Pouvoir au féminin pluriel

Un projet de loi propose l’introduction d’un quota de femmes dans les instances élues. Une sorte de discrimination positive destinée à bouleverser les mentalités. Et à rattraper le temps perdu.

Publié le 27 août 2009 Lecture : 5 minutes.

Le 4 juillet dernier, Fatma-Zohra Ardjoun, professeur en médecine, chef de service à l’hôpital militaire d’Aïn-Naâdja, dans la banlieue d’Alger, était promue au grade de général. C’est la première fois qu’une Algérienne accède à un tel grade dans la hiérarchie de l’armée. Dans la foulée, deux autres femmes ont été nommées commissaires divisionnaires, avec fonction de chef de sûreté de wilaya (département), poste qui équivaut au grade de général au sein de la police nationale.

Longtemps confinées au statut de mineures à vie par un code de la famille adopté en 1984, les femmes algériennes ont enregistré plusieurs succès dans leur patiente lutte pour l’émancipation et l’égalité. Victoire symbolique du féminisme à l’algérienne : Louisa Hanoune, première femme chef d’un parti politique de poids (première force d’opposition au sein du Parlement) et première candidate à une élection présidentielle dans le monde arabe (en 2004).

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Les récentes nominations confortent les réelles avancées du combat féministe dans le pays le plus conservateur du Maghreb. Née d’une lutte de libération dans laquelle les femmes ont pris une part non négligeable, l’Algérie indépendante a vu tous les textes de la République consacrer l’égalité entre citoyennes et citoyens. Une disposition que les pesanteurs sociologiques et le poids des conservatismes ont rendue bien virtuelle. La haute fonction publique et les postes de responsabilité sont longtemps restés inaccessibles à la gent féminine.

Dépositaires de l’honneur de la tribu, les femmes étaient quasiment exclues de l’espace public. À peine présentes dans les artères des grandes villes, elles étaient quasiment invisibles en milieu rural. La femme active était une denrée si rare que les chiffres du chômage ne s’intéressaient qu’à l’emploi masculin.

Politique volontariste

L’évolution fut lente mais spectaculaire. Aujourd’hui, les femmes sont largement majoritaires dans l’enseignement, la santé ou au sein de la corporation des journalistes, avec des taux dépassant 60 %. Mieux : dans le secteur de la justice, elles représentent près de 30 % des magistrats de siège (une véritable révolution dans un pays musulman, l’islam favorisant traditionnellement un droit dit exclusivement par les hommes). L’accès de la citoyenne aux postes jusque-là monopolisés par les hommes a été favorisé par la démocratisation de l’enseignement et la scolarisation massive des filles. Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), établis par le Pnud pour l’horizon 2015, visent une parité de scolarisation à 0,87 (soit 87 filles pour 100 garçons). En Algérie, ce chiffre a été atteint puis dépassé dès l’année scolaire 2004-2005, avec un rapport de 0,89. Peu à peu, cette politique volontariste de scolarisation des filles, doublée d’un taux de réussite élevé, a fini par avoir raison de l’islamisation rampante de la société algérienne. Avec la révision constitutionnelle du 12 novembre 2008, celle-là même qui avait permis au président Abdelaziz Bouteflika de briguer un troisième mandat, une disposition élargissant la représentation féminine au champ du politique a été introduite. Où en est-on aujourd’hui ?

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Le débat fait rage

Avec 30 députées sur 389 sièges à l’Assemblée populaire nationale (APN, Chambre basse du Parlement), l’Algérie est en queue de peloton au Maghreb en matière de représentation des femmes dans les instances élues. Loin derrière la Tunisie avec ses 22,8 % de parlementaires, la Mauritanie (22,1 %) et le Maroc (10,5 %). À l’initiative de Nouria Hafsi, du Rassemblement national démocratique (RND, du Premier ministre Ahmed Ouyahia) et de Farida Illimi, du Front de libération nationale (FLN), un projet de loi instituant un quota de 30 % de femmes dans les instances élues, au niveau national et local, a été déposé en juin dernier. Cette proposition devrait être discutée au cours de la prochaine session du Parlement, dont l’inauguration est prévue à la mi-septembre. Il n’en fallait pas plus pour que le farniente estival soit quelque peu perturbé par le débat sur la discrimination positive. Si pour Khadidja Belhadi, présidente de la Seve, association de femmes chefs d’entreprise, « l’introduction d’un quota est salutaire, dans un premier temps, car elle participera certainement à bouleverser les mentalités », l’idée ne réjouit pas tout le monde. Pour Lila Hadj Arab, députée du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, opposition), l’idée d’un quota est « une autre forme de ségrégation à l’encontre de la femme ». Autre voix à s’exprimer contre le quota, la sociologue Fatma Oussedik déplore la faiblesse du taux reconnu à la femme et son décalage par rapport à sa contribution réelle dans le combat libérateur et dans la lutte contre le sous-développement. « Le quota est une forme de théâtralisation de la présence de la femme sur la scène politique. » Curieusement, les partis islamistes n’ont pas manifesté d’opposition frontale contre cette proposition de loi. Au contraire, ils s’y préparent, à l’image des Frères musulmans du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, de Bouguerra Soltani), qui a doté sa formation politique d’une section féminine dont l’objectif est de préparer les candidates du parti en vue des prochaines échéances électorales.

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Insuffisant ou pas, le quota de 30 % d’élues peut constituer un handicap réel pour la classe politique. Selon le juriste Kamel Rezgui, cette disposition sera difficile à appliquer sur le terrain. « La donne sociologique et culturelle dans notre pays complique considérablement la mise en œuvre de l’idée de quota. » Si les partis politiques n’auront pas de difficulté à garnir de candidates leurs listes pour les différentes élections dans les grandes agglomérations, la chose paraît quasi impossible en milieu rural. Autre danger évoqué par Lila Hadj Arab : « la féminisation de l’opportunisme politique ». Les promesses de primes financières aux partis qui accordent plus de place aux femmes dans leurs structures dirigeantes et sur leurs listes électorales risquent de travestir la réalité politique de l’Algérienne. La députée du RCD redoute que les partis politiques ne sombrent « dans le ramassage » pour élaborer leurs listes et toucher les subsides promis par le gouvernement dans le projet de loi sur les quotas.

Mais l’Algérienne n’a pas attendu l’issue de ce débat pour continuer à s’imposer, à gagner plus de place dans l’espace public, plus de responsabilités dans la gestion de la cité. Avec près de 60 % de jeunes femmes parmi les nouveaux diplômés de l’université algérienne, l’élite se féminise de plus en plus. D’où une plus grande visibilité dans la rue. Et, forcément, cela a un impact considérable sur le statut social des femmes. Du coup, les hommes ne les regardent plus de haut. Ou presque…

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