Aziz à l’heure des comptes

Après avoir tout promis, l’ancien chef de la junte et nouveau président voit aujourd’hui affluer requêtes et doléances. Mais les finances de l’État ne lui laissent guère de marge de manœuvre.

Publié le 4 août 2009 Lecture : 4 minutes.

Le 26 juillet, une lettre au ton bien péremptoire a été adressée à Mohamed Ould Abdelaziz. Son signataire, le Collectif des habitants de la Socogim Plage, un lotissement de Nouakchott qui s’étend en bordure d’océan, « souhaite attirer l’attention du président des pauvres » sur les problèmes rencontrés « tous les jours » dans le quartier : « coupures chroniques d’électricité, surtout durant la nuit », et d’eau, « pour des durées importantes allant d’une semaine à un mois voire plus ». Le style est courtois. Jusqu’ici tout au moins. Car, pour finir, les auteurs se permettent ce qui ressemble à une injonction à chef d’État, exigeant de Mohamed Ould Abdelaziz rien moins qu’une « résolution catégorique de [leurs] problèmes » !

Des lettres de doléances comme celle-là, « Aziz » risque d’en recevoir par paquets. C’est la rançon de son élection, le 18 juillet, sur une lourde promesse de campagne : je serai le « président des pauvres » a martelé l’ex-général (il lui a fallu démissionner de l’armée pour être candidat à la présidentielle) depuis son putsch du 6 août 2008. Un slogan qu’il a assorti de quelques actes concrets, se déplaçant dans les bidonvilles pour annoncer le relogement des habitants, ordonnant lui-même l’achat d’un scanner – encore récemment, il n’y en avait qu’un en Mauritanie –, faisant transformer la résidence flambant neuve du Premier ministre en hôpital « de la mère et de l’enfant »… Physiquement sur plusieurs fronts, en contact direct avec les plus démunis, Aziz a joué les omnipotents onze mois durant. Maintenant qu’il est élu, c’est donc vers lui que l’on se tourne pour la moindre requête. 

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Un possible sauveur

Eau, électricité, soins, alimentation, infrastructures de transport : des attentes essentielles pèsent sur les épaules de celui qui a tout promis. En sortant du bureau de vote le 18 juillet, Meina, 38 ans, qui venait de cocher la case « Aziz » sur le bulletin, expliquait ainsi son choix : « J’ai voté pour lui parce que, sur une courte période, il a fait beaucoup de choses pour les pauvres : il a distribué des terrains, il a fait baisser les prix, il a construit des routes. Pour la première fois, nous avons à Nouakchott un trottoir en goudron, sans sable. » Reconnaissante, cette mère de deux enfants n’en restait pas moins exigeante : « Il devra continuer ce qu’il a commencé. »

Quatrième chef de l’État en quatre ans – après Ely Ould Mohamed Vall, Sidi Ould Cheikh Abdallahi et Ba M’Baré –, Mohamed Ould Abdelaziz a été choisi par des électeurs que le spectacle des gesticulations politiques a désenchantés. En ce militaire qui leur a prêté une attention inédite, ils ont vu se profiler un possible sauveur. Mais leur stock de patience s’épuisera vite si le « candidat des pauvres » ne se transforme pas en « président des pauvres ».

Réussira-t-il sa mue ? « On verra si ces onze mois, c’était de la poudre aux yeux », prévient un économiste. Un mandat de cinq ans ne suffira pas à sortir de la pauvreté 1,5 million de Mauritaniens. Car l’État, aux abois – le 20 juillet, des professeurs de l’enseignement supérieur attendaient encore leur salaire de juin –, ne dispose que d’une étroite marge de manœuvre. Il est endetté auprès du secteur privé, voit ses recettes – douanières notamment – diminuer et les factures des importations augmenter.

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Corollaire de la promesse du partage des richesses, celle de la lutte contre la corruption a marqué les esprits. Mais est-elle tenable ? En général, l’indispensable soutien financier qu’apportent les lobbies des hommes d’affaires à une campagne électorale se rétribue par le clientélisme. Reste à voir si la tradition sera respectée avec Mohamed Ould Bouamatou – patron de Bouamatou SA, entreprise présente dans le commerce de cigarettes, le secteur aérien, la concession automobile… –, qui a ouvertement et généreusement aidé Aziz.

Militaire, Arabo-Berbère issu d’une tribu du nord de la Mauritanie (les Ouled Besbah) : si son profil est précis, Mohamed Ould Abdelaziz a ratissé large le jour du scrutin. Dans la vallée du fleuve Sénégal, les Négro-Mauritaniens, d’ordinaire en grande partie acquis à Ibrahima Sarr, sont nombreux à avoir voté pour lui. Ils ont certainement été sensibles aux prises de position d’Aziz sur le « passif humanitaire », pudique expression désignant les exactions dont ils ont été victimes à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Aziz a reconnu qu’il fallait « panser les plaies encore béantes » et s’est engagé à indemniser les familles. Mais il n’est pas dit que la compensation pécuniaire suffise. « On ne peut pas pardonner comme cela, prévient Ibrahima Sarr. Il faut une investigation pour situer les responsabilités. » Une exigence de justice difficile à satisfaire quand la hiérarchie militaire, dont le soutien est indispensable pour rester au pouvoir, a quelque chose à voir avec ces « années de braises ». 

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La menace d’Al-Qaïda

Dans l’immédiat, ce sont d’autres fronts que va occuper Mohamed Ould Abdelaziz. Il y a celui de la sécurité nationale, sur laquelle plane la menace d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) : il est admis aujourd’hui que plusieurs dizaines d’éléments mauritaniens ont été entraînés dans ses camps, dans le nord du Mali et le sud de l’Algérie. Pour celui qui, porté par ses galons de général, a joué la carte de l’homme fort, maîtriser ces terroristes potentiels est indispensable à son image.

Plus important encore, le front de la politique. Aziz dissoudra-t-il l’Assemblée nationale ? Elle est présidée par son détracteur le plus farouche, Messaoud Ould Boulkheir, qui, de concert avec Ahmed Ould Daddah, leader du Rassemblement des forces démocratiques, dénonçait le 28 juillet une élection « ni libre, ni démocratique, ni transparente ». Mais l’organisation de législatives anticipées serait coûteuse. Sans compter que le chef de l’État est censé disposer de la majorité à l’Assemblée. Peut-être attendra-t-il donc la fin de la législature et le vote de la loi de finances 2010. D’ici là, il lui faudra asseoir une légitimité que les accusations de fraude électorale continuent d’entacher. Et, une fois investi – la cérémonie est prévue le 5 août –, composer son équipe, premier indice sur le degré d’une « rupture » tant promise. 

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