Les banques n’ont-elles rien compris ?
Massivement aidées par l’État pour faire face à la récession, elles n’ont jamais cessé de verser de faramineuses primes à leurs traders, voire à leurs dirigeants. Sans aucune obligation de résultats.
Les chefs d’État et de gouvernement des vingt principales économies de la planète se réuniront les 24 et le 25 septembre à Pittsburgh, aux États-Unis. Auront-ils le courage de mettre enfin en place une véritable réglementation mondiale de la profession bancaire ? Cet encadrement semble urgent à en juger par la polémique qui a fait rage tout l’été, dans le monde entier, à propos des faramineux bonus que les établissements bancaires, en dépit de la récession qu’ils ont eux-mêmes déclenchée, n’ont jamais cessé de verser à leurs traders, voire à leurs dirigeants.
Goldman Sachs a ainsi provisionné, depuis le début de l’année, 11,4 milliards de dollars à l’intention des opérateurs de marché qui lui ont permis de rembourser le prêt de plusieurs milliards de dollars que lui avait consenti l’État. Conscient de cette injure faite aux millions d’Américains réduits au chômage par la crise, Lloyd Blankfein, son patron, a toutefois demandé à ses traders un peu de « retenue » dans leurs dépenses personnelles ! Les consœurs de Goldman Sachs lui ont si bien emboîté le pas que le ministère de la Justice de l’État de New York a, le 31 juillet, dénoncé le fait que les neuf plus grands établissements du pays aient, en 2008, accordé 33 milliards de dollars de bonus à leurs salariés, alors qu’elles avaient perdu 88 milliards au cours de l’exercice, obligeant le gouvernement à leur affecter une aide de 700 milliards de dollars.
Le Royaume-Uni n’est pas en reste. Richard Snook, du Centre for Economics and Business Research, a révélé que les banques britanniques, quoique majoritairement dans le rouge, avaient, toujours pour leurs traders, provisionné 4 milliards de livres en 2009. Contre 3,3 milliards en 2008.
Jolie cagnotte
En France, l’annonce par le quotidien Libération que BNP Paribas venait de provisionner près de 1 milliard d’euros de bonus a fait scandale, le 6 août. La banque a en effet bénéficié d’une aide de l’État de 5,1 milliards pour faire face à la crise et améliorer ses fonds propres, somme qu’elle n’a toujours pas remboursée en dépit d’un bénéfice de 3,2 milliards au premier semestre. À cette occasion, on a découvert que, pareillement aidées, ses concurrentes françaises avaient pareillement mis de côté des sommes rondelettes…
Que les syndicats et les partis d’opposition français aient crié au scandale avec Martine Aubry, la première secrétaire du Parti socialiste, n’étonnera personne. « On revient aux travers précédents », s’est indignée la CGT, à l’unisson avec la CFDT, furieuse de « la reprise de la pratique des bonus exorbitants ». Le président Nicolas Sarkozy, qui se pique de réformer le capitalisme mondial, ne pouvait faire moins que de demander au gouverneur de la Banque de France d’« appliquer avec fermeté les règles en vigueur en matière de rémunération ». En écho, Christine Lagarde, sa ministre de l’Économie, est montée sur ses grands chevaux. À ses yeux, le fait que « les banques continuent d’accorder des bonus garantis » constitue un « scandale absolu ».
Ailleurs, l’indignation est comparable. « On n’a pas l’impression que les gens de Wall Street aient le moindre remords d’avoir pris autant de risques », a par exemple regretté Barack Obama. Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King cloue pour sa part au pilori le versement de « sommes colossales pour un travail qui ne justifie pas des rémunérations excessives ». Quant à Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), lui aussi « scandalisé » par tant d’avidité « qui a créé des drames et en créera encore si l’on n’y met pas un frein ». Bien entendu, cette belle unanimité ne résiste pas une minute à la loi d’airain du marché. Depuis les années 1980, les banques ont pris l’habitude de verser aux traders, qui commercialisent leurs produits financiers, des sommes importantes en plus de leur salaire fixe afin de se les attacher.
Pousse-au-crime
Ces bonus peuvent atteindre 100 millions de dollars, puisque tel est le montant de la prime que Andrew Hall, un trader de Citigroup, réclame à son employeur pour avoir spéculé avec succès sur la hausse du prix du pétrole en 2008. Ces primes sont des « pousse-au-crime », car elles incitent les traders à prendre des positions dangereuses et à créer de la volatilité. Et en toute impunité, puisqu’ils ne sont pas associés aux pertes que, le cas échéant, ils provoquent. Le système est pervers, mais aucune banque ne veut y renoncer de peur de voir ses meilleurs éléments passer à la concurrence. Obama a donc renoncé de facto à réglementer ces primes.
Le 1er août, la Chambre des représentants s’est certes prononcée pour un plafonnement des rémunérations des cadres des entreprises aidées par l’État. Mais Nancy Pelosi, sa présidente, va un peu vite en besogne en voyant dans cette décision « une avancée cruciale pour prévenir une future crise financière ». Car rien ne prouve que le Sénat la fasse sienne, en septembre.
Quelles sanctions ?
En avril, à Londres, le G20 avait bien invité les banques à mettre au point « une politique de motivation salariale » qui « promeuve la stabilité » et évite de « récompenser le court-termisme », mais sans prévoir la moindre sanction. L’Association française des banques (AFB) a mis au point au printemps un « code éthique » prévoyant d’interdire les bonus garantis, c’est-à-dire attribués sans obligation de résultats, et le versement de primes en différé, notamment en actions de la banque qui emploie le trader. Problème : la Banque de France, censée veiller au respect de ces principes, ne rendra les conclusions de l’enquête qu’elle mène à ce sujet qu’à la fin de l’année… Finalement, c’est Paul Krugman qui a raison. Le 10 août à Kuala Lumpur (Malaisie), devant un parterre de chefs d’entreprise, le Nobel d’économie 2008 n’a pas caché sa désillusion : « La façon dont nous avons agi pour éviter une répétition de la Grande Dépression des années 1930 a eu un inconvénient : nous avons sans doute sauvé l’économie trop tôt, avant que la volonté politique d’imposer de vrais changements ait été suffisamment forte. »
On l’aura compris : les bonus ont encore de beaux jours devant eux…
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