Les débuts prometteurs du marketing ethnique

Si, pour l’instant, ce marché de la communication reste embryonnaire, il connaît une forte croissance. Et commence à intéresser les grands groupes, qui cependant n’affichent pas tous le même engouement.

Publié le 27 août 2009 Lecture : 6 minutes.

C’est une première publicitaire en France. Fin juin 2009, Zaphir, une PME française qui commercialise toute une gamme de produits halal sous la marque Isla Délice, s’est offert un sacré coup de pub avec une campagne d’affichage sur plus de 7 300 panneaux dans 200 villes françaises. On pouvait voir de fines tranches de poulet délicatement posées sur une assiette avec, en grand, l’indication explicite « halal ». « Ils sont les premiers à communiquer ainsi au plan national », s’enthousiasme Abbas Bendali, qui dirige Solis, un cabinet d’études dans le marketing ethnique. Cette première aura coûté à Zaphir – qui exporte au Bénin, au Togo, au Cameroun et jusqu’en Arabie saoudite – la bagatelle de 2,5 millions d’euros, selon une source du milieu publicitaire.

Halal : + 15 % par an

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Ainsi, le halal sort des « quartiers » et des panonceaux des petits commerces de proximité pour s’étendre dans toutes les grandes villes et même sur la prestigieuse avenue des Champs-Élysées. Fin 2008, une autre marque estampillée halal a également ouvert une brèche publicitaire : Zakia (couscous, semoule et conserves du groupe Panzani) s’est montrée à la télévision en sponsorisant une émission culinaire sur la chaîne française M6.

Ce nouveau filon du halal (+ 15 % de croissance par an) aiguise les appétits. Les produits Reghalal, Amine et Isla mondial (filiale de l’algérien Cevital), entre autres, sont progressivement passés des rayons des boucheries musulmanes et petites épiceries « arabes » aux linéaires des grandes surfaces.

L’initiative de ces PME a poussé les gros groupes à sortir du bois : Charal s’est mis au halal, ainsi que Nestlé avec ses plats cuisinés Fleury Michon, ses soupes en sachets Maggi et ses saucisses de volaille Herta. Logique : le marché du halal en France pèserait 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009, selon les estimations de Solis (contre plus de 12 milliards de dollars aux États-Unis). Et son potentiel s’élèverait à 9 milliards d’euros, précise Abderrahmane Bouzid, chef de projet « Halal & saveurs du Maghreb » au sein du groupe Casino. Le géant de la grande distribution (28,7 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2008), qui a accueilli dès 2007 ses premiers produits halal en rayons, a lancé il y a moins d’un an sa première marque, Wassila. « On n’a fait que constater la carence de l’offre, souligne Bouzid. Mais il nous a fallu construire notre expertise avant de nous lancer. » Un lancement en toute discrétion.

Les marques en France vont à contre-courant de toute logique marketing. D’ordinaire, lorsqu’un groupe lance un produit, il communique pour le faire connaître. Là, c’est le contraire : on lance un produit halal, on attend la réaction des consommateurs, puis on débloque les budgets pub. Il n’empêche, les choses se mettent en place. « Une grande marque va lancer un spot télé à la rentrée », assure Bendali, tout en refusant d’en divulguer le nom. « Nestlé France va communiquer en septembre dans la presse sur ses produits Maggi », confie de son côté Yves Siméon, codirecteur de Reload, une filiale du groupe Publicis. Autre signe de cet intérêt croissant : la branche française du géant helvétique de l’agroalimentaire s’est récemment dotée d’un responsable des produits ethniques. Même si, pour l’heure, les gammes « ethno-marketées » pèsent pour moins de 1 % du chiffre d’affaires du groupe Nestlé (71,1 milliards d’euros en 2008).

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Ciblage communautaire

En attendant l’arrivée effective de ces multinationales sur ce marché, les annonceurs se montrent timorés, cantonnés à des cibles communautaires et à des actions de proximité. Quoi de mieux que de diffuser ses spots radio sur Beur FM ou Radio Orient pour séduire les consommateurs maghrébins ? Autre exemple de ciblage ethnique : Nbrik.com, un nouveau site de rencontres sur Internet dédié aux « amoureux de l’Orient », a inondé les boîtes aux lettres libellées avec des noms à consonance arabe. La cible communautaire est visée dans trois autres secteurs qui ont le vent en poupe : les services financiers (397 milliards de dollars transférés par les migrants en 2008 dans le monde), les télécoms (avec un business annuel des cartes prépayées estimé à 208 millions d’euros en France) et les cosmétiques (+ 7 % de croissance annuelle).

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Dans le quartier de Belleville ou dans le 13e arrondissement de Paris, Moneygram déploie sur la façade de ses bureaux des affiches en chinois. Toujours à Paris, dans le quartier Château-d’Eau, où s’alignent les devantures de salons de coiffure et de boutiques de cosmétiques pour Noirs, L’Oréal fait distribuer des échantillons de ses produits. Sa marque SoftSheen-Carson pèse pour plus de 200 millions de dollars de chiffre d’affaires annuel, affichant même 28 % de progression en 2008 sur le marché sud-africain. Le groupe a calculé que la cliente « black » ou métisse utilise neuf fois plus de produits capillaires, sept fois plus de produits maquillage et cinq fois plus de produits de soin. Le potentiel est là. Et L’Oréal a sponsorisé la Grande Nuit créole au Stade de France en mai 2009.

Mais « leur niveau d’investissement est encore assez faible », reconnaît Jean-Christophe Despres, président cofondateur de Sopi, une agence de communication spécialisée dans le marketing ethnique. « Petit Poucet » à côté du géant L’Oréal, Black Up – la marque haut de gamme pour peaux noires et métisses lancée en 1999 par Fabrice Mahobo, un Franco-Ivoirien – surfe sur un taux de croissance de 40 % depuis janvier 2009, après + 27 % en 2008. « On fait très peu de pub », avoue Lionel Durand, le directeur, qui annonce pourtant l’ouverture de cinq points de vente en Angola depuis avril 2009, de trois autres au Nigeria et, pour les mois à venir, d’une boutique à l’aéroport de Nairobi (Kenya) et d’une dizaine de points de vente en Afrique du Sud, en plus de la Grande-Bretagne.

Pour 2009, Lionel Durand n’a signé de contrat publicitaire que pour « une dizaine de pages » en France, dans les magazines féminins Miss Ébène et Amina, notamment. « J’adorerais me payer une page dans Elle, rigole Durand. Mais c’est trop cher ! Et puis, il y a très peu de concurrents dans notre créneau haut de gamme », explique-t-il.

Timidité des marques leaders

Dans les télécoms, des prospectus sont distribués dans les quartiers à forte communauté immigrée, vantant la promotion d’un opérateur sur les appels à destination du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne. Mais, pour l’heure, pas de vastes campagnes de communication. Même discrétion du côté des services financiers. Seule exception notable : Western Union a lancé sa première campagne mondiale en février 2009. Mais l’investissement en France est faible : 126 000 euros en affichage, une somme dérisoire pour le poids lourd des transferts d’argent à l’international.

« Les grands groupes ont peur pour leur image », explique Despres. Et de se mettre à dos une partie de leur clientèle. Cas extrême, le lancement par Casino de sa gamme halal a suscité sur Internet des appels à boycott de la part de groupes racistes. Tout comme Labeyrie en 2006, qui venait d’annoncer la commercialisation de foie gras halal. D’où la préférence pour les médias communautaires, qui « permettent une audience ciblée et étanche », explique Bendali.

Mais ce qui nuit aux grands groupes peut profiter à plus petits, comme l’a prouvé le lancement de Mecca Cola, en octobre 2002, avec son slogan : « Ne buvez pas idiot, buvez engagé ». Et la promesse de reverser 10 % de ses bénéfices aux enfants palestiniens. L’année suivante, le soda alternatif générait, selon le Franco-Tunisien Tawfik Mathlouthi qui l’a lancé, un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros. Mais depuis que le siège social a été délocalisé à Dubaï, la société s’est faite beaucoup plus discrète – et n’a pas répondu aux sollicitations de Jeune Afrique.

Autre explication de cette frilosité, davantage liée à la logique de rentabilité économique : « Le marché reste embryonnaire », constate Despres, qui préfère, lui, parler de « marketing affinitaire ». La faute à l’absence de données chiffrées sur les communautés en France, un tabou. Or qui dit marketing dit cible, qu’il faut quantifier et qualifier. Mais les études coûtent cher. À moins de 1 million d’euros d’investissement, « on n’a pas de budget études », explique ainsi Yves Siméon, du groupe Publicis.

Si le marché demeure limité, il doit aussi gagner en sophistication. De ce point de vue, l’offensive portée par des PME, suivies d’un œil attentif par les majors, est prometteuse. Avec une perspective à moyen et long termes : les gros croqueront les petits qui auront assis leur succès commercial. À l’instar de L’Oréal, qui a racheté les marques leaders dans le cosmétique ethnique SoftSheen (en 1998) et Carson (en 1999), verra-t-on un jour Nestlé acquérir Isla Délice ?

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Didier Mandin

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