs subventions », explique Thibaut Mullings du label indépendant No Format !, qui produit le balafoniste malien Lansiné Kouyaté. « L’édition 2009 de Pop Com, salon de référence pour les professionnels de la musique (tourneurs, producteurs…), programmée en Allemagne en septembre, a été tout simplement annulée. Autre signe révélateur, le Bureau export chargé de promouvoir la musique française à l’étranger a dû admettre lors de sa dernière assemblée générale un manque de moyens pour accomplir sa mission.

Nouvelles technologies

« Je veux que la culture soit notre réponse à la crise économique mondiale », affirmait le président Nicolas Sarkozy en janvier dernier à l’occasion de l’installation du Conseil de la création artistique (CCA). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on en est loin. « Tous les patrons de club ou de salle jouent à l’économie. Il faut se battre pour maintenir les cachets, explique la chanteuse franco-béninoise Mina Agossi. Je connais de nombreux musiciens professionnels qui, pour vivre, doivent se résoudre à redonner des cours presque à temps plein. »

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Il faut dire qu’à la crise financière s’ajoute celle que connaît le disque. Déjà en chute constante depuis des années, les ventes ont reculé sévèrement ces six derniers mois, au plus fort de la récession, preuve de la forte contraction de la consommation des ménages sur ce produit culturel. En France, le marché du support musical (CD audio et DVD audio) totalisait 15 millions d’unités vendues au premier trimestre de 2009, en baisse de 16,8 % par rapport au premier trimestre de 2008. Pour le seul CD audio, le chiffre d’affaires des ventes s’est établi à 192,6 millions d’euros, en recul de 15 %.

Quels que soient les segments, les chiffres sont plus qu’inquiétants. Les ventes de disques de world music, dont l’Afrique ne représente que 15 %, sont passées de 723 000 unités au premier trimestre de 2008 à 613 000 sur la même période en 2009. Ce marché, qui a perdu 13 % en valeur, a été soutenu par la sortie de l’album Welcome to Mali d’Amadou et Mariam (Because/Warner) et celui du chanteur burkinabè éponyme, Victor Démé. Tous les autres segments connaissent une baisse, parfois brutale. Les ventes de CD de variété française reculent de 27 %. Celles de jazz de 13 %. Les achats de disques de variété internationale se sont repliés de 7 %, passant de 5,2 millions d’albums au cours des trois premiers mois de 2008 à 4,8 millions sur la même période en 2009. Avec 1 million d’unités vendues pour un chiffre d’affaires de 19,5 millions d’euros, le marché du DVD musical décroît de 23 % en volume et de 22 % en valeur par rapport au premier trimestre de 2008.

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Moins confrontée à la concurrence des nouvelles technologies et bénéficiant d’un public fidèle, la musique classique se porte plutôt bien. « La fréquentation se maintient », souligne-t-on au service des ventes de la prestigieuse salle Pleyel, à Paris. Côté ventes de disques, la même tendance est observée. Mieux, le classique est l’un des rares segments à enregistrer une hausse de ses ventes : + 1,7 % (1,13 million d’albums au premier trimestre 2008, contre 1,1 million un an auparavant).

Modèle économique prudent

Avec au total 23,1 millions de titres téléchargés, la musique numérique résiste, mais connaît un ralentissement. Ces ventes affectent directement la situation financière des majors. Les petits labels qui reposent traditionnellement sur un modèle économique prudent sont moins touchés. « Nous sommes pointilleux dans notre budget et évitons de recourir aux établissements bancaires », souligne Thibaut Mullings.

Le salut à cette crise viendra-t-il de la fréquentation des salles de concert ? Là encore, on pourrait croire que la crise touche les artistes les moins connus, donc les plus vulnérables. Il n’en est rien. Si les valeurs sûres comme U2 jouent à guichet fermé, d’autres stars – et pas n’importe lesquelles – voient leur public se tarir, obligeant les organisateurs à revoir à la baisse les tarifs des billets ou à faire des campagnes de promotion. Ainsi, Madonna, encore sous le coup de l’échec de son dernier album Hard Candy, remplit moins les salles et les stades. Son concert au Palais omnisport de Paris Bercy, le 9 juillet, n’a pas fait le plein. Live Nation, le leader de la production musicale qui gère la carrière de Madonna, a décidé la mise en place de billets « à tarifs exceptionnels ». Moins de 30 euros la place. Du jamais vu pour la chanteuse en vingt ans de carrière. Alors que nul n’ose évoquer une reprise du marché avant longtemps, les professionnels se rassurent pour l’instant grâce aux ventes… de Michael Jackson. Depuis son décès en juin dernier, vingt-deux albums du chanteur s’écoulent toutes les minutes. 

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