Ali Bongo Ondimba : « Le Gabon, mon père et moi »

Une élection à un tour, le 30 août, qui s’annonce très ouverte. Vingt-trois candidats en lice – une première au Gabon. Parmi eux, le fils du président Omar Bongo Ondimba. Qui est-il vraiment ? Quel est son projet pour le pays ? Entretien.

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Publié le 1 septembre 2009 Lecture : 20 minutes.

Rumeurs, chiffres en cascade, tous invérifiables et la plupart fantaisistes, pronostics contradictoires… Le scrutin présidentiel du 30 août réveille un Gabon qui n’a jamais connu élection aussi ouverte. Un réveil brutal, qui donne parfois l’impression que le pays, sans repères, s’apprête à faire un saut dans le vide.

Avant, tout était balisé, carré, simple. C’était Omar Bongo Ondimba (OBO) qui décidait et faisait tout. Chef de l’État, père de la nation, ami, ennemi, chef de famille, banquier… Aujourd’hui, c’est l’aventure. Circuler dans Libreville, mesurer l’état des forces en présence, soupeser les chances des uns et des autres, comprendre les vraies aspirations des Gabonais et la réalité électorale d’un grand pays à la petite population relève de la gageure.

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On entend tout et, donc, n’importe quoi. À l’heure où ces lignes prenaient le chemin de l’imprimerie, un chiffre, un seul, qui en dit long sur la nébuleuse gabonaise : 1,2 million d’inscrits sur les listes électorales… Sur une population d’un peu moins de 1,5 million d’habitants ! La rumeur, véhiculée par certains candidats, fait pourtant son chemin sans que nul y trouve à redire. La vérité : entre 600 000 et 700 000 inscrits.

Les hommes de confiance des principaux candidats ? Togolais, Sénégalais, Guinéens, etc., mais surtout pas Gabonais. On craint les doubles jeux, les agents dormants et les taupes. Ambiance…

Foire d’empoigne

Après plus de quarante ans de pouvoir, Omar Bongo Ondimba laisse un pays désemparé. Lui parti, c’est la foire d’empoigne. Sa succession attise toutes les convoitises. Parmi les vingt-trois candidats, nombre de personnalités qui, à un moment ou à un autre et plus ou moins longtemps, ont profité de ses largesses en échange de leur soutien. Certains ont accepté de se taire, d’autres ont préféré le confort du pouvoir à l’ascèse, hélas inhérente à l’Afrique, de la vie d’opposant. Les portefeuilles ministériels, entre autres, ont souvent eu raison des velléités contestataires. Ainsi allait le système, qui savait éteindre les braises avant que l’incendie ne se déclare. Ou, qui, comme au début des années 1990, quand le pouvoir d’OBO vacillait dangereusement, permettait de retourner une situation qui semblait – presque – perdue d’avance.

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Les zones d’ombre sont légion, et les différents candidats ne font rien pour éclairer notre lanterne. Entre ceux qui n’ont que peu de chances de succès, les ennemis d’hier qui s’allient aujourd’hui, les ex-amis qui ne se parlent plus, les anciens « chefs de chantier électoral » d’OBO qui crient à la manipulation des listes dont ils avaient la charge deux mois auparavant, les caciques de « l’ancien régime » qui vantent les mérites du changement et les « vrais » opposants qui se font d’une rare discrétion, allez comprendre…

Mais une chose est sûre : le club des vainqueurs potentiels est très, très restreint. Parmi eux, Ali Bongo Ondimba, Pierre Mamboundou, Zacharie Myboto et, dans une moindre mesure, Casimir Oyé Mba. Les deux premiers cités se disputeront certainement le fauteuil présidentiel. À 50 ans, le premier dispose d’un parti qui, loin de s’être effondré après la mort du « patron », constitue une formidable machine électorale. Et ne manque pas d’argent, cet autre nerf de la guerre.

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Le second est le seul à pouvoir se vanter de ne pas avoir cédé aux sirènes du pouvoir – ou, en tout cas, beaucoup moins que les autres. Il dispose lui aussi d’un parti efficace, bien implanté partout. Nous les avons sollicités tous deux pour s’exprimer dans nos colonnes. Seul Ali Bongo Ondimba nous a répondu. Il nous a reçu à son domicile de La Sablière, un quartier huppé de Libreville, à la mi-août. Décontracté, sûr de lui – et de son destin –, il n’a éludé aucun sujet. Ou presque…  

JEUNE AFRIQUE : Vous avez tout, le pouvoir, l’argent… Ne pourriez-vous vivre sans présider aux destinées du Gabon ?

ALI BONGO ONDIMBA : Si, j’aurais très bien pu faire un autre choix de vie, plus tranquille certainement. Mais c’est un virus que j’ai attrapé auprès de mon père. Très tôt, j’ai éprouvé le besoin de l’aider. Petit à petit, il m’a associé à certains dossiers. Nous échangions, il prenait le temps de m’expliquer un certain nombre de choses. Chemin faisant, j’ai pris goût à la politique. Et aujourd’hui, je pense que mon pays doit évoluer différemment, se développer plus et mieux. Et je compte bien être celui qui l’y aidera.

Selon les mauvaises langues, vous ne vous présentez que pour préserver le patrimoine familial…

C’est ridicule et stupide. Pourquoi devrais-je me présenter pour cela ? Nous tous, les membres de la famille, pourrions fort bien faire autre chose.

Le prochain président et son administration pourraient vous demander des comptes sur la gestion des « années Bongo »…

À condition que ce président n’ait pas lui-même participé à cette gestion…

Pouvez-vous être le président de tous les Gabonais ?

Dans toutes les fonctions que j’ai occupées, je me suis toujours comporté en rassembleur et j’ai toujours tenu compte de la représentativité des uns et des autres. Je n’ai pas cherché à m’entourer exclusivement de membres du clan, de la tribu, ou simplement d’amis. C’est ma façon de travailler et c’est aussi celle de mon parti, le PDG. Toute autre politique serait vouée à l’échec, comme l’avaient bien compris Léon Mba [le premier président gabonais, NDLR] et Omar Bongo Ondimba.

Vos adversaires mettent par avance en cause la transparence et la régularité du scrutin du 30 août. Quelles garanties pouvez-vous leur donner ?

C’est presque une coutume chez nous, comme ailleurs en Afrique. On entend ça avant chaque élection. Est-ce une manière de se préparer à la défaite ? Comme moi, le PDG ne veut qu’une chose : être légitime, donc bien élu. Nous veillerons à ce que l’élection se déroule dans la plus grande transparence. Quant à ceux qui crient le plus fort aujourd’hui, je constate qu’ils ne sont pas toujours attachés à ce que les choses se déroulent dans la plus grande clarté…

Vous êtes à la fois le fils d’Omar Bongo Ondimba, le candidat du parti au pouvoir et le seul prétendant à la succession à avoir conservé son ministère, celui de la Défense qui plus est. Est-ce vraiment démocratique ?

Il faudrait savoir ! On répète à l’envi que quatre décennies de règne de Bongo et du PDG, cela suffit. Logiquement, le fait d’être son fils et le candidat du parti au pouvoir devrait constituer un handicap plus qu’un avantage, non ? Quant à mon maintien au gouvernement, il s’agit d’un faux procès. Soyons clairs : je suis le candidat du PDG, qui dirige ce pays. Pour que nos adversaires soient rassurés, faudrait-il que je démissionne et que mon parti transfère la direction de ce pays à je ne sais quelle organisation bâtarde ? Aucun texte de loi n’impose de quitter ses fonctions pour se présenter à une élection présidentielle. Nous appliquons la loi, rien que la loi. C’est d’ailleurs ce que nous faisons depuis le décès du président Omar Bongo Ondimba.

Votre fortune, dit-on, est immense. Sans commune mesure, en tout cas, avec les moyens financiers dont disposent vos adversaires, ce qui est source d’inégalité. Seriez-vous disposé à déclarer votre patrimoine ?

Tout responsable politique gabonais doit déclarer son patrimoine. Je l’ai donc déjà fait.

« Tout sauf Ali » : tel est le leitmotiv de vos adversaires. Vous êtes au centre de la campagne et la cible de la grande majorité des candidats. Même certains de vos anciens amis ne vous épargnent pas. Comment vivez-vous cette situation ?

Ce que je vis aujourd’hui, mon père l’a vécu au cours des vingt dernières années. Quand on s’engage en politique, il faut accepter de recevoir des coups, même bas. « Tout sauf Ali… » ? C’est effectivement leur programme politique… Cela me semble un peu court, mais, après tout, c’est leur choix. Franchement, plus rien ne m’étonne.

Êtes-vous toujours en contact avec, par exemple, l’ancien Premier ministre Jean Eyeghe Ndong ou l’ancien ministre de l’Intérieur André Mba Obame ?

Non, je leur ai tendu la main, mais ils l’ont refusée et ont décidé de quitter le PDG. Reviendront-ils un jour ? C’est tout ce que je peux leur souhaiter.

Après un aussi long chemin côte à côte, qu’est-ce qui a provoqué votre rupture avec Mba Obame ?

Rupture est un bien grand mot. Nous avons l’un et l’autre de l’ambition. Il se trouve que c’est la même. Dommage que le fauteuil présidentiel ne puisse accueillir qu’une seule personne !

Votre père vous a-t-il demandé « d’y aller » ?

Oui. J’ai entendu tout et n’importe quoi à ce sujet, mais, jusqu’à présent, j’ai toujours gardé secrète cette conversation entre mon père et moi. Il y a peu, il m’a demandé quelles étaient mes intentions et si j’envisageais d’être, un jour, le président de ce pays. Comme j’ai répondu par l’affirmative, il m’a dit que si je le voulais vraiment, si j’avais cette ambition, il était temps « d’aller de l’avant » et de m’y préparer.

Le nom de Bongo est-il toujours « magique » ? Reste-t-il une sorte de sésame qui ouvre toutes les portes ?

Vous avez pu constater l’attitude du peuple gabonais lors des deux deuils qui ont frappé notre famille. Je pense qu’il est extrêmement rare qu’un dirigeant resté si longtemps au pouvoir suscite autant d’émotion et d’attachement dans son pays. Maintenant, nous pourrions disserter des heures sur le fait de savoir si porter le nom de Bongo constitue ou non un avantage. En termes de marketing, si je puis dire, mon nom et mon visage sont connus. Je n’ai donc pas besoin de travailler de ce côté-là. Mais il me reste à me faire un prénom. Les Gabonais veulent savoir qui est Ali et s’il est capable de les diriger. Le reste, c’est de la littérature.

Après plus de quarante ans passés avec le père, les Gabonais sont-ils prêts à suivre le fils ?

Ils sont prêts à s’engager avec quiconque leur apportera un projet auquel ils adhèrent, dans lequel ils pourront se reconnaître. C’est à moi de les convaincre.

Êtes-vous pour la limitation du nombre des mandats présidentiels ?

J’avoue que je ne me pose pas beaucoup cette question. Il faut apprendre à faire confiance au peuple. Il est souverain, c’est lui qui décide. Nous avons trop tendance à penser à sa place. À estimer qu’il n’est pas assez mûr pour choisir ou rejeter ses dirigeants.

Cela suppose des élections démocratiques, ce qui est loin d’être toujours le cas…

Ne généralisons pas. Je crois au contraire que, sur le continent, les élections sont de plus en plus démocratiques. Les consultations étant plus surveillées, il est moins facile de tricher. Même lorsqu’on y parvient, cela finit toujours, un jour ou l’autre, par vous revenir dans la figure. Il n’est plus possible de diriger sereinement un pays sans l’adhésion de la population.

Comprenez-vous ceux qui souhaitent tourner la page des « années Bongo » ?

Bien sûr, mais ce n’est pas aussi simple que cela. Et je ne crois pas qu’il faille juger le passé à l’aune des critères d’aujourd’hui.

Que faut-il, selon vous, corriger dans la gestion de votre père ?

Il l’a dit lui-même, en décembre 2007, quand, dans un discours, il a dressé un bilan sans complaisance de ses quarante ans au pouvoir. Je ne connais pas beaucoup de chefs d’État qui aient poussé si loin l’autocritique. Son héritage, c’est la paix, la cohésion nationale. Depuis la Conférence nationale [en 1990, NDLR], nous ne faisons plus que de la politique au Gabon. Moi, je veux remettre l’économie et le développement au centre de nos préoccupations. Tout le monde doit comprendre que la seule voie pour nous, c’est le travail. Tous les candidats, moi compris, parlent de mieux partager les richesses. Encore faut-il avoir quelque chose à partager ! Nous allons enfin mettre en avant les notions de compétence et de productivité. Cela veut dire récompenser l’effort, bien sûr, mais aussi sanctionner ceux qui ne font pas ce pour quoi ils sont payés.

La plupart des candidats ont, de près ou de loin et pendant des périodes plus ou moins longues, participé au système mis en place par votre père. Que pouvez-vous proposer de neuf aux Gabonais ? Comment les convaincre de votre sincérité ?

J’ai grandi dans ce système et, à ce titre, j’ai évidemment des comptes à rendre. Cela fait dix ans que je dirige le ministère de la Défense et il me semble que mon bilan parle pour moi. Examinons les bilans de mes concurrents… J’ai travaillé pour tous les soldats, pour leurs familles, pour améliorer leurs conditions de vie. J’ai géré mon ministère, j’en suis convaincu, de la meilleure manière possible. Mon administration, par exemple, est la seule, je dis bien la seule, à prendre des sanctions contre ceux qui le méritent. Nous avons toujours respecté le budget et incité nos cadres à viser l’excellence. J’estime être en mesure d’agir de même à la tête de mon pays.

Quel est, selon vous, votre concurrent le plus sérieux pour la présidentielle du 30 août ?

Il est très dangereux de se focaliser sur un seul adversaire. C’est même le meilleur moyen de perdre une élection. Dans une course de fond, il faut toujours se méfier de celui qui est derrière. Pour moi, tous mes concurrents sont au même niveau.

Pendant la maladie du président et même après sa mort, la rumeur a couru que vous vous apprêtiez à commettre un coup d’État pour prendre le pouvoir. Certains de vos adversaires vont jusqu’à prétendre que, dans l’hypothèse où vous ne seriez pas élu, vous n’hésiteriez pas à recourir à la force…

Encore une fois, ces accusations sont gratuites et ridicules. Si j’avais dû faire un coup d’État, je vous assure que je n’aurais pas eu beaucoup de mal. Il suffisait de le faire au moment du décès du président. Les plus hautes personnalités du pays se trouvaient à l’étranger. Mais tel n’était pas mon désir, cela ne correspond en rien à mon éducation. D’ailleurs, je ne crois pas avoir jamais eu recours à la violence, ni même avoir enfreint la loi. Ce n’est pas toujours le cas de ceux qui colportent ces rumeurs. Ce sont les mêmes qui affirment que, s’ils ne remportent pas l’élection, ils vont envahir la rue et tout casser. Et qui pensent pouvoir utiliser cet argument pour négocier avec le futur président élu.

Êtes-vous soutenu par la France ? Un proche de Nicolas Sarkozy, l’avocat Robert Bourgi, le prétend, tandis que Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée, le conteste.

Ma principale préoccupation est de convaincre les Gabonais, qui n’ont cure du soutien, affiché ou non, de tel ou tel pays. En outre, je doute que la France ait très envie de s’immiscer dans nos affaires. Les temps ont changé.

La France ayant des intérêts considérables au Gabon, il semble quand même logique qu’elle veuille les défendre en soutenant le candidat le mieux disposé à l’y aider…

[Rires] Du point de vue français, c’est normal, mais on ne le dit pas officiellement, cela ne se fait pas. Et, encore une fois, cela ne change rien. Ce sont les Gabonais qui votent.

Au cours de l’été 2008, vous avez rencontré le président Nicolas Sarkozy, en présence, justement, de Bourgi et de Guéant. Que vous a-t-il dit ?

Précisons que cette rencontre a eu lieu dans le cadre de mes fonctions de ministre de la Défense. Le Gabon et la France ont noué de longue date un partenariat privilégié dans le domaine militaire. Le chef de l’État français souhaite également revoir les accords de défense qui lient son pays à certains États africains, ce qui est logique puisque la plupart de ces accords datent de plusieurs décennies. Nous avons donc abordé cette question. Cela n’a rien d’extraordinaire.

Vous a-t-il donné des conseils, comme votre père l’avait fait avec lui ?

Vous savez, j’ai cette incroyable chance d’avoir pu bénéficier des conseils de nombreux chefs d’État. Félix Houphouët-Boigny et Hassan II, pour ne citer que ceux qui ne sont plus là, ont suivi de près ma carrière et se sont montrés très attentifs à mon évolution. Parfois, mon père leur demandait même de me « tirer les oreilles » ! Houphouët, par exemple, a épluché mon premier discours aux Nations unies en tant que ministre des Affaires étrangères. C’était, je crois, à la fin de 1989. Il n’a pas hésité à me faire part de ses remarques, croyez-moi ! Comme beaucoup d’enfants de chefs d’État, je connaissais les alter ego de mon père dans leur intimité. Cela crée des liens et permet d’avoir des échanges plus décontractés, mais aussi plus sincères. Nicolas Sarkozy fait partie de ceux qui ont pu, et peuvent toujours, me faire partager leur expérience.

Est-il vrai que vous êtes fâché avec Pascaline, votre sœur ? Et qu’une réunion de réconciliation a eu lieu à Barcelone, pendant l’hospitalisation du président Bongo ?

J’aimerais bien que les personnes qui véhiculent ces rumeurs m’expliquent d’où elles tiennent leurs informations. Ce sont des mensonges. Ma sœur est partie à Barcelone avec le président, ce qui est normal. Mes fonctions de ministre de la Défense me retenaient à Libreville. En principe, le président et moi ne nous absentions jamais du Gabon en même temps. C’étaient ses instructions, mais nous étions en contact permanent.

Que les choses soient claires : je n’ai aucun problème avec ma sœur. Elle est même ma première supportrice.

Comment avez-vous vécu l’hospitalisation de votre père ? Vous attendiez-vous à une telle issue ?

Franchement, non. Nous l’avons poussé, dans le cadre de la famille, à prendre du repos. Il était perturbé de devoir quitter le pays, il s’interrogeait sur ce que les Gabonais pourraient penser. Mais nous l’avons convaincu de partir. Nous n’imaginions pas une seconde qu’il ne reviendrait pas. Quand nous avons appris son décès, le ciel nous est tombé sur la tête.

Quelques jours auparavant, les informations concernant son état de santé étaient pourtant alarmantes…

Paradoxalement, au cours de la semaine qui a précédé son décès, son état s’était amélioré. Nous étions pleins d’espoir. Ces informations nous ont donc surpris.

À la même époque, d’autres rumeurs ont fait état de vos propres problèmes de santé. Vous auriez même été hospitalisé d’urgence à Paris…

Ces informations étaient exactes. On m’a diagnostiqué une occlusion intestinale à l’hôpital militaire de Libreville. Nous avons souhaité obtenir un autre avis médical, raison pour laquelle je me suis rendu à l’Hôpital américain de Neuilly-sur-Seine. Les médecins ont immédiatement conseillé une intervention chirurgicale. Tout cela a eu lieu avec l’accord du président, depuis Barcelone.

Quelles relations entretenez-vous avec les principaux chefs d’État de la sous-région, le Camerounais Paul Biya, l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema ou le Congolais Denis Sassou Nguesso ?

Je ne peux qu’avoir d’excellentes relations avec eux. Je suis le sillon tracé par mon père. Et il n’y a aucune raison pour que cela change.

Pensez-vous que l’un d’entre eux pourrait soutenir en sous-main un ou plusieurs de vos adversaires, comme cela se murmure ?

Je me méfie des on-dit et des rumeurs. Et je m’interdis de me mêler des affaires des dirigeants dont vous parlez. Je pense qu’ils font de même.

Dans une interview à Jeune Afrique (voir J.A. n°2529), Denis Sassou Nguesso déclarait ne pouvoir rester indifférent à ce qui se passe au Gabon. Comment interprétez-vous cette déclaration ?

De la manière la plus logique : en tant que voisin, il est normal qu’il se préoccupe de la situation au Gabon. Mais cela ne signifie en aucun cas qu’il va se mêler de nos affaires intérieures. Nous sommes tous des partenaires et suivons avec attention ce qui se passe chez les autres. Ce qui arrive au Gabon a des répercussions chez nos voisins, et inversement. Et tout le monde a intérêt à ce que les élections se déroulent en toute transparence, sereinement.

Pour des raisons évidentes [Denis Sassou Nguesso était le beau-père d’Omar Bongo Ondimba, NDLR], le président congolais entretient des liens étroits avec votre famille. Comment s’est-il comporté avec vous depuis la mort de votre père ?

Il nous a soutenus dans cette terrible épreuve. À vrai dire, nous nous sommes soutenus mutuellement, puisqu’il a perdu sa fille quelques mois auparavant.

Vous connaissez Mohammed VI, le roi du Maroc, depuis votre enfance. Où en sont vos relations ?

Sa Majesté Mohammed VI me témoigne toujours la même affection et m’a beaucoup soutenu lors du décès de mon père. Lui aussi est passé par là, il y a dix ans… Ce qui est admirable chez lui, c’est que son accession au trône ne l’a pas changé. Arrivés au pouvoir, certains, passez-moi l’expression, « attrapent la grosse tête ». Pas lui. Maintenant, il est roi et chef d’État, c’est à moi de m’adapter.

Pourquoi n’a-t-il pas assisté aux obsèques du président Bongo ?

Certains sont manifestement allés un peu vite en besogne. Pourquoi chercher des tensions là où il n’y en a pas ? Dans le protocole marocain, le roi n’assiste pas à des obsèques. C’est aussi simple que cela.

Faure Gnassingbé au Togo, Seif el-Islam en Libye, Gamal Moubarak en Égypte, Karim Wade au Sénégal, vous… En Afrique, les fils ne rêvent apparemment que de succéder à leurs pères. Cela devient une tendance lourde !

Ce n’est pas une exclusivité africaine. Dans un passé récent, il en est allé de même aux États-Unis, en Inde, au Pakistan et ailleurs. À des échelons inférieurs, et pas seulement en politique, le cas est également fréquent. Cela me semble naturel. Généralement, quand ils éprouvent du respect ou de l’estime pour leurs pères, les fils ont tendance à vouloir faire comme eux. Les enfants baignent dans une ambiance, une éducation. Ils peuvent les rejeter comme ils peuvent vouloir emprunter le même chemin. Et il faut admettre que c’est plus facile : nous avons été à bonne école.

L’affaire dite « des biens mal acquis » n’a pas disparu avec le décès du président Bongo Ondimba. La justice française doit d’ailleurs se prononcer, en septembre, sur la recevabilité de la plainte.

La plainte en elle-même ne me choque pas. Ce que j’ai trouvé inacceptable, c’est l’acharnement médiatique contre nous, alors que Mme la présidente Édith Lucie Bongo Ondimba était au plus mal. Cela nous a donné le sentiment qu’on ne lâchait la meute que parce qu’Omar Bongo avait un genou à terre. Pour le reste, encore une fois, il faut s’attendre à tout en politique et se préparer à prendre des coups. Mais là, c’était plus que déplacé.

 Trouvez-vous anormal que l’on puisse poser la question de l’origine de votre fortune ?

Bien sûr que non. Mais cette question ne regarde que les Gabonais. Si l’on prétend que nous avons détourné l’argent des Gabonais, c’est à eux de nous demander des comptes. Il faut arrêter de penser que les Africains sont incapables de s’occuper de leurs propres affaires. D’ailleurs, ils n’ont trouvé qu’un seul ressortissant gabonais pour déposer plainte…

J’aimerais en outre que l’on s’interroge sur l’origine des biens de tout le monde, et pas seulement de ceux de la famille Bongo. Pourquoi ne pas s’intéresser aussi aux biens des non-Africains ? Certains ont beau se draper de vertu et prétendre nous donner des leçons, ce n’est rien d’autre qu’un règlement de comptes politique.

Comment comptez-vous mettre fin à la confusion argent public/argent privé ?

Personnellement, je n’ai jamais fait cette confusion. Si je suis élu, je veillerai donc à ce que personne ne la fasse dans mon pays. Et puis, une nouvelle fois, quand on porte des accusations, la moindre des choses est de les étayer.

Vous vous êtes converti à l’islam dans la foulée de votre père, en 1973. Êtes-vous pratiquant ?

Oui.

Sincère ?

Tout à fait.

Quelle est votre formation ?

Juridique. J’ai étudié le droit à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Mon père le souhaitait, cela me convenait. Mais, pour être très franc, rien ne vaut ce que j’ai appris « sur le tas ».

Quel père était Omar Bongo Ondimba ?

Il avait, comme tout le monde, différentes facettes. Concernant les études, il était extrêmement sévère. Mais il était encore plus exigeant avec ceux d’entre nous à qui il arrivait de travailler à ses côtés. Adolescent, il m’emmenait parfois au bureau. Un jour qu’il recevait un ambassadeur, il m’a demandé de me mettre dans un coin et d’observer. J’étais très jeune et, franchement, ça me barbait. L’entretien terminé, il m’a demandé ce que j’en avais pensé. N’ayant rien écouté, je lui ai répondu que je ne savais pas. Alors, ça, il ne le supportait pas. Je ne souhaite à personne de subir le savon qu’on m’a passé !

Par la suite, il m’a tout appris, prenant toujours le temps de m’expliquer ce qu’il fallait que je sache. Toujours avec la même exigence, ne laissant jamais rien passer, pointant du doigt ce qui n’allait pas, ne me félicitant qu’exceptionnellement. Avec le recul, j’ai compris que, même si c’était difficile, c’était une excellente école.

En dehors du travail, c’était quelqu’un de généreux, de jovial et même de blagueur. Son visage était tellement différent quand il riait ! Ces moments privilégiés étaient rares, mais ils m’ont marqué.

Comment vivez-vous le fait, aujourd’hui, d’être constamment comparé à lui ?

Cela ne me pose aucun problème. Nous en parlions souvent avec le prince héritier du Maroc, à l’époque où il n’était pas encore Mohammed VI. Partant du principe que la comparaison avec nos pères respectifs serait toujours à notre désavantage, nous avons décidé, comme l’on dit, de pas nous « prendre la tête ». L’ombre de mon père ne m’a jamais écrasé, je n’ai pas de complexe à ce niveau, aucun problème d’identité.

En dehors de votre père, avez-vous un modèle dans la vie ?

Non, pas de modèle. J’ai eu la chance de connaître de nombreux personnages exceptionnels. J’essaie de retirer quelque chose de chacune de ces rencontres.

Qu’avez-vous envie de dire aux Gabonais ?

Qu’ils aient confiance en eux, puisque nous avons des atouts extraordinaires. Notre pays doit être dans le peloton de tête continental. Pour cela, il faut sortir de ces années de léthargie durant lesquelles la médiocrité était la norme. Sans attendre, nous devons nous mettre au travail.

Vous n’allez pas vous faire que des amis…

Primo, je ne me présente pas pour me faire des amis : s’il faut prendre des décisions impopulaires pour le bien de mon pays, je le ferai. Deuzio, à en juger par ce qui s’écrit et se dit sur moi depuis tant d’années – que je suis impopulaire, incapable, que je ne parle pas les langues de mon pays et que sais-je encore ? –, j’ai déjà pas mal d’ennemis. Cela ne m’empêche pas d’avancer.

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