Rebiya Kadeer, icône de la longue marche des Ouïgours
Riche femme d’affaires exilée aux États-Unis, elle dénonce le « génocide culturel » dont seraient victimes les Ouïgours, musulmans turcophones du nord-ouest de la Chine.
On la surnomme « la mère des Ouïgours ». Parce que Rebiya Kadeer (63 ans), qui est aussi mère de onze enfants, est devenue le visage et la voix de la résistance du peuple ouïgour, musulman et turcophone, au pouvoir central chinois. Coiffée d’un bonnet traditionnel, les cheveux réunis en deux longues nattes, elle parcourt le monde pour réclamer l’ouverture d’une enquête internationale sur les émeutes qui ont secoué la région du Xinjiang, en juillet. Récemment au Japon, puis en Australie, elle a appelé Pékin à mettre un terme au « génocide culturel » dont son peuple serait la cible.
La Chine fait pression sur les gouvernements étrangers pour qu’ils s’abstiennent de délivrer un visa à cette « terroriste ». Elle est allée jusqu’à demander aux organisateurs du festival de Melbourne de retirer de leur programmation le documentaire (Les Dix Conditions de l’amour) qui lui a été consacré. Le résultat n’a pas été à la hauteur des espérances. Non seulement le film a été maintenu, mais l’acharnement chinois est en train de faire de Rebiya Kadeer une icône de la longue marche des Ouïgours.
Longtemps, l’opposante a pourtant été célébrée par les Chinois comme la preuve éclatante du succès de leur politique d’amélioration des conditions de vie des minorités. Riche en pétrole et en gaz, le Xinjiang est de surcroît une province stratégique. Définitivement intégrée à l’ensemble chinois en 1949, elle a bénéficié d’investissements considérables, mais également subi une colonisation intensive qui est en train de faire basculer le rapport des forces démographiques en faveur des Chinois de souche, les Hans, qui, il y a soixante ans, ne représentaient que 6 % de la population.
Née dans une famille pauvre, Rebiya Kadeer a su mettre à profit le développement pour s’enrichir. Elle a même été la première Chinoise à devenir millionnaire. En 1995, elle est désignée par le régime pour siéger à la Conférence consultative politique du peuple chinois (une sorte de Sénat) et pour représenter son pays à la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, à Pékin.
Dès l’année suivante, les choses se gâtent. Ancien prisonnier politique, son mari s’enfuit aux États-Unis. Placée sous surveillance policière, Kadeer est arrêtée trois ans plus tard. Motif : elle aurait « divulgué des secrets d’État à l’étranger ». En fait, on lui reproche d’avoir faxé à son mari des coupures de presse concernant les émeutes de Yining, en 1997. Elle sera condamnée à huit ans de réclusion. Libérée avant la fin de sa peine pour raison de santé, elle est autorisée à rejoindre son mari, mais doit s’engager à ne plus se mêler de politique.
Mais l’interdiction d’enseigner la langue ouïgoure, les restrictions imposées à la pratique de l’islam et la confiscation des passeports des opposants la révoltent. En 2006, Kadeer est élue à la tête du Congrès mondial ouïgour. Réplique immédiate des autorités : deux de ses quatre enfants restés en Chine sont arrêtés. « Comment pouvez-vous dormir la nuit sachant que vos enfants sont en prison ? » lui a demandé un journaliste, à Melbourne. Réponse : « J’ai toujours su que le prix à payer serait très lourd pour moi. Mais l’avenir de mon peuple est plus important que mon propre bonheur ou celui de ma famille. »
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