Parcours : Abdel Alaoui

Acteur et cuisinier, ce natif d’Oujda, au Maroc, anime sur la chaîne de télévision française Canal+ la rubrique gastronomie de L’Edition spéciale.

Publié le 4 août 2009 Lecture : 5 minutes.

Pas de toque ni de tablier pour Abdel Alaoui, mais une chemise blanche, une cravate noire, un jean et des baskets. Ce jeune cuistot a fait de la mixité culinaire son credo. Sushis de saumon au tandoori, accras de pop-corn, pizza à boire… Ce bref échantillon de ses improbables recettes peut dérouter. Les puristes passeront leur chemin. Les curieux en quête de petits plats innovants apprécient déjà la rubrique culinaire qu’il anime dans L’Édition spéciale, l’émission de la chaîne française Canal+.

Lundi, Abdel propose aux téléspectateurs un menu – entrée, plat, dessert – spécial crise à 9 euros. Logique, en ces temps de vaches maigres… Mardi, il lance un défi : réaliser un plat en trois minutes chrono. Mercredi, c’est le « Mix&Cook ». Avec Ariel Wizman, l’un des DJ les plus en vue des nuits parisiennes, aux platines, il fait danser ingrédients, bouteilles et spatules. Jeudi, Abdel a carte blanche. Vendredi, enfin, il enregistre hors studio, au gré de ses coups de cœur, et invite les téléspectateurs dans une trattoria sicilienne ou chez un « caféologue »…

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Maintenant qu’il passe à la télé, Abdel ne peut plus cacher à ses parents qu’il exerce le métier de cuisinier. Car longtemps, ce fils d’immigrés marocains installés à Saint-Germain-en-Laye depuis la fin des années 1970, a dû taire cette vocation précoce. À l’âge où ses copains idolâtraient « Zizou » ou Dessailly, lui était un fan du grand chef Joël Robuchon.

« Mes parents étaient convaincus que la cuisine est un domaine réservé aux femmes. J’ai dû leur expliquer qu’en France, et c’est d’ailleurs regrettable, c’est plutôt un métier d’homme. Ils ont même demandé à un imam si le fait de manipuler du porc ne posait pas un problème religieux », confie le jeune homme, né au sein d’une fratrie de cinq enfants. Ses parents, chez qui il vit encore, sont aujourd’hui fiers de lui. Il leur arrive même de lui servir de cobaye.

Pour Abdel, tout a commencé en classe de troisième. « Au milieu de l’année scolaire, j’ai décidé de quitter le collège pour m’inscrire dans une école d’hôtellerie et de restauration », explique-t-il. Par chance, son chemin croise celui de Jacques Pactol, l’ancien chef du « Relais & Châteaux » de Cazaudehore, qui accepte de financer sa scolarité. En 1998, son bac pro en poche, il entre comme commis, le grade le plus bas en cuisine, au Balzac, une table bien connue des gourmets parisiens. Il y rencontre Guy Guenego, qui, devenu par la suite chef au Méridien, lui propose de le rejoindre en tant que demi-chef de partie, un poste qui requiert en général une expérience sensiblement plus longue que la sienne. « Ensuite, tout s’accélère. Un an plus tard, Guenego me promeut chef de partie », se souvient-il, reconnaissant.

Parallèlement, le jeune cuisinier se découvre une passion pour le théâtre. Pendant ses trajets en RER entre la porte Maillot et Saint-Germain, il dévore Molière, Courteline, Jean-Michel Ribes… Il en parle à son chef, qui accepte d’aménager ses horaires pour lui permettre de suivre des cours d’art dramatique. Il intègre alors l’école Jean-Périmony, mais se garde bien d’en parler à ses parents. Il redoute que ces derniers ne voient pas d’un très bon œil leur rejeton monter sur les planches. Ironie du sort, son formateur, qui ne sait pourtant rien de son premier métier, lui confie le rôle de maître Jacques, le cuisinier de L’Avare de Molière.

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Après cette formation de trois ans, Alaoui intègre, en 2003, les cuisines du très bling-bling Fouquet’s et, à ses heures perdues, joue la comédie. « Comme je faisais souvent à manger pour mes amis, j’ai eu l’idée de mêler cuisine et comédie. » C’est ainsi qu’est né un premier pilote de cinq minutes baptisé « Abdel Cook ». « Avec mes amis, on a acheté cent enveloppes, on y a mis cent DVD accompagnés d’un dossier de presse, et on les a envoyées à cent boîtes de production », se souvient-il.

Et puis ? Rien dans l’immédiat. Un an plus tard, il est contacté par Cuisine TV, mais la chaîne Discovery lui fait, la même semaine, une offre plus alléchante. En 2004, SOS Abdel est diffusé sur la chaîne américaine. Le principe ? « Débarquer chez un people et cuisiner avec ce qu’il a dans ses placards. » L’émission fait un tabac, mais tout s’arrête brutalement pour des raisons financières. Le jeune cuistot décide alors de s’installer, le temps d’apprendre l’anglais, dans le pays de ses idoles : les chefs Jamie Oliver et Gordon Ramsay.

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Cap sur Londres, où il découvre la vraie mixité, l’ouverture d’esprit anglaise. « Je n’avais jamais vu ça. Dans la cuisine, il y avait des Italiens, des Marocains, des Français, des Mexicains, des Portugais… Dans les restaurants gastronomiques français, les Maghrébins et les Africains, on les retrouve à la plonge plutôt qu’en cuisine », regrette-t-il.

Au Sketch, table londonienne alors sous la houlette de Pierre Gagnaire, il est initié à la cuisine moléculaire et apprend tellement vite qu’au bout de six mois on lui propose de devenir sous-chef. « J’ai décliné cette offre car mon but n’était pas de m’installer à Londres, mais d’apprendre l’anglais afin d’intégrer l’Actor’s Studio, à New York. »

Retour au bercail pour préparer le grand départ vers les États-Unis. Sauf qu’entre-temps une proposition lui parvient qui va lui faire oublier l’Amérique. Canal+ lui demande d’animer une rubrique culinaire dans L’Édition spéciale. « Passer sur Canal, je n’arrivais pas à y croire, c’était trop beau. La vérité est que les décideurs français n’aiment pas prendre des risques. On attend de voir ce qui se passe ailleurs avant de le dupliquer. C’est Discovery, une chaîne américaine, qui a d’abord cru en moi », poursuit-il.

Pourtant, il reconnaît volontiers que Canal+ a joué un rôle pionnier en matière de recrutement des minorités : « C’est sur cette chaîne qu’on a vu les premiers Blacks et les premiers Rebeus. » Alaoui se sent d’ailleurs investi d’une mission : ouvrir l’esprit des producteurs et des directeurs de chaînes à l’égard des talents issus, comme lui, de communautés peu représentées.

Il estime néanmoins que sa réussite, il la doit d’abord à son culot et à sa motivation. Une motivation toujours présente : il prépare un one-man show pour la rentrée, coécrit une pièce de théâtre qu’il souhaite également interpréter et s’apprête à publier un livre de cuisine aux éditions Hugo et Compagnie. C’est tout ? Non, d’ici au mois de septembre, il va ouvrir son propre restaurant, Wok & Co, à Saint-Germain-en-Laye.

Son rêve ? « Molière est mort sur scène. Moi je rêve de finir en cuisine. C’est ma scène à moi. »

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