L’Agoa montre ses limites

Au Kenya, la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, a lancé un appel en faveur des échanges commerciaux avec le continent. Mais le dispositif mis en place par Washington, il y a neuf ans, a surtout profité aux pétroliers.

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 11 août 2009 Lecture : 5 minutes.

Une délégation pléthorique et de haut rang emmenée par la secrétaire d’État, Hillary Clinton, le représentant au Commerce extérieur, Ron Kirk, et le ministre de l’Agriculture, Tom Vilsack. Washington a vu les choses en grand pour le 8e Forum de l’Agoa (African Growth and Opportunity Act), qui s’est tenu à Nairobi, au Kenya, du 5 au 6 août. Depuis sa mise en place en 2000 par l’administration Clinton, ce système d’accords destiné à ouvrir le marché américain aux exportations africaines se veut la vitrine de la première puissance mondiale en Afrique subsaharienne. De fait, les échanges ont plus que triplé (104,6 milliards de dollars en 2008 ; 29,3 milliards en 2000), plaçant les États-Unis dans le trio de tête des partenaires du continent en compagnie de l’Union européenne et du nouveau venu, la Chine.

Mais, derrière cette progression linéaire, rapide, voire impressionnante, cette loi sur le commerce et le développement a bien du mal à masquer les ratés de cette mécanique « préférentielle » qui accorde des franchises de douane. Instaurée au moment où les États-Unis commençaient à diversifier leurs sources d’approvisionnement en hydrocarbures pour s’affranchir d’une dangereuse dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient, l’Agoa est de ce point de vue une belle réussite. Les livraisons de brut (71,2 milliards de dollars en 2008 contre 16,2 milliards en 2000) représentent près de 80 % des importations américaines en provenance d’Afrique subsaharienne. Et si on ne prend en compte que les échanges dans le cadre de l’Agoa (66,3 milliards de dollars), la part du pétrole monte à 92 %. Pas étonnant donc de voir le Nigeria et l’Angola se hisser au rang de premiers partenaires. Pas étonnant non plus de constater qu’en 2008 les importations de produits agricoles ont baissé de 7,9 % par rapport à l’année précédente, et celles de textiles et de vêtements, de 10,4 %. 

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Frilosité pour le « made in Africa »

Nous sommes bien loin des intentions affichées d’une Agoa levier du développement et créateur de revenus et d’emplois dans des secteurs d’activités considérés, à juste titre, comme déterminants pour faire décoller les économies africaines (textile, agro-industrie, artisanat…). Certes, il y a des exceptions et de beaux exemples que l’on peut assez facilement trouver sur le site Internet du département d’État. La Tanzanie produit du coton pour la marque de tenues de tennis Venus Williams, fabriquées dans une usine de Dar es-Salaam. La marque américaine GAP se fournit pour une large part en Afrique australe. Le groupe de grande distribution Wal-Mart se procure des tee-shirts dans la même région. La Kenana Knitters au Kenya a triplé ses effectifs pour assurer ses livraisons de tricots. L’entreprise Gahaya Links au Rwanda a créé 3 000 emplois pour fournir des paniers à la chaîne Macy’s. Les magasins Food Emporium de New York proposent « un coin de spécialités africaines », où l’on peut trouver des sauces, des confitures, des épices… mais pas de miel congolais ! « Profitant de ce programme, Brazzaville a voulu exporter du miel, il est resté bloqué à l’aéroport », tempête un entrepreneur français opérant en zone Cemac et qui a bien du mal à masquer son agacement devant le protectionnisme américain. Ou, tout du moins, devant la frilosité vis-à-vis du « made in Africa ». L’Afrique fournit moins de 2 % des importations de vêtements aux États-Unis (1,1 milliard en 2008, contre 748 millions en 2000). Pour le seul Bangladesh, les volumes sont cinq fois supérieurs.

« Pour nous, le blocage ne concerne pas les formalités administratives, mais il se trouve au niveau des débouchés. Nous peinons à trouver des clients aux États-Unis. Pour remédier à cela, nous travaillons avec le West Africa Trade Hub [Wath], une structure de l’Agence des États-Unis pour le développement international [Usaid] pour conquérir des clients à travers des salons et des foires », explique Hamadou Dianda, le directeur financier du Village artisanal de Ouagadougou, qui réalise outre-Atlantique 4 % de son chiffre d’affaires (523 millions de F CFA). « Il existe un vrai problème d’adaptation de nos produits aux normes américaines. À cela s’ajoute le manque d’appui, de formation et d’assistance aux PME. Dans la maroquinerie, au Sénégal, les entreprises ne sont pas capables de livrer de grosses commandes », ajoute Cherna Sylla, président de l’Association nationale de la filière cuir et peau au Sénégal.

Des remarques parfaitement admises à Washington. « L’Agoa n’accorde pas de traitement préférentiel à certains produits pour lesquels l’Afrique pourrait être plus compétitive, notamment le sucre, le tabac et l’arachide. Deuxièmement, les produits alimentaires dépendent des infrastructures pour leur transport », explique Anthony Carroll, spécialiste des questions commerciales et vice-président de la société de conseil Manchester Trade Ltd.

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À ces handicaps structurels, l’Agoa ajoute également quelques incongruités. La Côte d’Ivoire – avec ses ananas, ses groupes agro-industriels et son cacao – n’est toujours pas éligible. Le président de l’Association pour la promotion des exportations de Côte d’Ivoire (Apex-CI), Guy M’Bengue, a fait le déplacement à Nairobi en espérant obtenir gain de cause. Et puis, il y a toutes les filiales des groupes internationaux qui ne peuvent profiter du dispositif. « Les États-Unis représentaient 5 % de notre chiffre d’affaires avant la crise et 1,5 % aujourd’hui. Mais comme nous facturons depuis Paris, nous n’avons pas droit aux exonérations douanières », explique Francis Rougier, le président du groupe forestier français présent au Congo-Brazza­ville, au Cameroun et au Gabon. 

Pétrole et aide 

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« Finalement, avec notre système préférentiel qui profite aux pays les plus pauvres en leur offrant un libre accès au marché européen et notre volonté d’aboutir aux Accords de partenariats économiques (APE), nous ne sommes pas si nuls », glisse perfidement un diplomate européen en charge de ces questions. De fait, ces APE – qui prévoient une ouverture à 100 % du marché européen et à 80 % de la zone Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP) – semblent à présent sur la bonne voie, après de longues et périlleuses négociations. Et, en attendant, lorsque l’on étudie avec attention les importations européennes en provenance des pays ACP, elles sont beaucoup plus équilibrées entre les différents secteurs d’activités.

«  Les Américains ont toujours eu une politique d’aide plus active dans les pays producteurs de pétrole. Sans l’Agoa, je pense que les exportations africaines d’hydrocarbures vers les États-Unis auraient connu la même progression. Cela paraît normal au regard de la hiérarchie de leurs priorités : la sécurité du pays, la sécurisation des sources d’approvisionnement énergétique, et enfin la promotion de la démocratie et de l’ouverture des marchés via l’Agoa », analyse Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Pas sûr que le Forum de Nairobi permette, à terme, de corriger le tir. Et ce malgré le volontarisme affiché de Barack Obama. « Le véritable signe de réussite n’est pas de savoir si nous sommes une source d’aide perpétuelle pour les gens qui survivent péniblement, mais si nous sommes des partenaires dans la création des capacités nécessaires pour un changement transformateur », a déclaré le président américain dans son discours d’Accra, le 11 juillet dernier. Avant d’ajouter : « Les pays riches doivent réellement ouvrir leurs portes aux biens et services de l’Afrique de manière significative. » En raison de la crise économique, les importations américaines dans le cadre de l’Agoa ont chuté de 61 % sur les cinq premiers mois de cette année. 

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