Zuma à l’épreuve du pouvoir
Grèves à répétition, émeutes dans les townships… Le chef de l’État n’aura pas eu de période de grâce pour ses cent premiers jours. Mais, avec un certain sens du dialogue et une équipe solide, il est parvenu à apaiser les tensions et à rassurer ses plus virulents détracteurs.
Jessie Duarte, porte-parole du Congrès national africain (ANC), s’agace : « Comment parler des 100 jours de Jacob Zuma quand ils s’inscrivent dans les 100 ans de l’ANC ? Nous avons une tradition de gouvernance collective. Il faut arrêter de comparer Zuma et Thabo Mbeki. »
Pourtant, rien n’est plus flagrant que la différence entre les deux hommes. L’un, éduqué en Angleterre, distant, intellectuel et incapable de se fondre dans le quotidien des gens ordinaires ; l’autre, homme du peuple, chanteur, danseur, polygame, à peine scolarisé et, surtout, limogé par le premier en 2005, avant d’être poursuivi en justice pour viol et corruption. Rien de collectif dans le coup de théâtre qui a finalement vu la chute de Mbeki et le triomphe de Zuma, 67 ans, porté au pouvoir le 22 avril par une population toujours fidèle au parti de la libération.
« La classe moyenne, qu’elle soit noire ou blanche, a été agréablement surprise », estime Richard Calland, analyste politique de l’Institut pour la démocratie en Afrique (Idasa). « Elle appréhendait un Zuma trop proche de la gauche, trop populiste et otage des syndicats. Elle doutait de l’envergure de Zuma et de son innocence face aux accusations de corruption. Aujourd’hui, plus personne ne parle de ses déboires judiciaires », poursuit cet analyste.
A genoux devant Mandela
Le premier geste d’apaisement, Zuma l’a fait le jour de sa prestation de serment, le 9 mai. S’agenouillant devant Nelson Mandela, un prince xhosa, le Zoulou a indiqué par ce geste son allégeance à la nation et effacé le souvenir des slogans « 100 % Zulu », qui avaient défrayé la chronique ces deux dernières années.
Il lui fallait aussi envoyer un message fort au marché et au monde des affaires. Hendrik Du Toit, président de la banque d’investissement Investec, estime que Zuma a fait un travail « admirable ». « La Bourse et les entrées de capitaux étrangers nous le montrent. Il a réussi à gagner la confiance du milieu des affaires et il a résisté aux pressions des syndicats sans perdre leur confiance. Il a nommé un gouvernement de gens responsables, capables et expérimentés. »
Parmi ses meilleures décisions, la réorganisation de plusieurs ministères et le limogeage de fonctionnaires et d’élus soupçonnés de corruption. Trevor Manuel, qui occupait le poste de ministre des Finances, s’est vu confier la toute nouvelle Commission de planification nationale, qui dépend de la présidence. Cet homme, qui incarne depuis plus de quinze ans la « bonne gouvernance » et la croissance économique, mais qui est aussi la bête noire des syndicats, non seulement n’a pas été écarté, mais occupe aujourd’hui un poste officieux de « Premier ministre ».
Cependant, Zuma ne doit sa victoire ni aux classes moyennes ni au marché, mais aux classes populaires. Des électeurs qui, dans leur grande majorité, n’ont pas encore goûté aux fruits de la croissance. Dès ses premiers jours au pouvoir, Zuma a promis de créer 500 000 emplois avant la fin 2009. Sans que personne n’y croie trop. Il s’est aussi engagé à rompre avec une culture de corruption qui a vu des milliers de maisons, construites pour les plus pauvres, revendues ou mises en location par des élus locaux sans scrupules. Dans ce domaine, le ménage n’est pas encore fait. Pourtant la colère gronde.
Coup médiatique
Elle a explosé en juillet, comme elle le fait régulièrement depuis quelques années. Du Cap au Limpopo, en passant par Pretoria et Johannesburg, des milliers de manifestants, habitants des townships, les anciens ghettos noirs, ont battu le pavé, brûlé des pneus et attaqué voitures et bâtiments appartenant aux services municipaux. La police est intervenue, tirant des balles en caoutchouc. On craignait des débordements ainsi qu’un nouveau déchaînement xénophobe, semblable à celui de mai 2008 qui avait fait au moins 67 morts. Et l’on attendait, à la différence de l’année précédente, où Thabo Mbeki avait choqué par son silence, une réaction du gouvernement.
Où était donc ce Zuma si proche du peuple ? Il a fallu trois semaines avant qu’il effectue une visite surprise dans un township du Limpopo (Nord-Ouest), au grand dam du conseiller municipal, en arrêt maladie quand le président est arrivé dans ses bureaux. Un bon coup médiatique de Zuma démontrant que, même si le peuple a été trahi par ses élus locaux, le président, lui, a compris la douleur de gens qui attendent encore l’eau et l’électricité après tant de promesses et tant d’années.
« On oublie que, depuis quinze ans, nous avons construit 3,2 millions de maisons », se défend Jessie Duarte. « Dans notre pays, 12,5 millions de personnes reçoivent des aides sociales. Mais il est vrai qu’un certain niveau de corruption s’est développé. Nous nous y attelons et nous faisons tout pour être à l’écoute », ajoute-t-elle.
Alors que les townships s’enflammaient, le pays a connu des grèves dans pratiquement tous les secteurs – santé (médecins, infirmières et pharmaciens), construction (dont celle des stades et autres chantiers de la Coupe du monde de 2010), industrie du textile, mines et services municipaux. Bilan : des accords dans presque toutes les branches. Zuma, aidé par la Cosatu, la puissante confédération syndicale, pour renverser Mbeki, a trouvé un modus vivendi avec les représentants des travailleurs.
Début août, Zuma a annoncé un plan de sauvetage d’emplois élaboré entre les employeurs, le gouvernement et les syndicats. Ce plan, unique en Afrique, prévoit un fonds de 2,4 milliards de rands (210 millions d’euros), mis à la disposition des employeurs pour permettre de payer des formations à des employés menacés de licenciement.
Redynamiser l’ANC
Selon Richard Calland, Zuma maîtrise bien les relations avec les syndicats et le Parti communiste qui, avec l’ANC, sont unis dans la « triple alliance » au pouvoir : « Il permet à certains, dont le président de la Jeunesse ANC, Julius Malema, de lancer des ballons d’essai, par exemple au sujet de la nationalisation des mines. Il ne faut pas oublier que la Cosatu s’est sentie trahie par Nelson Mandela et Thabo Mbeki. Les ambitions des syndicats ne sont cependant plus les mêmes qu’en 1994, la récession a amené une part de réalisme. Le génie de Zuma est d’avoir su redynamiser l’esprit collectif de l’ANC. Avec Mbeki, on avait l’impression d’un homme qui, lorsqu’il entrait dans une pièce, se comportait comme s’il était indiscutablement le plus intelligent. Zuma sait déléguer, par humilité, ou par simple conscience de ses propres faiblesses. Quoi qu’il en soit, c’est une force. »
Le business d’abord
Parmi les plus grands critiques de Jacob Zuma, l’archevêque anglican Desmond Tutu a, ces derniers jours, pondéré ses propos. Lui qui avait menacé de ne pas voter en avril et qui, finalement, s’était rendu aux urnes « le cœur lourd » déclare aujourd’hui vouloir « donner sa chance » à Zuma. « Malgré mes déclarations dans le passé, il m’a invité à Pretoria pour une discussion. Cette preuve d’ouverture ne peut qu’être bénéfique pour notre pays », dit-il.
Seule voix discordante, le politologue Moeletsi Mbeki, qui était également – il faut le préciser – un sévère critique de son frère, l’ancien président. Auteur d’un ouvrage explosif sur les élites africaines – Architects of Poverty : Why Africa’s capitalism needs changing –, Mbeki désespère de la situation actuelle. « Il n’est pas question d’analyser 100 jours uniquement. Les pauvres n’ont pas manifesté contre Zuma directement, mais contre quinze ans de manquements de promesses de la part de l’ANC. L’Afrique du Sud est gouvernée par un parti qui sert les classes moyennes et le business. La preuve : dès son élection, le gouvernement a privatisé l’opérateur de téléphonie mobile Vodacom, malgré l’opposition de la Cosatu. Les intérêts du privé primeront toujours ceux des pauvres et des travailleurs. »
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