Marrakech à bonne école
Alors que les tournages se multiplient au Maroc, l’école des arts visuels de la Ville ocre forme aux métiers du septième art. Et s’inscrit dans une dynamique nationale.
Pour les heureux candidats qui ont réussi le concours d’admission à l’École supérieure des arts visuels de Marrakech (Esav), la rentrée de septembre risque de réserver de belles surprises. Ils l’ignorent encore mais, dans quelques mois, à la faveur du climat clément de la Ville ocre, ils s’installeront sur les pelouses, autour de leurs professeurs, pour assister à des cours d’histoire du cinéma ou d’écriture de scénario. Comme les étudiants des promotions précédentes, ils s’agiteront dans les couloirs, caméra au poing et scénario sous le bras, dans la perspective d’un tournage. La vision peut sembler idyllique, mais il suffit d’avoir passé une journée entre les murs de cette école pour pouvoir affirmer que les étudiants y sont heureux et plein d’entrain. Véronique Bruez, membre de la direction, le reconnaît, « Ici, c’est un peu bohème, vous savez. » « Mais c’est aussi très professionnel », s’empresse-t-elle d’ajouter. Car l’Esav n’a rien à envier aux plus grandes écoles de cinéma d’Europe. Une salle de projection de 200 places, un cinéma en plein air, un matériel de haute technologie, deux plateaux de tournage de 200 m2 chacun… « On est très gâtés, explique Yacout, une étudiante marocaine. J’ai même été surprise par la qualité du cadre et de l’enseignement. »
Architectes suisses
Unique en son genre au sud de la Méditerranée, cette école est née du rêve de Susanna Biedermann et Max Alioth, un couple d’architectes suisses installés au Maroc. Déjà fondateurs de Dar Bellarj, une fondation qui soutient la culture à Marrakech, ils décident à la fin des années 1990 de lancer un projet qui leur survivra et qui témoignera de leur amour pour le royaume. C’est Vincent Melilli, directeur de l’Institut français de Marrakech entre 1998 et 2002, qui leur souffle l’idée d’une école de cinéma. Il part d’un constat. Le Maroc accueille de plus en plus de tournages (voir encadré) mais les réalisateurs étrangers ne peuvent malheureusement pas engager de techniciens sur place puisque aucun centre n’existe pour les former. Par ailleurs, le paysage audiovisuel national est à cette époque en plein bouleversement. L’abrogation du monopole d’État, l’augmentation du fonds d’aide au septième art marocain et le dynamisme de la production nationale laissent présager que les besoins en ressources humaines ne vont cesser d’augmenter.
La fondation Susanna-Biedermann investit 6 millions d’euros pour créer l’Esav en 2006. Bien que ce soit un établissement privé, la fondation n’attend aucun retour sur investissement. L’université Cadi-Ayyad de Marrakech lui permet d’acquérir pour quarante ans le droit au bail d’un terrain domanial dont elle avait l’usage. Au terme de ce bail, les locaux et l’équipement de l’école reviendront à l’État marocain.
Des enseignants et des professionnels de toutes nationalités dispensent une formation en réalisation, montage, image et son. « Plus qu’un simple bagage technique, nos professeurs apportent aux étudiants une véritable culture cinématographique afin d’affûter leur regard sur le monde », explique Véronique Bruez. Et le cadre de l’école y est propice. Ouverte sur l’extérieur, elle organise des rencontres et des projections où sont conviés les étudiants des facultés environnantes. Des artistes aussi célèbres que le réalisateur Elia Suleiman ou l’actrice Sigourney Weaver sont venus à la rencontre des élèves. Des chorégraphes ou des plasticiens viennent également en résidence. « Nous avons eu des professeurs cubains, iraniens, algériens. C’est très enrichissant », raconte Ludovic, un élève malgache.
En 2008-2009, l’Esav a accueilli sa troisième promotion et, plus que jamais, ses directeurs ont été animés par un souci de mixité sociale et culturelle. Les droits de scolarité sont élevés (4 500 euros par an) mais près de 60 % des étudiants sont boursiers. La recherche de fonds se fait par le biais d’une association, Les Amis de l’Esav, qui collecte l’argent auprès de différentes fondations.
« Marrakech était le lieu rêvé pour cette école », juge Samba Félix Ndiaye, un réalisateur sénégalais de 64 ans qui enseigne à l’Esav. Ville de cinéma, elle accueille depuis 2000 un festival international du film et se situe à proximité des plateaux de tournage de Ouarzazate. Mais c’est surtout une ville cosmopolite, au carrefour des civilisations maghrébine et subsaharienne. « Nous avions terriblement besoin d’une école de cinéma sur le continent, se réjouit Samba Félix Ndiaye. Les réalisateurs africains de ma génération étudiaient en France, aux États-Unis ou dans l’ex-Union soviétique. Nous étions malgré nous influencés par un cinéma occidental. » Les conditions d’obtention de visas en Europe s’étant durcies, l’Esav ambitionne d’accueillir en son sein des talents de tout le continent et de former des cinéastes africains, dont l’œuvre serait ancrée dans une histoire et dans un territoire. Raison pour laquelle, depuis 2008, il est possible de passer le concours d’entrée en Afrique subsaharienne et, depuis 2009, au Moyen-Orient.
Jeunet, Scorsese, Wenders…
Une chance pour l’Afrique d’inscrire sa marque dans le cinéma mondial et de rattraper son retard. « Tous les grands mouvements de cinéma, comme l’expressionnisme allemand ou le néoréalisme italien, sont nés d’une école », rappelle le réalisateur sénégalais. Archie, un étudiant camerounais, comme son camarade malgache Ludovic ont d’ailleurs l’intention de rentrer dans leur pays une fois leur cursus terminé. « Hollywood ne nous intéresse pas, s’amuse Ludovic. Nous avons beaucoup de choses à dire sur nos origines et notre culture. »
Après seulement trois ans de fonctionnement, il est trop tôt pour faire un bilan de cette école. Mais, déjà, quelques élèves ont retenu l’attention avec des œuvres originales et sensibles. Lors du 56e festival de San Sebastian, en Espagne, c’est un élève de troisième année, Mehdi Azzam, qui a remporté le premier prix dans la catégorie « écoles » avec Le Bal des suspendus. Avec des parrains tels que Abbas Kiarostami, Jean-Pierre Jeunet, Martin Scorsese ou Wim Wenders, l’Esav semble placée sous de bons auspices.
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