Le patient ivoirien

En sept ans, près de la moitié des entreprises et des emplois formels ont disparu, et le marché est désorganisé. Les activités reprennent, mais au ralenti… Et le manque de visibilité sur le calendrier de sortie de crise risque de miner le retour de la croissance.

Publié le 1 septembre 2009 Lecture : 4 minutes.

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Côte d’Ivoire: déclic électoral?

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« On va mieux, mais on n’est pas guéris », résume un chef d’entreprise ivoirien. Otages d’une situation de « ni guerre ni paix » depuis sept ans, les hommes d’affaires vivent au rythme des avancées ou des blocages du processus politique. La bonne tenue des audiences foraines, la réalisation de l’identification et la fixation d’une date, le 29 novembre, pour la présidentielle ont néanmoins des effets positifs sur les activités.

La croissance se relève progressivement : 1,6 % en 2007, 2,3 % en 2008 et 3,7 % escomptés pour 2009. Globalement, les secteurs des télécommunications (voir p. 124), du commerce, du transport et de la construction sont les plus dynamiques. Signe qui ne trompe pas : les groupes de distribution libanais implantent des grandes surfaces à Abidjan, et les franchises – Yves Rocher, Alain Afflelou, Pano Boutique… – s’installent.

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Impératifs de transparence

Autre bonne nouvelle : le Fonds monétaire international (FMI) a approuvé, le 27 mars, un programme économique et financier triennal de 566 millions de dollars et accordé le « point de décision » de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), prémices d’un important allégement de la dette, estimée à 12,8 milliards de dollars. Abidjan bénéficie déjà de 3,5 milliards de dollars d’apurement d’arriérés et d’un rééchelonnement de ses paiements auprès des créanciers multilatéraux et bilatéraux. Si le pays atteint le « point d’achèvement » d’ici à deux ans, il devrait bénéficier d’une remise de dette multilatérale supplémentaire de plus de 2 milliards de dollars et une autre sur la dette bilatérale à négocier. Cette dernière s’élève à plus de 6 milliards de dollars, dont 3,7 milliards sont dus à la France.

En contrepartie, les autorités ivoiriennes ont donné des gages de bonne gouvernance en rendant publics les revenus des hydrocarbures (voir p. 116) et du café-cacao (voir pp. 122-123), mais surtout en promettant de réintégrer les dépenses des grands travaux – à Abidjan et à Yamoussoukro (voir pp. 130-132) –  dans le budget de l’État. Fort de ces résultats, le ministre de l’Économie et des Finances, Charles Diby Koffi, a promis de mettre en œuvre toute une série de réformes afin de relancer les activités : création de tribunaux de commerce, réforme de la loi sur la concurrence, accélération des procédures administratives pour le remboursement des crédits de TVA, paiement de la dette intérieure aux entreprises privées, poursuite des incitations fiscales dans le Nord… Depuis mars, il multi­plie les voyages en Europe, premier partenaire de la Côte d’Ivoire, pour attirer les investisseurs.

Le point de décision de l’Initiative en faveur des PPTE acquis, les autorités ont prévu d’engager 17 000 milliards de F CFA (26 milliards d’euros) sur cinq ans pour réduire la pauvreté, restaurer des infrastructures dégradées, relancer les filières agricoles et agro­alimentaires, développer le commerce et les nouvelles technologies.

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« Nous sommes de plus en plus sollicités pour financer des projets d’investissement, explique un banquier d’Abid­jan. On prépare les dossiers, mais les entrepreneurs ne prendront leur décision qu’une fois l’élection passée. » La Côte d’Ivoire, porte d’entrée de l’Afrique de l’Ouest, a gardé son potentiel à peu près intact. Elle dispose de deux ports en eau profonde, Abidjan et San Pedro (voir p. 121), d’un réseau routier assez complet et d’un personnel formé.

Un potentiel intact, mais des secteurs sinistrés

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Les années de crise ont néanmoins profondément affecté l’appareil productif et modifié les comportements. Le risque pays a augmenté, la corruption s’est généralisée, l’insécurité juridique est totale, le taux de pauvreté est passé de 17 % dans le milieu des années 1980 à près de 50 % aujourd’hui.

Autre certitude : le budget actuel de l’État ne permet pas aux autorités de mener une politique volontariste en matière de développement économique et social. La priorité des autorités va à la rémunération des fonctionnaires et des militaires, afin d’éviter tout trouble social et toute tentative de coup d’État. La masse salariale absorbe 43 % des recettes fiscales, chiffre très supérieur au critère de convergence de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui est de 35 %. En revanche, les dépenses d’éducation, qui représentaient 28 % du total du budget en 2000, n’en représentent plus que 21 % en 2008. Même constat pour l’agriculture (4,6 % des dépenses en 1999, 1,5 % en 2007) et la santé (9 % et 6,7 %). Enfin, les infrastructures se détériorent d’année en année. Sur 82 000 kilomètres de routes, 30 000 sont très dégradés.

Dans le Nord, l’économie est devenue complètement informelle après la partition du pays en septembre 2002. La filière coton (voir p. 122) s’est effondrée – avec une récolte de seulement 160 000 tonnes par an au niveau national, contre 400 000 avant la crise –, les chefs rebelles prélèvent toujours les taxes et sont impliqués dans la production de diamants et d’or. Des efforts ont néanmoins été faits depuis deux ans pour améliorer les pratiques et tout laisse penser que les autorités parviendront également à restaurer l’État de droit et une économie formelle dans la zone septentrionale.

Actuellement, elles préparent le budget de l’État pour l’année 2010. La crise mondiale est venue ralentir les activités. Les exportations de cacao devraient décliner de 200 000 tonnes en 2008-2009 et celles de pétrole raffiné de plus de 1 million de tonnes. Par ailleurs, les productions de noix de cajou, d’ananas et de bananes ont accusé respectivement un recul de 28,3 %, 13,4 % et 3,4 % au premier trimestre 2009. La chute de la production de l’anacarde s’explique par le désintérêt des paysans, dû à des problèmes d’organisation et à des bas niveaux de prix d’achat. Quant à l’ananas et à la banane, leur repli provient de l’absence d’investissements et de leur manque de compétitivité face aux produits latino-américains… C’est autant de ressources fiscales en moins. Dans le milieu des affaires, on craint que l’État ne puisse continuer à apurer la dette intérieure, estimée à 2 milliards d’euros.

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