Ce que Aziz doit aux Négro-Mauritaniens

Élu en partie grâce aux voix d’une communauté dont il a su gagner la confiance, le nouveau président sera-t-il à la hauteur des attentes qu’il a nourries ?

Publié le 11 août 2009 Lecture : 4 minutes.

L’investiture de Mohamed Ould Abdelaziz, le 5 août, a sonné l’heure du départ pour Ba M’Baré. Un départ sans tambour ni trompette, à l’image de cet homme de 62 ans qui fut, pendant près de cent jours, un président p ar intérim très discret. Et pour cause : chef de l’État autoproclamé depuis son putsch du 6 août 2008, « Aziz » a démissionné le 15 avril pour être candidat à la présidentielle du 18 juillet ; en tant que président du Sénat, Ba M’Baré l’a remplacé. Mais sur le papier seulement, le général n’ayant pas lâché les commandes.

Si furtif soit-il, l’épisode Ba M’Baré a néanmoins valeur de symbole : originaire de Maghama, dans le Gorgol, région frontalière du Sénégal, il est le premier Négro-Mauritanien à avoir été chef de l’État. Depuis l’indépendance, la fonction est restée le monopole des Arabo-Berbères, qui détiennent la quasi-totalité du pouvoir économique et politique. Ba M’Baré tirant sa révérence, les Négro-Mauritaniens vont-ils de nouveau être mis à l’écart ? Abdelaziz leur doit en partie son élection au premier tour, avec 52,47 % des voix (résultat qui a fait l’objet d’une demande d’enquête par deux candidats défaits). Dans la vallée du fleuve Sénégal, il a même raflé certains bastions à l’un de leurs principaux leaders, Ibrahima Sarr, militant du partage du pouvoir entre communautés et cofondateur, dans les années 1980, des Forces de libération des Africains de Mauritanie (Flam). 

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Blessures vives

Exemple dans la ville de Kaédi, baignée par les eaux du Sénégal : à la présidentielle de mars 2007, Ibrahima Sarr y arrive en tête, avec 36,26 % des voix ; le 18 juillet, il doit se contenter d’un petit 12,93 %, quand le futur vainqueur l’emporte haut la main avec 43,93 % des suffrages. Même scénario à Boghé, une cinquantaine de kilomètres plus loin : 37,18 % pour Aziz, contre 18,86 % pour Sarr, qui, deux ans plus tôt, dépassait la barre des 35 %. Au final, Sarr, arrivé quatrième à l’issue du premier tour de mars 2007, avec 7,94 % des voix, a vu son score national chuter à 4,59 %. « Vu ce qu’Aziz nous a pris, ce résultat, on l’a arraché de haute lutte », commente-t-il. Assis sur un canapé en cuir blanc assorti à son boubou, il réfléchit à son échec dans un salon de son siège de campagne : « Ce qui a donné à Aziz son aura dans la vallée, c’est le rapatriement des réfugiés et ce qu’il a commencé à faire avec les victimes des exactions », conclut-il.

Deux références aux pages sombres de l’histoire nationale : au tournant des années 1980, sous le régime de Maaouiya Ould Taya (au pouvoir de 1984 à 2005), le racisme se généralise jusqu’au sein de l’État. Des dizaines de milliers de Négro-Mauritaniens sont contraints de fuir au Sénégal et au Mali pendant que des centaines d’autres, surtout dans l’armée et l’administration, subissent des exactions cruelles – et souvent mortelles. Pendant près de quinze ans, le pouvoir a ignoré, voire caché, ces blessures encore vives. L’histoire officielle n’en faisait que pudiquement mention, utilisant l’euphémisme de « passif humanitaire ». Un tabou qu’Aziz s’est employé à briser. Avant lui, Sidi Ould Cheikh Abdallahi (renversé par le putsch du 6 août 2008) avait commencé à faire de même, tenant sa promesse de campagne : le rapatriement en Mauritanie des « déguerpis », qui, souvent privés de papiers d’identité, spoliés de leurs terres et de leurs biens, s’étaient exilés au Sénégal, avec le statut de « réfugié international ». Aujourd’hui, 13 000 réfugiés sont rentrés au pays. 

Discours « historique »

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Autre versant du passif humanitaire : les exactions. Le 25 mars, alors qu’il était encore chef de la junte, Aziz s’est rendu à Kaédi pour un discours que certains Négro-Mauritaniens ont qualifié d’« historique ». Le visage grave, il a évoqué « l’affliction causée à des dizaines de familles par l’ignorance et la barbarie de l’homme » et, dans la foulée, a assisté à une grande prière à la mémoire des victimes des années Ould Taya. Pour finalement accéder à une revendication que les familles des victimes des « années de braise » s’échinaient à défendre depuis des années : l’indemnisation des veuves et des orphelins.

Officielle, publique, sans ambiguïté : une telle commémoration est inédite en Mauritanie. Jamais un homme politique n’avait pris ainsi le risque de s’aliéner une partie de l’élite arabo-berbère. Le geste est d’autant plus surprenant que son auteur est un ancien afffidé de Maaouiya Ould Taya, celui qui, pendant près de vingt ans, à la tête du Bataillon de la sécurité présidentielle, lui a accordé une protection de tous les instants.

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Calcul politique ou non – Aziz était à l’époque en campagne pour la présidentielle –, l’initiative a payé. Contrairement à d’autres militaires en service durant les « années de braise » – notamment le colonel Ely Ould Mohamed Vall, directeur de la Sûreté à l’époque et candidat le 18 juillet –, il ne suscite pas la rancœur chez les Négro-Mauritaniens. « Chacun sait qu’il n’est pas impliqué dans le passif humanitaire, reconnaît Kane Hamidou Baba, vice-président du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), premier parti du pays, et originaire de la vallée. On ne lui connaît pas de positions racistes. » Plus généralement, l’homme a réussi le tour de force de passer pour le candidat anti-Ould Taya, figure honnie des Négro-Mauritaniens, et de présenter ses principaux adversaires comme des continuateurs de ce système, en faisant notamment remarquer que parmi leurs soutiens se trouvaient des auteurs du « pillage à ciel ouvert » du pays. Désormais investi, Aziz aura-t-il les coudées franches pour être ce président du changement espéré par les Négro-Mauritaniens ? Certains parmi eux exigent que les responsables des « années de braise » soient jugés. « Aziz marche sur des œufs », prévient l’un d’entre eux.

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