Chronique d’une métamorphose
Trente ans après son « coup de la liberté » du 3 août 1979, Teodoro Obiang Nguema est toujours à la tête de l’État, devenu l’un des plus riches du continent. L’économie se diversifie. Le pays s’ouvre, timidement. Son prochain défi est d’assurer le développement social.
Guinée Equatoriale, la politique du résultat
Avec ou sans boule de cristal, bien malin celui qui aurait pu, en 1979, prédire le futur de la Guinée équatoriale, voire lui entrevoir un quelconque avenir. Réputé pour son cacao – l’un des meilleurs au monde –, ce territoire morcelé s’illustrait aussi, à l’époque, pour son sous-développement chronique, son isolement et les « chasses à l’étranger » régulièrement décrétées par le président Francisco Macias Nguema, autocrate marxisant régnant par la terreur, le tribalisme et la paranoïa.
On l’ignorait encore : en mettant fin au règne de ce chef d’État tyrannique et sanguinaire, le putsch d’un ancien jeune cadet de l’Académie militaire de Saragosse, en Espagne, allait radicalement changer le destin et le visage de l’ancienne colonie espagnole.
Trente ans après ce « coup de la liberté », survenu le 3 août 1979, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo est toujours aux manettes du pays, aujourd’hui propulsé au rang de troisième puissance pétrolière d’Afrique subsaharienne. À 67 ans, cet alerte sportif natif du district de Mongomo, devenu doyen des chefs d’État au sud du Sahara pour sa longévité au pouvoir depuis le décès d’Omar Bongo Ondimba, règne sur moins d’un million d’habitants. Et sur une manne à faire pâlir d’envie les autres pays du continent.
Les chiffres sont éloquents. Portée par une croissance rarement descendue en dessous de 10 % depuis quinze ans et qui a battu plusieurs records mondiaux (68,3 % en 2001, 30 % en 2004…), l’histoire du pays s’est emballée. L’image d’embarcations de fortune bravant la brise marine pour vendre leur cargaison sur le petit port de pêche de Malabo relève définitivement du passé.
Une économie en surchauffe
Affichant le deuxième revenu intérieur brut par habitant d’Afrique (après la Libye), non endettée, dispensée de tout appui du Fonds monétaire international (FMI) et finançant ses investissements sur fonds propres, la Guinée équatoriale est désormais la première puissance financière de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). De 253 milliards de F CFA (385,7 millions d’euros) en 1998, son produit intérieur brut (PIB) a dépassé les 5 500 milliards (3,9 milliards d’euros) l’an dernier. Plongé dans l’opulence du brut, découvert à force de ténacité par les firmes texanes, le petit pays bombe le torse. Son avenir se lit désormais à l’aune des multiples projets de développement que les hydrocarbures ont permis d’engendrer. Malgré son déficit en main-d’œuvre qualifiée, qui l’oblige à rechercher les compétences sur le marché international, la Guinée équatoriale a, par bien des aspects, supplanté les pays voisins en termes d’équipements et d’infrastructures.
« Le chef de l’État est dans une logique de bâtisseur. Il veut laisser sa trace », explique un ambassadeur en poste à Malabo. Chaque année, le réseau routier s’étend comme une toile d’araignée. À l’instar de Malabo II, sur l’île de Bioko, ou d’Oyala, dans le centre du Rio Muni, sur la partie continentale, des villes nouvelles émergent de territoires en friche. Des ports aux stations d’épuration en passant par les aéroports, les hôtels ou les complexes immobiliers, tous les secteurs sont touchés par la fièvre de la construction. « Depuis les années 1990, cette économie est en surchauffe permanente. Nous sommes dans une phase pétrole-béton-goudron », note un observateur.
Les indicateurs sociaux commencent, eux aussi, à bouger. Si l’on s’en tient aux déclarations officielles, la prochaine décennie sera celle du développement social et de la lutte contre la pauvreté, qui est loin d’être éradiquée. « Des problèmes persistent, notamment la mortalité infantile et une couverture vaccinale insuffisante, souligne Kiari Liman-Tinguiri, le représentant local du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Mais, c’est clair, nous ne sommes plus dans un pays à faible revenu. » D’autant que le chef de l’État s’est engagé à fournir l’eau potable et un logement à tous les Équato-Guinéens d’ici à 2020. Par ailleurs, un programme de 30 millions de dollars (plus de 21 millions d’euros), courant jusqu’en 2012, a été signé avec les agences des Nations unies, pour lutter notamment contre les pandémies. Enfin, diverses mesures encouragent l’investissement dans le domaine social. Les sociétés étrangères doivent par exemple réinvestir 0,5 % de leurs bénéfices dans la construction d’infrastructures sanitaires.
Pourtant, le pays n’est pas à l’abri de soubresauts liés à sa soudaine richesse et à la concentration du pouvoir entre les mains des proches du chef de l’État. Autrefois traitée d’un revers de main dans la sous-région, la Guinée équatoriale fait désormais figure d’eldorado, au point d’alimenter les opérations de déstabilisation.
En quelques années, les Équato-Guinéens sont devenus familiers des barbouzes, des intrigants et de l’insécurité croissante, qui est apparue au grand jour lors de la violente attaque nocturne du palais présidentiel de Malabo, début 2009, attribuée aux Nigérians du Mend (Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger).
Le spectre de l’insécurité
Les complots contre le régime sont également légion. Et régulièrement déjoués. Tué dans l’œuf en 2004 par les services secrets américains, sud-africains et zimbabwéens, le plus retentissant a mis au jour une ramification internationale impliquant Severo Moto, le principal opposant au régime, réfugié en Espagne où il a constitué un gouvernement en exil. Étaient également impliqués une soixantaine de mercenaires, dont le Sud-Africain Nick du Toit et le Britannique Simon Mann, ainsi que des personnalités comme Mark Thatcher, le fils de l’ancienne Première ministre britannique. Cette conspiration avortée in extremis sera suivie, en 2008, d’une autre opération également attribuée à Moto. Ce dernier sera arrêté par la police espagnole après la découverte de quelques armes à destination de Malabo.
Ces menaces expliquent-elles la très – trop ? – lente évolution des libertés ? Outre la quasi-inexistence d’une presse privée, l’ancienne colonie espagnole est régulièrement épinglée pour certaines dérives comme la torture. Officiellement, la Guinée équatoriale a aboli la peine de mort et ratifié plusieurs conventions internationales sur la question de la torture. Mais les conclusions du rapport du représentant de l’ONU, Manfred Nowak, à la suite de sa visite à Malabo, en novembre 2008, rappellent la persistance de cette pratique. Toutefois, le fait que le déplacement onusien ait été effectué sur invitation du gouvernement équato-guinéen prouve que les lignes bougent aussi sur les dossiers sensibles.
Si le décollage économique exacerbe les convoitises, le manque d’ouverture politique fait également débat. Malgré la reconnaissance officielle du pluralisme en 1991, l’opposition reste fort peu visible, littéralement écrasée par le parti présidentiel, le Parti démocratique de Guinée équatoriale (PDGE), qui détient 99 sièges sur les 100 que compte l’Assemblée nationale. En l’occurrence, une bonne partie des mouvements de contestation et des adversaires du régime sont à l’étranger.
En quête de pluralisme
Le président de la Convergence pour la démocratie sociale (CPDS), Placido Mico Abogo, est l’un des rares opposants présents sur place à pouvoir porter la contradiction au gouvernement.
Réélu depuis 1989 avec des scores sans appel (99,99 % en 1989, 97 % en 1996 et 97,1 % en 2002), Obiang Nguema Mbasogo devrait donc être assuré d’une nouvelle victoire lors de la prochaine présidentielle, faute d’adversaires. Initialement prévue en 2008, cette échéance plusieurs fois reportée doit théoriquement se tenir à la fin de 2009, voire au début de 2010, année au cours de laquelle le pays accueillera la Coupe d’Afrique des nations (CAN) pour la première fois de son histoire. Mais, comme le reconnaît un député, « le développement est un préalable à la démocratie ». Aussi, s’il est sans suspense quant à son résultat, le scrutin présidentiel sera surtout un test pour juger de l’évolution du pluralisme dans le pays appelé, à l’horizon 2020, à être un Dubaï version africaine.
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