Un été algérien

Règlements de comptes politiques, menace terroriste, canicule, multiplication des fêtes et festivals, préparation de la rentrée… Qui a dit que la saison estivale était de tout repos ?

Publié le 11 août 2009 Lecture : 7 minutes.

Cela faisait bien longtemps que les Algériens n’avaient pas connu un été aussi festif. Commencé sur fond de sonorités et de couleurs africaines avec la seconde édition du Festival panafricain de la culture (Panaf) – la première avait eu lieu en juillet 1969 –, il s’est poursuivi avec le Festival du film arabe d’Oran et son lot de stars levantines, ses paillettes et ses groupies agglutinées autour des marches de l’Opéra d’Oran. Puis ce fut au tour des villes antiques, Timgad, dans la périphérie de Batna, capitale des Aurès, et Djemila, à proximité de Sétif, d’accueillir les plus grandes vedettes de la chanson internationale et arabe. Mais la fête ne fut pas seulement musicale. Cinéma et bande dessinée, design et mode étaient aussi à l’honneur.

Les Algériens ont donc attendu l’été 2009 pour se réapproprier leur africanité, réapprendre à faire la fête et à apprivoiser… la nuit. Oubliées, les agressions et la criminalité, la violence islamiste et les menaces d’attentat. Rarement la gente féminine aura autant investi l’espace public après le coucher du soleil. Cela ne signifie pas pour autant que la période des vacances scolaires, qui coïncide généralement avec celle des congés des fonctionnaires (l’État est toujours le premier employeur avec plus de 6 millions de travailleurs dans la fonction publique), est de tout repos. En particulier pour les familles des nouveaux bacheliers. Malgré le recul du taux de réussite au précieux sésame pour l’université (45 % en 2009, contre plus de 53 % en 2008), la vingtaine d’universités que compte le pays s’apprêtent à accueillir plus de 200 000 nouveaux étudiants. Après le casse-tête de l’orientation et le choix des filières, commencent l’odyssée des inscriptions et des dossiers de bourse, puis le parcours du combattant pour l’hébergement dans les campus universitaires. Un terreau fertile pour la tchipa, terme populaire désignant les pots-de-vin qui épargnent des longues files d’attente et accélèrent le traitement des dossiers les plus compliqués. 

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Torpeur postélectorale

Depuis le 12 juillet, date de la clôture de la session printanière du Parlement, la vie politique s’est quelque peu assoupie. Le Conseil des ministres du 22 juillet (le deuxième que préside Abdelaziz Bouteflika depuis sa réélection en avril 2009) a tenté de sortir la classe politique de la torpeur dans laquelle elle est plongée depuis l’élection présidentielle. Mais rien n’y a fait, pas même la loi de Finances complémentaire, malgré l’annonce de mesures déterminantes pour la vie économique, notamment en matière de partenariat avec les investisseurs et importateurs étrangers. De tous les rivaux malheureux d’Abdelaziz Bouteflika, seule Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), occupe le devant de la scène, multipliant les déclarations tonitruantes à propos de la « timidité des mesures gouvernementales face à la voracité des multinationales », réitérant sa demande de dissolution de l’Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse du Parlement) et n’hésitant pas à engager la polémique avec nombre de personnalités politiques. Les autres candidats à la présidentielle d’avril ont, au mieux, sombré dans l’anonymat, ou font face à des difficultés internes dans leur formation politique. L’islamiste Djahid Younsi, qui avait promis de contraindre Bouteflika à un second tour, a été débarqué de la direction de son parti, El-Islah. L’autre islamiste, Mohamed Saïd, attend toujours l’agrément du ministère de l’Intérieur pour la création de sa formation : le Parti de la liberté et de la justice (PLJ). Saïd a déposé son dossier auprès des services de Yazid Zerhouni en mai 2009. Pour ne pas faire de jaloux, le ministère de l’Intérieur prend également tout son temps dans le traitement des dossiers d’agrément de nouveaux partis supposés acquis à l’action présidentielle. Comme celui de l’Union pour la démocratie et la république (UDR). Son initiateur, Amara Benyounes, un membre fondateur du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, opposition laïque), est en rupture de ban avec l’opposition. Récupéré par le pouvoir (il a été le numéro trois dans le staff de campagne du candidat Abdelaziz Bouteflika), son nouveau statut politique ne lui vaut aucun traitement de faveur de la part de l’administration.

Dans sa quasi-totalité, la classe politique algérienne a rompu avec une vieille tradition : l’organisation d’universités d’été. Une pratique destinée à donner l’impression qu’ils ne sombraient pas dans le farniente estival. La seule université d’été à s’être tenue fut à l’initiative du gouvernement. Plus précisément celle du département de Djamel Ould Abbes, qui détient le maroquin de la Solidarité et de la Communauté algérienne de l’étranger. Objectif : associer la diaspora aux efforts de développement. Ould Abbes étant étiqueté FLN, ces assises, achevées sur un communiqué multipliant les généralités et occultant les aspects concrets d’une réelle participation des compétences algériennes de l’émigration, ont nourri une polémique sur les tentatives de récupération politique par l’ancien parti unique.

À propos de ce même FLN, l’été y a été particulièrement chaud. Censé préparer la tenue de son neuvième congrès, Abdelaziz Belkhadem, son secrétaire exécutif, fait face à une véritable fronde au sein des structures de base. Contesté aussi bien par les cadors de la direction que par les sans-grade du FLN, Belkhadem ne contrôle quasiment plus l’appareil du parti. Sa planche de salut ? Son poste de ministre d’État, représentant personnel du président de la République, qui lui procure de nombreuses missions à l’étranger et lui permet d’échapper au stress d’un séjour prolongé dans son bureau de Hydra, sur les hauteurs d’Alger, siège du FLN.

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Autre parti membre de l’Alliance présidentielle à traverser une mauvaise passe : le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas). La crise qui secoue les Frères musulmans algériens et leur président, Bouguerra Soltani, est autrement plus sérieuse. La dissidence, emmenée par Abdelmadjid Menasra, ancien ministre de l’Industrie, a fini par provoquer une hémorragie de cadres, d’élus et de militants qui ont quitté le navire MSP pour créer une nouvelle formation. Cependant, il y a de fortes chances pour que ce projet connaisse le même sort que ceux du PLJ de Mohamed Saïd et de l’UDR d’Amara Benyounes. Et son seul intitulé pourrait lui valoir l’interdiction avant même sa naissance officielle. En effet, Abdelmadjid Menasra et ses compagnons envisagent de baptiser leur nouvelle formation Mouvement pour la prédication et le changement (MPC). La connotation islamiste, voire djihadiste, de cette appellation pourrait échauder l’administration. 

Embuscades meurtrières

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Au sein de l’Alliance présidentielle, seul le Rassemblement national démocratique (RND) semble échapper à la torpeur estivale. Non pas que le RND soit plus actif que les autres partis, mais la présence en première ligne de son secrétaire général, par ailleurs Premier ministre, Ahmed Ouyahia, donne l’illusion que le RND n’a pas pris de vacances.

Été ou pas, les Algériens n’en ont pas fini avec la violence islamiste. L’ex-GSPC, devenu Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), a multiplié les embuscades meurtrières contre les convois militaires au cours du mois de juillet. À l’instar de l’attaque du 29 juillet, à Damous (une vingtaine de soldats tués, leurs armes récupérées par les assaillants). Damous est un village pittoresque du littoral algérien, dans la région de Tipaza, très prisé par les touristes, algériens s’entend. L’aspect particulièrement meurtrier de l’attaque et les nombreux ratissages engagés par les forces de l’ordre auraient pu décourager les estivants et faire baisser la fréquentation des plages de sable blond et des criques de Damous. Il n’en a rien été. Baigneurs et campeurs n’ont à aucun moment songé à interrompre leur séjour.

Si les règlements de comptes au sein de la classe politique et la violence islamiste n’ont pas réussi à entamer le moral des Algériens, le climat, lui, a fait des siennes. L’affolement des températures, qui ont battu tous les records de chaleur (47° enregistrés à Alger le 20 juillet, près de 50° à Chlef et Tiaret), a provoqué une multiplication des coupures de courant électrique. D’autant que les ménages algériens s’équipent de plus en plus en climatiseurs, devenus un produit de première nécessité en ces temps caniculaires. Cédés à 40 000 dinars (un peu moins de 400 euros), les climatiseurs de fabrication chinoise ou coréenne s’écoulent comme des petits pains. Résultat : la consommation électrique atteint des pics qui mettent à mal le réseau, souvent vétuste et inadapté. Les délestages provoquent d’énormes dégâts pour les industriels et les foyers. Pis, ils perturbent la distribution d’eau potable, le travail des boulangers et empêchent les climatiseurs chèrement acquis de remplir leur fonction. Estivants ou pas, à la plage ou à la campagne, la colère gronde. Des jacqueries éclatent ici et là. Et les opérations de maintien de l’ordre se font de plus en plus musclées, avec interpellations et jugements en référé à la clé. Le lendemain, comme si de rien n’était, on repart à la plage ou dans les multiples espaces de jeux aquatiques construits à l’intérieur du pays. L’Algérie a beau traîner ses errements économiques, une certaine indigence de sa classe politique, la barbarie de ses maquisards islamistes, elle demeure attractive. Plus d’un demi-million de ses émigrés continuent de s’y rendre pour leurs vacances.

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