Daouda Karaboué : itinéraire d’un champion du monde de handball

Champion olympique en 2008 et champion du monde en 2009 avec l’équipe de France de handball, ce gardien de but né à Abidjan reste très attaché à ses racines africaines.

Alexis Billebault

Publié le 11 août 2009 Lecture : 5 minutes.

À la fin du mois de juin, quand la saison de handball s’est enfin achevée, il a squatté avec ses amis plusieurs sièges d’un vol Paris-Abidjan. Pour la grande transhumance vers la capitale ivoirienne, où Daouda Karaboué a passé les neuf premières années de sa vie. Dans les soutes de l’appareil : du matériel médical, des fournitures scolaires et des équipements sportifs.

« J’ai besoin de retourner en Côte d’Ivoire le plus souvent possible », explique l’immense (1,97 m) gardien de but de l’équipe de France. Pour revoir les siens. Et aussi pour aider les autres. Les plus jeunes, surtout, ceux que la vie a souvent oublié de gâter. « Ma fondation DK Cœur d’Afrique a été lancée pour développer le handball en Afrique, mais aussi, et surtout, pour apporter une aide aux enfants en leur assurant un suivi scolaire et en leur fournissant des médicaments et du matos médical. »

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Karaboué, lui, n’est pas un gosse des rues. Il est né à Adjamé, un quartier populaire d’Abidjan, mais c’est à Cocody qu’il a grandi. Oui, il lui est arrivé de jouer au foot pieds nus sur la terre battue, lors de tournois interquartiers. « Mais je ne viens pas d’un milieu défavorisé. Mon père était le chauffeur de Mme Houphouët-Boigny, ma mère travaillait dans une banque. »

Il a un peu plus de 2 ans quand ses parents divorcent. Sa mère s’exile aux États-Unis, Daouda reste à Abidjan avec son père. Qui le place chez des oncles. « Avec son métier et ses fréquents déplacements à l’étranger, il ne pouvait pas toujours s’occuper de moi. » Séparé de sa sœur, qui a suivi sa mère, le jeune garçon se sent un peu déboussolé. « Mon père a eu deux enfants avec ma mère, et beaucoup d’autres depuis », raconte-t-il. Mais il conserve le souvenir d’une enfance malgré tout heureuse, rythmée par les parties de pêche, de chasse et de foot.

L’intérêt qu’il porte à l’école se dilue dans ses envies de liberté et de grand air. Enfant un peu lunaire, solitaire et rêveur, il se sent dépassé par l’importance que son père accorde aux études, raison pour laquelle ce dernier le fait venir en France, où ses obligations professionnelles l’ont conduit. À Mandelieu, près de Cannes, Daouda Karaboué vit pendant un an avec lui. « Ensuite, il m’a placé à l’institution Sainte-Famille, parce qu’il voyageait beaucoup. J’ai bien vécu cet épisode. » Définitivement rétif à l’ambiance des salles de classe, Karaboué s’évade avec ses potes du foyer. Et sort parfois des clous. « Bien sûr, j’ai fait des conneries. J’ai parfois été pris là où je n’aurais pas dû être. Mais j’ai bien tourné, alors que certains de mes copains sont morts ou ont fait de la prison. » L’indolence est son mode d’expression. « Il était cool et il l’est resté », se souvient Ange Bartoli, entraîneur du club de hand de Mandelieu, que Daouda Karaboué considère, avec Michel Merra, un autre éducateur du club, comme un père. « Je l’avais vu jouer au foot, mais il n’était pas spécialement doué. Je lui ai proposé de faire du hand. Il a aimé, il est resté. »

Encore ado, Karaboué s’imagine un destin de sportif de haut niveau, aux antipodes des souhaits de son père. Alors, quand ce dernier lui propose de rentrer avec lui à Abidjan, il se heurte à un refus catégorique. Arrimé à son rêve, le jeune homme s’installe dans les buts. « Le gardien de mon équipe n’était pas bon et je ne supporte pas la défaite », rigole-t-il. Il n’en sortira jamais plus.

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« Le problème avec lui, c’est qu’il avait du mal à respecter un quelconque horaire. On a tout essayé, mais ce n’était pas son truc », se souvient Bartoli. Karaboué confirme et cite le célèbre dicton : « Les Européens ont des montres et les Africains, le temps. » Tout est dit.

À Mandelieu, dans un environnement parfois impersonnel, Karaboué se construit en tant qu’homme. À Montpellier, dont il rejoint le centre de formation à 17 ans avant d’intégrer le groupe professionnel, il façonne sa carrière. « Pour mon père, le hand n’était pas un métier. Il est vrai qu’à l’époque les salaires étaient loin d’être ce qu’ils sont devenus. »

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Après quatre titres de champion de France, la suprématie de son club sur le hand français n’est plus discutable. Du coup, le joueur se remet en question. Parce qu’il a besoin de défis, il renonce à son quotidien confortable et ensoleillé et s’exile à Hameln, près de Hanovre, en Basse-Saxe. Le championnat allemand passe pour le meilleur du monde. Pourtant, Karaboué connaît une première saison plutôt tranquille. Jusqu’à ce que le club de Hameln soit lâché par ses partenaires économiques. « L’ambiance était pourrie, j’ai perdu deux mois de salaire dans l’affaire et je me suis blessé : une vraie galère », commente-t-il. L’expérience n’est pourtant pas entièrement négative : « Ma fille, Thanys, est née là-bas, en 2001. Cela m’a aidé à relativiser les choses. Ensuite, j’ai joué aux Grasshoppers Zurich. En Suisse, la qualité de vie était extraordinaire, mais le niveau de jeu un peu faible. »

En 2004, Karaboué revient à Montpellier, en tant que titulaire. Cette même année, il est enfin naturalisé Français. « C’est grâce à ma femme, Française d’origine vietnamo-sénégalaise, que j’ai obtenu ma naturalisation. Cela a pris du temps car je n’étais pas une priorité pour l’équipe de France. »

Pourtant, dès le mois de juin, le sélectionneur Claude Onesta le retient pour un match contre la Slovaquie. Chez les Bleus, Karaboué sera tour à tour champion d’Europe en 2006, champion olympique en 2008 et champion du monde en 2009. Incroyable palmarès, même s’il n’a jamais été vraiment titulaire, barré par Thierry Omeyer, l’un des meilleurs gardiens du monde.

Avec le club de Montpellier, il décroche plusieurs nouveaux titres nationaux. Les supporteurs, qui l’ont surnommé « Doudou », l’adorent. Hors du terrain, il gère sa fondation et bichonne ses automobiles : un 4X4 Toyota Land Cruiser et une Austin Mini. Il tente aussi de développer une marque de fringues (Masengu) avec Damien et Christophe Kabengélé, deux handballeurs originaires de RD Congo. « Un délire entre potes », précise Karaboué, qui se souvient avoir préparé un diplôme de styliste de mode quand il se cherchait encore un avenir à Mandelieu. Le journal Afrique Handball, lui, n’a pas survécu à un désaccord entre son fondateur et son associé. « Mais je veux le relancer, peut-être sur Internet. »

Sa carrière ? Il la voit durer encore trois ou quatre ans. Son grand projet ? La construction d’un vrai centre de formation pour le handball, à Abidjan. Son rêve ? La restauration de la paix dans son pays d’origine. Car ce musulman dont les racines sont à Kani, dans le Nord, veut coûte que coûte « voir le peuple ivoirien uni ». Et, pour cela, il est prêt à s’engager. Sans compter. 

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