En attendant le grand jour
Libreville, hôtel Laico, 14 août. Le marbre et les tapisseries ont connu des jours meilleurs, mais les salons cosy du palace restent le repaire de la bonne société gabonaise. Laquelle reprend peu à peu goût à la vie après les obsèques d’Omar Bongo Ondimba. Dans l’une des salles, des convives en costumes sombres et robes de soie célèbrent le mariage d’Alphonse, un haut cadre de l’administration fiscale, et de Nadège, une jeune femme résidant en France. Ni le deuil national ni les bisbilles entre candidats à la présidentielle du 30 août n’ont fait perdre aux Gabonais le goût de la fête. Quoique…
« J’ai invité 300 personnes, il devrait en venir 200 », prévoit le jeune marié. Beaucoup n’ont pas le cœur à sabler le champagne. Ministres, directeurs généraux, petits et grands commis de l’État sont déjà en campagne loin de la capitale. Mais pas tous pour le même candidat ! Assurer sa survie politique en ces temps incertains exige beaucoup de moyens et d’énergie.
Entre deux réunions de coordination à Libreville, chacun part à la pêche aux voix dans son fief, parcourt le terrain en tous sens, bien qu’avec des fortunes diverses. À l’évidence, certains ne croient pas eux-mêmes à la victoire. Les grosses écuries se sont offert les services d’instituts de sondages, mais les résultats des enquêtes en cours ne sont pas encore connus. Du coup, la question du poids électoral des uns et des autres reste provisoirement sans réponse. Le Gabon est calme, mais inquiet.
LE TEMPS DES COUPS TORDUS
Dans le hall de l’hôtel Laico, les invités font un bruit d’enfer. Un peu à l’écart, une jeune commerciale ne s’en soucie guère. Elle tente de convaincre le proche conseiller d’un candidat indépendant de faire imprimer des casquettes à l’effigie de son poulain par l’entreprise qu’elle représente. « Je marche, lui répond celui-ci, mais à condition que le paiement soit fait sur un compte à l’étranger. » À l’évidence, il veut pouvoir poursuivre le prestataire devant des tribunaux neutres si, par malheur, les casquettes n’étaient pas livrées à temps. « Menacées par des adversaires politiques, plusieurs entreprises gabonaises n’ont pas livré la totalité de nos commandes de tee-shirts et de gadgets », explique-t-il. Bref, la prudence est de mise.
Jean Eyeghe Ndong et André Mba Obame ont longtemps voyagé avec des passeports diplomatiques délivrés au temps où l’un et l’autre étaient membres du gouvernement. Après le dépôt de leur candidature à la présidentielle, ils ont été exclus du Parti démocratique gabonais (PDG) et contraints de quitter l’équipe gouvernementale. Le 10 août, leurs documents de voyage leur ont été retirés. Mis à jour et signé le 13 août par les services du ministère des Affaires étrangères, celui d’Eyeghe Ndong, qui porte désormais la mention « ancien Premier ministre », ne lui est parvenu qu’après son départ pour Paris, où il avait de nombreux rendez-vous. Mba Obame est dans le même cas et a d’autant plus mal pris cette affaire que, le même jour, les policiers affectés à sa protection lui ont été soudainement retirés.
Dans les kiosques, les journaux spécialement édités pour la campagne prolifèrent. Ils sont presque tous d’une violence incroyable et d’un parfait cynisme. Ils attaquent les uns et encensent les autres, dans la plus grande confusion. La « gabonité » d’Ali Bongo Ondimba fait par exemple débat sur Internet, tandis que plusieurs dossiers resurgissent opportunément. L’affaire Mbanié vise à embarrasser Mba Obame. Et celle dite « des 11 milliards », Pierre Mamboundou. Omar Bongo Ondimba avait en effet alloué cette somme à l’opposant pour l’aider à « développer » sa commune de Ndéndé. Problème : la destination réelle de ces fonds reste un mystère… La campagne n’avait pas encore officiellement commencé que ce concert d’invectives polluait déjà le débat de fond et couvrait la voix des candidats, réduits à se justifier à longueur de meetings. Pour les programmes, on verra plus tard…
TRÈS CHERS SUFFRAGES
Le champion du PDG répète à l’envi que, s’il est élu le 30 août, il ne remboursera pas à ses adversaires malheureux leurs frais de campagne. Décidément, les temps changent. L’heure n’est plus aux compromis, aux consensus improbables chers au « patriarche » défunt. La menace aurait, dit-on, calmé les ardeurs dépensières des petits candidats, qui, désormais, hésitent à casser leur tirelire personnelle avant d’entreprendre une onéreuse tournée des provinces.
Casimir Oyé Mba estime le coût d’une campagne digne de ce nom à 4 milliards de F CFA (6 millions d’euros), au minimum. Un investissement qui excède largement les moyens d’une bonne vingtaine de challengeurs. Sillonner, quinze jours durant, un pays mal pourvu en infrastructures routières est un cauchemar logistique. Comment louer avions, hélicoptères gros-porteurs et véhicules tout-terrain ; acheter, stocker, transporter et distribuer tee-shirts, casquettes et autres gadgets électoraux ; faire fabriquer affiches et banderoles… quand on ne dispose pas d’un budget important ?
Chantal Myboto, la fille de Zacharie, par exemple, a un moment envisagé de vendre des biens immobiliers familiaux pour épargner à son père de faire de la figuration. Le candidat indépendant Mehdi Teale ne dispose quant à lui que d’un bien maigre budget : 50 millions de F CFA, dont 42 millions provenant de la vente d’un… Hummer H2. Par ailleurs, ni Oyé Mba ni Mba Obame ne disposent de véhicules pour transporter leurs équipes ou leur matériel. Chacun est donc invité à mettre son patrimoine personnel au service de la cause.
Au QG d’Ali Bongo Ondimba, aussi, la circonspection budgétaire est de mise. Le candidat a fait signer un engagement sur l’honneur par lequel chaque membre de son équipe accepte de n’être rémunéré qu’en cas de victoire finale. Le père jouait volontiers les cigales, son fils préfère le rôle de la fourmi. Selon un membre de son état-major, Ali n’a commandé pour la campagne qu’une vingtaine de véhicules. En 2005, Omar en avait acheté près de trois cents.
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