Sur les planches d’Avignon
Le Congolais Dieudonné Niangouna et le Malgache Jean-Luc Raharimanana invités officiels du Festival d’Avignon, une dizaine de pièces africaines programmées dans le « off »… la création théâtrale du continent a constitué l’un des volets majeurs de cette 63e édition.
Avec pour artiste-associé le Libano-Canadien Wajdi Mouawad, la 63e édition du Festival d’Avignon (France), qui s’est tenue du 7 au 29 juillet, ne pouvait être que cosmopolite. Tant par la provenance (Canada, Liban, Pologne, Congo, Suisse, Allemagne, Italie) des artistes invités que par les thématiques des spectacles proposés.
Ainsi, pendant les trois semaines de la plus célèbre manifestation française consacrée au théâtre et aux arts de la scène, les festivaliers ont-ils pu choisir parmi une très large palette de spectacles convoquant les heurs et malheurs du monde. Les mille et une propositions du programme « off », ou informel, comme la trentaine de spectacles que comptait le « in » (programmation officielle) étaient autant d’invitations à « interroger le monde », un monde traversé par des émeutes (en Grèce ou à Madagascar), des conflits (au Moyen-Orient), la crise financière et ses conséquences sociales (en Occident). Ces spectacles ont témoigné aussi de l’originalité et de la créativité des artistes venus des quatre coins de la planète.
Notamment de l’Orient. Le « in » avait cette année une couleur résolument orientale avec la présence de plusieurs artistes méditerranéens. Le cinéaste israélien Amos Gitaï a ouvert la manifestation avec une création inspirée de l’œuvre d’un historien juif du Ier siècle de notre ère, évoquant la prise de la forteresse de Massada et la dispersion du peuple juif.
L’Orient contemporain était représenté par deux couples libanais : Lina Saneh-Rabih Mroué et Joanna Hadjithomas-Khalil Joreige. Alors que le premier a enchanté les festivaliers avec sa pièce moderne et délicieusement satirique Photo-romance, qui met en scène une société libanaise déchirée entre sa double culture, le second a raconté la guerre civile libanaise à travers des œuvres cinématographiques et photographiques. Plus que leurs origines communes, ce qui rapproche ces artistes d’Orient, c’est leur propension à la narrativité, leur utilisation de récits comme autant de baumes sur nos douleurs existentielles. « L’homme a besoin de raconter des histoires car elles lui confèrent son humanité, lui permettent d’appréhender le monde et de combattre la tentation d’amnésie », expliquent les codirecteurs du festival, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, mettant en exergue l’axe narratif de l’édition 2009.
Quête existentielle
La trilogie présentée par Wajdi Mouawad à la Cour d’honneur du palais des Papes ainsi que la nouvelle pièce créée pour l’occasion sont emblématiques de cette sensibilité narrative. Dramaturge, comédien et metteur en scène talentueux, Mouawad vit au Québec depuis l’âge de 10 ans. Ses pièces racontent sur le mode épique et philosophique l’exil, la guerre, l’incohérence du monde. Montées en intégrale pendant quatre nuits, la trilogie composée de Littoral, Incendies et Forêts mêle la fiction à des scènes de vie autobiographiques et donne à voir sa quête toujours recommencée des origines et du sens. Plus avant-gardiste, sa nouvelle pièce, Ciels, renouvelle le récit de la quête existentielle, en s’inspirant de l’actualité mondiale délétère sur laquelle pèsent des menaces d’attentats terroristes et de guerres de civilisations.
Si l’Orient et sa narrativité ont dominé cette édition, l’Afrique, avec trois spectacles magistraux programmés dans le cadre du « in » ainsi qu’une dizaine de spectacles accueillis par le « off » (notamment Bintou et Big Shoot, de Koffi Kwahulé, Carte d’identité, de Diogène Ntarindwa et Fada rive droite, d’Arezki Mellal), a constitué le second volet majeur de cette édition. Un volet très attendu, d’autant que les artistes invités étaient Dieudonné Niangouna et Jean-Luc Raharimanana, deux figures importantes des lettres africaines contemporaines.
Habitué du festival auquel il a participé il y a deux ans, en 2007, avec son monologue sur la clandestinité (Attitude clando), Niangouna est revenu cette année à Avignon avec Les Inepties volantes, un fragment poétique inspiré des guerres civiles successives qui ont ravagé son pays, le Congo-Brazzaville, dans les années 1990 (voir J.A. n° 2531). Interprétant son propre texte en dialogue étroit avec l’accordéoniste français Pascal Contet, le Congolais a fait entendre une parole volcanique qui relève autant de la résistance que du cri. Une parole souvent opaque, mais le public l’a écoutée, médusé par la dramaturgie de Niangouna, où se mêlent avec bonheur la virulence et la force poétique de la métaphore.
Il a été aussi question de guerres et de résistances dans Les Cauchemars du gecko, un spectacle chanté, dansé et monologué, né de la collaboration entre le metteur en scène français Thierry Bedard et l’écrivain malgache Jean-Luc Raharimanana. Les deux hommes ont déjà travaillé ensemble pour la mise en scène de 47, pièce tirée d’une œuvre de Raharimanana et consacrée à la répression sanglante de l’insurrection malgache en 1947 par les forces coloniales françaises.
Reptile malgache
Pour leur nouvelle création, Thierry Bedard a demandé à Jean-Luc Raharimanana « comment on voit le monde lorsqu’on habite dans un pays pauvre, très pauvre, à l’image de Madagascar, et qu’on regarde de là-bas l’Occident riche bien qu’en crise ». La réponse du Malgache est un chant complexe et argumenté qui n’est pas sans rappeler l’œuvre d’Aimé Césaire, nourri du politique et de l’Histoire, traversé par des fulgurances de lyrisme et d’imprécations. Empruntant pour l’occasion le point de vue du gecko, le sympathique reptile malgache incarnant ici la résilience de l’opprimé, Raharimanana chante les dysfonctionnements du monde, répertorie les crimes de l’Occident et de ses complices (esclavage, colonisation, mondialisation) et laisse planer la nostalgie d’un temps immobile symbolisé par le gecko. Mise en scène avec sobriété, interprétée par des comédiens talentueux qui n’ont pas su, toutefois, toujours éviter le piège du démonstratif et de la déclamation, la pièce a manifestement touché les spectateurs, « de plus en plus demandeurs d’Afrique », si l’on en croit les critiques de théâtre.
« Le Festival d’Avignon est de plus en plus attentif aux œuvres des créateurs étrangers, comme en témoigne le choix de Wajdi Mouawad comme artiste-associé. C’est le premier artiste-associé non européen », explique pour sa part Thierry Bedard, qui souhaiterait revenir à la cité des Papes pour monter Nuruddin Farah. « Le Faulkner africain ! »
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