Le maillon faible mauritanien
Dernière en date d’un cortège d’attentats et d’attaques, l’opération kamikaze du 8 août contre l’ambassade de France à Nouakchott impose un constat : Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) est bel et bien implantée dans le pays.
Pour une fois, Mohamed Ould Abdelaziz et ses détracteurs parlent d’une même voix. Les termes de leur condamnation de l’attentat perpétré par un jeune kamikaze, le 8 août, à la tombée de la nuit, contre le mur ocre de l’ambassade de France, à Nouakchott, sont pratiquement identiques. « Une déviance étrangère à notre société », s’est insurgée l’Union pour la République (UPR), la formation présidentielle ; « un procédé totalement étranger à notre société », a réagi le Front national de défense de la démocratie (FNDD), une coalition de partis qui, pendant près d’un an, a combattu l’installation au pouvoir de Mohamed Ould Abdelaziz, finalement élu le 18 juillet dernier.
Stage dans un camp mobile
Les avis glanés dans l’opinion expriment en général le même rejet : les terroristes ne sont pas de « vrais » enfants du pays et leurs actes « barbares » sont autant de « trahisons » de l’âme mauritanienne, « pacifique », « hospitalière », « tolérante »… Un écho qui résonne lors de chaque attaque. Mais le cortège d’attentats qui ont frappé la Mauritanie ces dernières années finit par imposer un constat : Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) est implantée dans le pays. Depuis 2005, les tueries attribuées à ce mouvement terroriste islamiste – ou à son ancêtre, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) –, qui trouve ses racines chez le voisin algérien, ont fait près de quarante morts. La série noire mauritanienne a commencé en juin 2005, avec un raid contre une patrouille militaire nomadisant aux environs de Lemgheity, en plein Sahara, à quelque 400 kilomètres de la ville minière de Zouérate. Bilan : 15 morts. Trois ans plus tard, l’armée allait de nouveau payer un lourd tribut. En septembre 2008, les corps de 11 soldats et celui de leur guide étaient retrouvés décapités et bourrés d’explosifs sur une étendue sablonneuse dans la région du Tiris Zemmour, caniculaire à cette époque de l’année. Les militaires ne sont pas les seules victimes : en décembre 2007, quatre touristes français étaient assassinés sur la route de l’Espoir, à 250 kilomètres au sud-est de Nouakchott ; le 23 juin dernier, Christopher Leggett, un ressortissant américain dirigeant une ONG, était abattu en pleine rue, dans la capitale.
Les suspects interpellés sont en majorité mauritaniens. D’après Mohamed Ould R’Zeizim, ministre de l’Intérieur jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement le 11 août, le kamikaze du 8 août l’est également. Pour autant, encore récemment, les autorités ne criaient pas péril en la demeure. Les combattants islamistes « made in Nouakchott » étaient plutôt considérés comme des amateurs, leurs attaques n’étant pas aussi meurtrières qu’en Algérie ou en Irak, ni leur armement – revolvers, kalachnikovs – aussi sophistiqué.
Inédit dans l’histoire du pays, l’attentat-suicide du 8 août change la donne. « Maintenant, on ne pourra plus dire que c’est banal, anodin ou isolé », commente un proche des renseignements. Ceinture d’explosifs, déflagration qui a retenti à plusieurs centaines de mètres de l’ambassade de France, corps du kamikaze déchiqueté : les ingrédients sont ceux que l’on retrouve chez les professionnels du djihad, en Palestine, en Afghanistan, là où de jeunes recrues sont prêtes à tuer et à mourir pour Dieu et le salut de leur âme… « La capacité de nuisance de quelqu’un qui veut aller au paradis par tous les moyens est maximale », explique, sous le couvert de l’anonymat, un interlocuteur ayant côtoyé des membres d’AQMI.
Un phénomène incontrôlable auquel la Mauritanie espérait échapper mais, selon plusieurs sources, des recrues d’AQMI aspirant au martyre sont bel et bien établies dans le pays, particulièrement à Nouakchott. Les estimations sont très variables : selon une source AQMI, elles seraient 300 au total ; 50 selon une source militaire mauritanienne.
À l’heure où nous mettions sous presse, AQMI n’avait pas revendiqué l’attentat et l’identité du kamikaze du 8 août n’était pas encore certaine, les papiers retrouvés dans ses vêtements par la police pouvant être ceux d’un camarade recherché qu’il aurait voulu protéger en faisant croire à sa mort. Mais plusieurs témoignages permettent d’esquisser un portrait-robot des djihadistes mauritaniens en herbe : des hommes, jeunes – l’un des assassins présumés des touristes français avait tout juste 20 ans au moment des faits –, issus des couches les plus démunies de la population, qui vivaient de petits larcins avant de rencontrer un « guide ».
De la pauvreté au djihad
« À la fin du prêche, à la mosquée, il y a quelqu’un qui vient s’asseoir à côté de vous et qui vous dit : “Cette vie n’est pas importante, ce n’est qu’un rêve, vous serez plus utile dans l’au-delà” », raconte une source proche des renseignements. S’ensuit un stage dans un camp mobile d’AQMI dans le nord (désertique) du Mali ou dans une discrète baraque de Nouakchott. On y apprend les rudiments du maniement des armes et on regarde, les larmes aux yeux, des vidéos de martyrs se faisant exploser. Les jeunes pousses évoluent à Nouakchott sous la coupe de « délégués » des émirs d’AQMI basés dans le nord du Mali – notamment de Mokhtar Belmokhtar et d’Abou Zaïd. Pour brouiller les pistes des forces de sécurité, elles ne se connaissent guère entre elles et appartiennent à des « cellules » qui ne comptent pas plus de trois personnes. Figurant sur des listes de combattants volontaires, elles passent à l’acte selon les ordres et la règle du premier inscrit premier servi…
L’initiation au djihad semblant dépendre de l’isolement des individus, de leur désœuvrement et de leur pauvreté, les observateurs mauritaniens sont inquiets de voir le phénomène se perpétuer, voire s’accroître dans un pays où 50 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. Autre argument : « La Mauritanie est le maillon faible du point de vue sécuritaire, explique un proche des renseignements. C’est le pays le moins peuplé du Sahel, l’un des plus vastes, et c’est ici qu’on a les sympathies les plus importantes à l’égard de l’Irak ou de la Palestine. Les jeunes peuvent plus facilement être sensibilisés à ces thèmes qu’au Mali voisin. »
La lutte contre le terrorisme est l’une des grandes missions de Mohamed Ould Abdelaziz, investi à la présidence trois jours avant l’attentat. C’est précisément pour sa capacité supposée à maîtriser la menace qu’il a reçu un soutien français ostensible, en pleine campagne électorale, puis lors de sa prestation de serment, à laquelle a assisté le secrétaire d’État à la Coopération, Alain Joyandet. Paris avait notamment vu d’un bon œil sa décision, au lendemain de son coup d’État du 6 août 2008, de créer une unité chargée de traquer les terroristes. Mais, d’une certaine manière, l’appui affiché de la France, dont la chancellerie était la cible de l’attentat du 8 août, s’est retourné contre lui.
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