Des bulletins et des bombes

À l’approche de la présidentielle, le 20 août, les combats s’intensifient. Américains et Britanniques traquent les djihadistes dans leurs bastions. Et ces derniers rendent coup pour coup. Dès lors, quelle crédibilité accorder à la probable réélection d’Hamid Karzaï ?

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 4 août 2009 Lecture : 4 minutes.

L’élection présidentielle en Afghanistan aura lieu le 20 août. Enfin, en principe. Certes, la réélection de Hamid Karzaï, ex-protégé des Américains désormais jugé par eux infréquentable en raison, notamment, de l’extrême corruption de son administration, ne fait guère de doute. Ses deux principaux rivaux, l’universitaire Ashraf Ghani, qui fut haut fonctionnaire à la Banque mondiale puis ministre des Finances (il a la double nationalité afghane et américaine), et l’ancien chef de la diplomatie Abdullah Abdullah, qui est de père pachtoune, comme ses adversaires, mais de mère tadjike (raison pour laquelle il fut proche du chef de guerre Ahmed Shah Massoud, jusqu’à sa mort), ne font a priori pas le poids. Même dans l’hypothèse, improbable, d’un scrutin d’une parfaite régularité.

Reste à savoir si ledit scrutin pourra avoir lieu. On sait déjà que ce ne sera pas le cas sur l’ensemble du territoire, des régions entières étant sous le contrôle des insurgés islamistes, talibans et membres d’Al-Qaïda. Ailleurs, la spectaculaire recrudescence des opérations terroristes fait craindre que les conditions minimales de sécurité ne soient pas assurées. A l’évidence, les talibans sont prêts à tout, surtout au pire, pour faire échouer la consultation.

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Face au péril, l’ondoyant Karzaï, dont l’impopularité est à son comble, multiplie les manoeuvres souvent indéchiffrables de l’extérieur, tant les considérations ethniques, sinon claniques, y prennent une large part. Officiellement, sa stratégie est d’introduire un coin entre les partisans du mollah Omar, revenu sur le devant de la scène depuis le début de l’année, et ceux d’Oussama Ben Laden. Ou entre les talibans « modérés » – à supposer, bien sûr, qu’ils existent – et les autres. 

RETICENCES SAOUDIENNES

A plusieurs reprises, il a sollicité la médiation des dirigeants saoudiens. Ces derniers n’ont pas dit non mais, après avoir discrètement activé quelques canaux diplomatiques, se montrent de plus en plus réticents. Ils ont compris que les talibans, forts de leurs récents succès militaires, n’ont aucun intérêt à négocier dans l’immédiat. Pourquoi les Al Saoud prendraient-ils le risque de s’aliéner le soutien des religieux ultraconservateurs, principal appui de leur régime, pour une cause perdue d’avance ?

Le 27 juillet, Karzaï a annoncé la conclusion d’un cessez-le-feu dans un district de la province de Badghis, à la frontière du Turkménistan, pour permettre aux talibans de participer au scrutin. « Et ce n’est qu’un début, d’autres accords vont suivre », a claironné l’un de ses porte-parole. Quelques heures plus tard, ces mêmes talibans démentaient officiellement. Le lendemain, des escarmouches éclataient, à Badghis, entre djihadistes et forces de l’ordre. Est-ce bien sérieux ?

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Manifestement, le chef de l’Etat ne sait plus à quel saint se vouer face à la nouvelle donne stratégique qui se met peu à peu en place.

D’un côté, les Etats-Unis ont renoncé, au moins dans les zones les plus peuplées, aux frappes aériennes aveugles qui ont tant contribué à leur alièner la sympathie de la population. Ils s’apprêtent à envoyer sur place 17 000 hommes en renfort et ont lancé, avec un succès mitigé, des opérations d’envergure dans les bastions insurgés. Parallèlement, ils rêvent de promouvoir une vraie politique d’aide au développement et tentent de convaincre les paysans afghans de renoncer à la très lucrative culture du pavot, qui, comme on le sait, sert à fabriquer l’opium (le trafic finance à la fois les talibans et les corrompus de Kaboul). Cette politique aurait eu quelques chances de succès après l’intervention des forces de la coalition, il y a huit ans. Hélas, l’administration Bush s’est laissé prendre au mirage irakien. Aujourd-hui, il est sans doute trop tard.

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De l’autre côté, les talibans ont entrepris à la fois de durcir et de centraliser leurs opérations, jusqu’ici abandonnées A  l’initiative des commandants locaux. Depuis la « choura de Quetta », l’assemblée de chefs tribaux réunie au début de l’année dans cette ville du sud du Pakistan, le mollah Omar, qui avait disparu des écrans radars après sa fuite précipitée en cyclomoteur, en octobre 2001, a manifestement repris les rênes, secondé par le mollah Boradar. Le 9 mai, il a rendu public un document portant sa signature, la « Charte des moudjahidine dans l’émirat islamique d’Afghanistan ». Il s’agit, pour simplifier, d’une tentative de débauchage des membres, civils et militaires, de l’administration Karzaï. Le message est en gros le suivant : « Ralliez-vous à nous et vous serez épargnés, et même récompensés ; combattez-nous et vous serez impitoyablement abattus. » 

LE PIEGE SE REFERME

Depuis la fameuse « choura », embuscades, attentats-suicides et tentatives d’assassinat se multiplient. Le 18 mai, des djihadistes ont même ouvert le feu, sur une autoroute près de Kaboul, contre un convoi dans lequel avait pris place Ahmed Wali Karzaï, le jeune frère du président, qui a miraculeusement survécu (l’un de ses gardes du corps a été tué). Depuis le début du mois de juillet, 67 soldats étrangers ont trouvé la mort, chiffre sans précédent. Les Américains ont perdu 731 hommes depuis octobre 2001, et leurs alliés britanniques 191.

Ces derniers, qui ont déployé 9 000 soldats en Afghanistan, sont peut-être en train de perdre la « bataille de l’arrière » ? L’opinion est en effet de plus en plus hostile à l’intervention. Selon un récent sondage, 52 % des Britanniques interrogés sont favorables à un retrait immédiat des troupes, 58 % estiment que l’offensive en cours contre les talibans n’a aucune chance de réussir, et 60 % ne veulent pas entendre parler de l’envoi de renforts.

Bref, Barack Obama a beau avoir réussi jusqu’ici un sans-faute en matière de politique étrangère, le piège afghan est en train de se refermer sur lui.

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