Yar’Adua entre deux feux

Au nord les islamistes, au sud les indépendantistes du delta du Niger. Le chef de l’État se bat sur plusieurs fronts qui mettent en péril l’unité du pays.

Publié le 11 août 2009 Lecture : 5 minutes.

Une semaine après la fin du carnage de Maiduguri, la police et la Croix-Rouge nigérianes comptaient encore les cadavres en décomposition, souvent jetés dans des fosses communes, en pleine rue. La première recensait sept cents morts, la seconde en comptait mille. Mais quelles que soient sa source et son évolution, le bilan des affrontements entre forces de sécurité et adeptes de Boko Haram, une secte islamiste favorable à l’application de la charia (la loi islamique) dans tout le pays et hostile à toute référence occidentale, fait déjà frémir.

Cinq jours, du 26 au 30 juillet, auront suffi à mettre à feu et à sang la capitale de Borno, cet État septentrional du Nigeria, frontalier du Tchad et du Niger, qui compte un peu plus de 4 millions d’habitants. Cinq jours d’échanges de tirs et d’explosions qui auront tétanisé les habitants redoutant d’être pris pour des « Boko Haram » par les forces de sécurité.

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« Operation Flush » (« opération place nette ») : le nom de baptême de la mission conjointe – entre l’armée et la police – déployée à Maiduguri annonçait l’ampleur mortelle des dégâts. « C’est incroyable, la façon qu’ont eue les forces de sécurité de tuer indistinctement des habitants innocents et des adeptes de Boko Haram », s’insurge Shamaki Gad Peter, président de la Ligue des droits de l’homme à Jos, dans l’État du Plateau (au centre du pays). Selon ce dernier, des vendeurs de rue ainsi que des membres de la secte ayant pourtant déposé les armes ont été pris pour cibles par les forces de l’ordre.

Des morts gratuites ? La question se pose aussi pour celle de Mohammed Yusuf, 39 ans, chef présumé du mouvement religieux. Capturé vivant le 30 juillet, il a ensuite été montré mort aux journalistes, le corps criblé de balles. A-t-il été tué par les militaires ? Aucun doute pour l’organisation Human Rights Watch (HRW), qui parle d’une « exécution extrajudiciaire ». Le chef de l’État a ordonné une enquête.

Élu en avril 2007, Umaru Yar’Adua, 58 ans, est le premier civil à diriger le Nigeria depuis l’indépendance. Universitaire, ancien professeur de chimie : contrairement à tous ses prédécesseurs, ce président n’est pas passé par la caserne et n’a jamais porté de galons. Mais son costume de civil n’a pas suffi à départir les forces de sécurité d’un vieux réflexe, hérité de cette longue époque où elles prenaient et gardaient le pouvoir : celui de croire, à la faveur d’une impunité générale, que tout leur est permis. 

La gâchette facile

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En novembre 2008, les événements de Jos avaient déjà confirmé que les « kakis » avaient toujours la gâchette facile. Les 28 et 29, des accusations de fraudes, suite à l’élection de l’Assemblée locale, avaient donné lieu à des combats entre chrétiens et musulmans. Les forces de sécurité étaient intervenues pour rétablir l’ordre. Bilan de deux jours infernaux : 700 morts, dont 130 « arbitraires » et « impliquant la police et l’armée », d’après HRW.

Umaru Yar’Adua n’y est pas pour rien, au contraire : le gouverneur de l’État du Plateau (dont Jos est la capitale), membre du People’s Democratic Party (PDP), parti au pouvoir, avait donné l’ordre de « répondre au feu par le feu ». Il a été pris au mot.

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Redoutant toujours l’éclatement d’une fédération aux 140 millions d’habitants, aux 36 États et aux 1 000 fissures, Yar’Adua le civil n’hésite pas à recourir à la force pour enrayer la propagation de la violence. En mai dernier, une mission conjointe entre l’armée et la police a été lancée dans le sud du pays pour en « chasser complètement » le Mouvement d’émancipation du delta du Niger (Mend), cette nébuleuse de miliciens qui, avec le soutien de politiciens locaux, réclame un meilleur partage des recettes des hydrocarbures à coups de kidnappings et de sabotages des installations pétrolières.

Mais « Restore Hope » – le nom de la mission – a été contre-productif : aux raids aériens (qui n’ont pas épargné les villages), les rebelles ont riposté par la menace d’un « ouragan imminent ». La tempête s’est effectivement déchaînée, deux mois plus tard. Le 12 juillet, à la nuit tombée, le Mend a dynamité un embarcadère dans le port de Lagos, faisant au moins cinq morts. Se cantonnant d’ordinaire à son bastion, la région du Delta – qui regroupe les États pétroliers de la fédération –, il a frappé cette fois-ci la capitale économique, un symbole.

Au Nord comme dans le Delta, les frappes radicales de l’armée ne font que rouvrir des plaies anciennes et profondes qui, sporadiquement, se rappellent à la mémoire des dirigeants nigérians. À Jos, ou dans les États septentrionaux de Kaduna et de Kano, le prédécesseur de Yar’Adua, Olusegun Obasanjo, avait déjà eu affaire au problème religieux. Dans le delta du Niger, les revendications de mouvements armés ne sont pas une nouveauté.

Au milieu, le pouvoir central, à Abuja, est coincé aujourd’hui comme il l’était hier. D’un côté, il y a un Nord sahélien, agricole – notamment producteur de coton et d’arachide – et pauvre en infrastructures. Un Nord dont douze États se sont abrités, au début des années 2000, derrière la charia. Perçue comme le moyen de parer à la faillite du système judiciaire et, plus généralement, de résorber tous les maux socio-économiques, la loi islamique a développé chez les chrétiens de la région (minoritaires) un fort sentiment d’exclusion propice aux affrontements interreligieux. De l’autre côté, il y a un Delta insolemment riche en pétrole – le Nigeria en est le premier producteur africain –, mais dont les seules retombées locales sont l’appauvrissement des 31 millions d’habitants de la région et la pollution de leur environnement immédiat. 

Colère et frustration

Au final, il y a de part et d’autre du Nigeria la colère et la frustration, un sentiment d’injustice et d’abandon par l’État central, cocktail régulièrement instrumentalisé par les pouvoirs locaux. « Les violences, au Nord comme dans le Delta, sont dues à l’absence d’opportunités offertes par le gouvernement », explique Corinne Dufka, directrice du bureau de HRW à Dakar.

Pour cette dernière, les ripostes militaires, quand elles ne font pas de dommages collatéraux, sont « légitimes, mais largement insuffisantes. Ce qu’il faut, c’est lutter contre la corruption ».

Un mal omniprésent au Nigeria, qui gangrène tous les aspects de la vie politique et économique. Sur ce terrain-là, Olusegun Obasanjo avait fait preuve d’une certaine poigne, ayant créé une structure ad hoc, la Commission de lutte contre le crime économique et financier (EFCC), qui avait enregistré quelques succès, notamment des arrestations de gouverneurs. Mais avec Yar’Adua, « le pays a reculé sur ce front, il n’y a plus aucune volonté politique pour arrêter les gros bonnets de la corruption », estime une source à Lagos sous couvert d’anonymat.

Jugé plus enclin au dialogue que son prédécesseur, Yar’Adua s’est surtout attaqué au problème du Delta. Il a tenté quelques ouvertures, qui n’ont pas encore porté leurs fruits, comme l’amnistie des combattants des mouvements rebelles ou la création, en septembre 2008, d’un ministère des Affaires du Delta. Mais la décision a été très critiquée… au nord du pays. « Si le gouvernement crée un ministère pour tous ceux qui crient, combien de ministères y aura-t-il dans ce pays ? », avait ironisé un chef religieux de l’État septentrional de Sokoto. Avec une pointe de jalousie.

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