Quand les artistes s’en mêlent
Humoristes, poètes, musiciens, plasticiens, architectes, réalisateurs… Ces dix dernières années ont vu émerger une nouvelle génération de créateurs particulièrement prolifiques. Et dont les lieux d’expression se multiplient.
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Tout les oppose sur les planches, mais leur amitié est née d’un même sens de l’autodérision. « À la fin des années 1990, nous étions les VMC – Va me chercher ci ou ça (souvent le café ou le thé) – de nos troupes respectives », explique dans un grand éclat de rire l’humoriste Zongo, Nestor Golé de son vrai nom, partenaire à la scène de Tao. « On se fréquentait sur les plateaux télé et, à force de se côtoyer, on a vu qu’on pouvait faire un bon duo. » C’est ainsi que les compères ont décidé d’incarner deux personnages, toujours ensemble, mais jamais d’accord.
L’ascension de Zongo, caricature de l’analphabète mossi, et de Tao, digne représentant de l’intellectuel africain bègue, commence au lendemain du coup d’État de 1999. Le duo dénonce avec humour les travers des musulmans et des chrétiens ou décortique l’actualité sociopolitique. Dans La République des imbéciles, ils s’amusent des politiciens peu scrupuleux obnubilés par leurs seuls intérêts. Zongo et Tao font partie de cette jeune génération d’artistes qui a émergé pendant les années de crise. Preuve s’il en était besoin que les conflits ne sont pas toujours des périodes marquées par l’absence de création ou la mise en place d’une esthétique officielle imposée.
Autre humoriste en vogue, Adama Dahico, devenu célèbre en jouant Le Candidat de Doromikan (« l’art de la parole d’ivrogne », en malinké). Formé notamment par Sidiki Sigiri Bakaba, le directeur du Palais de la culture de Treichville, Dahico laisse même entendre – comme Coluche, en France, en 1981 – qu’il se présentera à la présidentielle. Il est aussi le directeur du Festival international du rire d’Abidjan (Fira) depuis 2003.
Comme Tao et Zongo, il utilise le nouchi, argot ivoirien, dans ses sketches. Ils ne sont pas les seuls.
À 23 ans, avec ses nattes perlées, sa bouille enfantine et ses tee-shirts de rappeuse, Natacha Flora Sonloue Aka, alias Nash, en a fait sa marque de fabrique. N’en déplaise aux détracteurs du nouchi, qui considèrent que cette langue de la rue abaisse le niveau de la musique ivoirienne.
La grande « nouchiya »
Les frères Traoré, Amadou et Ibrahim, poètes et slameurs, ont également décidé de sortir ce moyen d’expression de son « ghetto » et préparent un album. « Nous voulons que le nouchi entre dans le patrimoine de la culture ivoirienne », explique Amadou. La grande nouchiya (« famille nouchi ») compte encore des rappeurs, comme Nooka, du groupe Wansh Way, qui produit les titres de son album Prends mon gbô (« Prends ma main, mon bras ») dans les sound systems, événements musicaux de la ville.
D’autres artistes appartiennent au même gbonhi (« famille artistique »), comme le caricaturiste Zohoré Lassane, dit Z, qui, après un passage éclair dans la pub, a créé le journal satirique Gbich (« baffe », en nouchi). Fort de son succès (20 000 exemplaires vendus par semaine), Z emploie aujourd’hui une vingtaine de caricaturistes et a lancé deux nouveaux titres, Go magazine (magazine de « la femme », en nouchi) et un journal politique : Kpakpato (« celui qui rapporte les faits, le curieux »). Et cultive désormais nombre de projets dans la bande dessinée et le dessin animé.
Depuis cinq ans, le cinéma ivoirien retrouve également une petite vitalité. Avec l’avènement du numérique, on compte en moyenne un nouveau film tous les trois mois, même si ceux-ci connaissent souvent des problèmes techniques en matière d’image et de son. À noter les productions comme Coupé décalé, de Fidiga de Milano, Le Bijou du sergent Digbeu, d’Alex Kouassi, Signature, d’Alain Guikou, ou Un homme pour deux sœurs, de Marie-Louise Asseu. Dans le domaine du documentaire, Idriss Diabaté est l’un des rares à sortir du lot. Il travaille sur les faits de société. Féministe, il présente dans son dernier film, La femme porte l’Afrique, le quotidien des mères nourricières et éducatrices.
Résolument contemporain, viscéralement traditionnel
À 44 ans, le peintre hispano-ivoirien Vincent N’Dévé Ban capture la rue en empruntant les traces de feu Issa Kouyaté, premier Ivoirien à lancer le genre. Parmi les toiles de son atelier, une go qui pense à son futur, un flasher (« drogué ») en train de prendre du crack. Vincent utilise les matériaux locaux, comme le bambou, son pinceau favori, et la latérite.
« Depuis deux ans, il y a incontestablement un réveil artistique, après de longues années de léthargie dominée par les commandes commerciales », explique l’architecte designer Issa Diabaté, fils d’Henriette, la figure du Rassemblement des républicains (RDR). Associé à Guillaume Koffi, le président de la Ligue des architectes, il privilégie une démarche contemporaine, mais très attachée à l’environnement culturel, technique et climatique local. « On prend en compte l’orientation des éléments naturels, comme la ventilation, l’ensoleillement et la pluie. On aime utiliser la transparence, les baies vitrées notamment. Tous nos bâtiments ont des éléments qui reviennent, comme les débords de toiture, les ailettes en béton ou les brise-soleil. » Parmi leurs références, le siège de la Versus Bank, au Plateau, en forme de paquebot.
« Le regain d’activité artistique s’explique également par la prolifération des espaces réservés à l’art contemporain et à l’apparition sur la scène de l’art des collectionneurs et critiques, qui se sont érigés en véritables mécènes », explique Cheickna D. Salif, du Web magazine 100 % Culture. Ainsi, Illa Donwahi et son frère Alain font vivre la Fondation Charles Donwahi pour l’art contemporain et ont appuyé la mise en place de la section ivoirienne de l’Association internationale des critiques d’art (Aica). Thierry Fieux, propriétaire de la galerie Le Lab et commissaire général du Festival international des arts visuels d’Abidjan, a réuni, pour la première édition, en décembre 2007, une centaine d’artistes du monde autour d’ateliers, de colloques et d’expositions.
D’autres, comme Simone Guirandou-N’Diaye, qui a lancé la galerie Arts pluriels, et le professeur Yacouba Konaté, conseiller artistique de la Rotonde des arts contemporains, produisent régulièrement de jeunes peintres et plasticiens. Emilienne Anikpo N’Tamé, directrice de la galerie Le Dompry, a organisé en avril dernier la deuxième édition du jamboree touristique et artistique « Art et Nature » à Katadji, dans la commune de Sikensi, où une quinzaine de peintres, sculpteurs, designers et artisans ont opéré en public, exposé et vendu leurs œuvres. Tête d’affiche, le peintre Monné Bou était aux côtés de jeunes talents tels que Phicault, Nadine N’Dia, Rhode Makoumbou (Congo), Maury Fondio, Alain Zirignon ou encore Djobi Emmanuel.
Créatrice de lampes et d’objets décoratifs, restauratrice de meubles anciens, Jeanine Zogo a développé un concept original : Kajazoma, une villa-restaurant-galerie d’art, qui accueille régulièrement des concerts de jazz. Chez elle, tout est à vendre. Elle expose actuellement les photographies peules de Sandrine Soulard et ouvre son espace à des artistes plasticiens comme Tamsir Dia et Valérie Oka.
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