La malédiction de l’aide

Médecin, Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Peshawar, Pakistan

Publié le 28 juillet 2009 Lecture : 3 minutes.

Je voudrais remercier J.A. de nous faire découvrir des personnes d’une rare qualité, issues de notre cher continent. Dans le numéro 2525, il s’agit de la « Femme de la semaine », en l’occurrence Dambisa Moyo, économiste zambienne ayant travaillé au cabinet Goldman Sachs et collaboré avec le FMI et la Banque mondiale. Elle vient de publier Dead Aid (L’Aide fatale), un livre qui a fait beaucoup de bruit.

Dambisa Moyo nous apprend que l’aide bilatérale (de gouvernement à gouvernement) part d’une matrice économique simple, fondée sur le fait que c’est l’épargne qui permet les investissements, ces derniers conditionnant à leur tour la croissance. L’aide viendrait donc d’une « décision » noble au départ, mais arbitraire et unilatérale, des pays occidentaux (ce ne sera pas la première…), lesquels considéraient dans les années 1960, au vu de la réussite du plan Marshall, que les sommes octroyées remplaceraient l’épargne que les pays d’Afrique, nouvellement décolonisés, n’avaient pas. Cela devait permettre l’investissement et, donc, le début de la croissance et de la réduction de la pauvreté.

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Après presque cinquante années de soi-­disant aide – et 1 000 milliards de dollars injectés –, le résultat est nul : la croissance n’est pas au rendez-vous et la pauvreté n’est pas réduite. Les gouvernements africains passent leur temps à quote (« citer ») et à choyer les institutions financières internationales plutôt qu’à écouter leurs propres populations. Moyo a soutenu ses idées lors de débats télévisés avec diverses personnalités, et il est intéressant de voir combien ses adversaires veulent maintenir l’Afrique dans une dépendance qui profite assurément beaucoup plus à l’Occident qu’à elle-même. Dans un de ses débats, elle dit en outre ceci : « L’aide est au développement ce que Mars est à la Nasa : on dépense des sommes énormes pour faire des analyses en tout genre et produire de magnifiques données et autres rapports, mais à la fin personne ne croit vraiment que l’homme pourra vivre un jour sur Mars, tout comme personne ne croit vraiment que l’Afrique pourra se développer. » Tout est dit, mais cela m’amène à faire les commentaires suivants :

– l’Occident a encore du mal à laisser parler les nationaux des pays africains (même lorsqu’il s’agit de leurs propres problèmes) et à accepter qu’une solution ne vienne pas de lui ;

– l’Occident fait rarement quelque chose s’il n’y trouve son intérêt, tant il est vrai que l’aide permet aux donateurs d’avoir plus d’influence et d’avantages dans les marchés africains qu’ils convoitent.

Sans avoir lu le livre de Moyo, et sans être le moins du monde spécialisé dans la finance ou l’économie, je voudrais toutefois avancer ceci : je pense que, lorsqu’un pays en aide un autre, il ne devrait en principe rien en attendre en retour. Je conçois mal une aide qui, au final, bénéficie plus aux « donateurs » qu’à ceux qui sont censés en bénéficier.

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Ensuite, quand on parle de dette, il faut parler en termes d’emprunt et non d’aide, car cette désignation contribue à maintenir, en le justifiant, le sentiment occidental de paternalisme. D’autant que, en plus de ses multiples conditionnalités, l’aide est généralement accompagnée de « bataillons » de consultants et autres « conseillers techniques », dont les frais engloutissent déjà à eux seuls une bonne partie des sommes allouées.

Il m’arrive de sourire en voyant tous ces sommets, réunions et autres rencontres organisés dans les capitales occidentales pour débattre de la situation et de la crise en Afrique : je pense qu’il y a désormais suffisamment d’économistes et de financiers sur le continent pour que nous soyons capables de proposer des solutions adaptées aux besoins et aux réalités de celui-ci.

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Écoutons une de nos sœurs qualifiée et bien placée pour nous proposer des solutions différentes de toutes celles que l’on a l’habitude d’entendre. Nos dirigeants écoutent volontiers les Jeffrey Sachs et autres économistes de renom pour devenir de « bons élèves » de l’Occident. J’espère qu’ils auront la sagesse d’écouter Dambisa Moyo, à laquelle j’aimerais adresser une requête. Madame Moyo, écrivez-nous également un livre sur la dette du continent car, pour ma part, je pense qu’elle a été fabriquée de toutes pièces…

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