En quête de talents, les entreprises du continent veulent séduire la diaspora

Malgré une croissance au beau fixe et un rythme de recrutement soutenu, la pénurie d’ingénieurs et de techniciens qualifiés se fait sentir au sud du Sahara. Obligeant les employeurs à s’intéresser davantage à la diaspora.

Les secteurs minier et pétrolier se distinguent par un grand déficit de chefs de projet. DR

Les secteurs minier et pétrolier se distinguent par un grand déficit de chefs de projet. DR

Publié le 7 mai 2013 Lecture : 6 minutes.

« L’économie souffre d’un excès de tertiarisation et d’un manque de formations correspondant au secteur industriel. Il faut faire appel à l’étranger pour pourvoir des postes de maintenance technique, notamment dans le secteur minier. » Ce constat de Malick Faye, directeur marketing et des relations avec les entreprises de BEM Dakar, est loin de se limiter au Sénégal. « Tous ceux qui peuvent prétendre à des études supérieures veulent faire une business school et il y a une grosse pénurie de compétences dans les métiers techniques en Afrique francophone », confirme Paul Mercier, directeur général de Michael Page Africa. Ce qui en dit long sur les difficultés de recrutement en matière d’encadrement technique auxquelles les entreprises sont de plus en plus confrontées au sud du Sahara. Une situation fâcheuse alors que nombre de secteurs enregistrent un rythme d’embauches soutenu, au premier rang desquels les industries extractives. Les besoins vont en effet crescendo à mesure que les projets miniers démarrent et que les découvertes de gisements d’hydrocarbures se multiplient en Afrique de l’Ouest. « Il y a un très grand déficit d’ingénieurs dans les secteurs minier et pétrolier, en plein essor au large du Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Sénégal », relève ainsi Alexandre Fabre, directeur associé du cabinet de recrutement Adexen, qui précise travailler de plus en plus avec la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Gabon. Autre problématique mais constat identique pour ce dernier pays, « qui investit beaucoup pour diversifier son économie, mais manque cruellement de ressources locales de niveau bac + 2 à bac + 8 », indique Paul Mercier.

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Projet de vie

Si l’évolution des besoins n’est pas aussi claire en Afrique francophone qu’en Afrique anglophone et lusophone, il se confirme que les secteurs des hydrocarbures, des mines et de l’énergie « offrent des perspectives de recrutement plus nettes que dans la banque, la finance et les assurances, souligne Fanta Traoré, responsable de la division Afrique chez Robert Walters. On le sent parce que nos clients font appel à nous car ils peinent à trouver des candidats, notamment pour des profils techniques. C’est surtout valable en Afrique francophone, où il y a une pénurie faute de formations adaptées. » La responsable constate également un manque d’ingénieurs en bâtiment et de responsables des ressources humaines, « pas formés localement et difficiles à faire revenir. C’est une fonction sensible, comme tout ce qui touche à la gestion d’équipe ».

Pour pallier ce manque, les cabinets de recrutement sont amenés à chasser dans le monde entier les profils spécialisés ayant quitté leur pays d’origine. Une démarche gagnante pour celui-ci, la dimension internationale des « chassés » se révélant précieuse, et pour les candidats, qui enrichiront ainsi leur CV. « Pour les entreprises, le passé prédit l’avenir. Celui qui aura travaillé quelques années en Afrique et participé au boom d’Orange, par exemple, sera vu comme quelqu’un qui peut accompagner le développement d’un groupe ailleurs dans le monde », résume Paul Mercier. De son côté, Alain Penanguer, responsable des activités de Deloitte en Afrique francophone, indique avoir recruté une centaine de personnes depuis l’an dernier pour aller travailler sur le continent, « dont 90 % d’Africains ayant des projets pérennes. Uniquement des gens expérimentés, pour qui c’est un accélérateur de carrière ». 

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Mobilité

Télécoms, banques ou industries extractives… Les entreprises recherchent de nouvelles compétences qui ne pourront être apportées que par des professionnels ayant acquis un savoir-faire à l’international. Mais les candidats de la diaspora ne sont pas toujours faciles à convaincre. « Ceux pour qui c’est un projet de vie sont beaucoup plus enclins à repartir sur le continent. Il suffit que le poste permette une évolution de carrière », note Fanta Traoré. Il s’agit le plus souvent de jeunes diplômés africains, pas forcément bien installés dans leur pays d’accueil. Par contre, ceux qui vivent hors du continent depuis quelques années et se plaisent dans le pays d’accueil « vont être beaucoup plus regardants et refuser les contrats locaux, qu’ils envisagent comme une régression », ajoute la consultante en recrutement chez Robert Walters. « Sur des profils de management, rapatrier des nationaux ayant vécu longtemps hors d’Afrique n’est pas évident, d’autant qu’ils ne seront pas forcément bien perçus, confirme Alexandre Fabre. Paradoxalement, on tolère beaucoup plus les erreurs d’expatriés, sachant qu’ils sont là pour une durée limitée. » Ces derniers garderaient la cote pour des postes clés, notamment dans la finance. « C’est un moyen de faire barrage au clientélisme, observe Alexandre Fabre. Les sièges ont ainsi le sentiment de garder le contrôle sur les mouvements d’argent. »

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Incontestablement, les lignes du recrutement bougent. « L’heure est à l’africanisation des cadres, ce qui favorise le retour des nationaux à des postes à responsabilités », constate Fanta Traoré. D’autant que les contrats locaux s’améliorent (aide au logement, couverture santé, bonus, véhicule de fonction, etc.). Même si les rémunérations ne s’alignent pas forcément sur celles des expatriés, les candidats gagnent en pouvoir d’achat, sans compter que les sociétés bichonnent leurs recrues. « Total tente ainsi d’identifier de très bons potentiels et de les faire évoluer, pour les fidéliser », constate Alexandre Fabre. Une démarche nécessaire pour juguler une forte mobilité « d’une société à l’autre, mais aussi d’un secteur à l’autre », selon Fanta Traoré.

Le retour aux sources

Une enquête révèle que 70 % des étudiants africains inscrits dans les meilleurs MBA souhaitent rentrer au pays.

C’est un véritable raz-de-marée, du moins dans l’intention, que révèle l’enquête de Jacana Partners. En février dernier, 80 étudiants africains issus de 19 pays et inscrits en MBA dans les plus grandes écoles de commerce européennes et américaines ont été interrogés. Selon le capital-investisseur panafricain, pas moins de 70 % d’entre eux affirment vouloir venir travailler sur le continent une fois diplômés. Un élan plus prononcé chez les anglophones, les candidats au retour étant surtout nigérians (39 %), sud-africains (14 %) et ghanéens (6 %).

Plus d'un tiers des sondés projettent de monter leur entreprise. DRAutre enseignement notable : la moitié d’entre eux projettent de monter leur entreprise – une perspective motivant autant les femmes que les hommes. « C’est dans l’air du temps. Dans les business schools, on véhicule l’idée qu’il faut cibler l’entrepreneuriat. Et en Afrique, à moins d’être fonctionnaire, tout le monde doit être un peu entrepreneur », analyse Paul Mercier, directeur général de Michael Page Africa. Plus de la moitié des sondés jugent que les biens de consommation et les services financiers sont les secteurs offrant les opportunités les plus intéressantes pour ce faire. Suivent la technologie (20 %) puis, à parts égales, les infrastructures et la vente au détail (13 %).

C’est l’Afrique la finalité, et l’Europe le tremplin.
Laureen Astrid Kouassi-Olsson, directrice d’investissement chez Amethis Finance

Au-delà de la crise économique qui secoue l’Occident, cet élan s’explique par la volonté de participer au développement de leur pays d’origine, comme le résume Maxime Tiague Leuyou, président de l’association Oser l’Afrique : « Je suis certain de retourner au Cameroun un jour, mais pas sans une idée précise de ce que je veux faire. En tout cas, je veux entreprendre afin de proposer quelque chose de neuf. Nous qui avons connu « autre chose » devons faire profiter nos pays d’origine de cette expérience. »

« En tant qu’Ivoirienne, je veux oeuvrer au développement pérenne de l’Afrique. Je souhaite contribuer au financement du secteur privé en faisant le pont entre les investisseurs étrangers et les économies africaines. L’Afrique est pour moi la finalité et l’Europe le tremplin », indique pour sa part Laureen Astrid Kouassi-Olsson, directrice d’investissement chez Amethis Finance. F.R. et N.T.

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