Investissement : l’Algérie impose sa loi
Un sévère tour de vis attend les investisseurs et les importateurs étrangers en Algérie. Il doit contribuer à diversifier l’économie et à éteindre la flambée des importations. Mais, décidé dans la confusion, le dispositif alimente la polémique.
Cas de force majeure. « Société d’origine étrangère recherche de toute urgence un partenaire algérien, et plutôt à l’aise financièrement, pour entrer dans son capital. Pas sérieux s’abstenir. » Pratiquement toutes les entreprises à capitaux étrangers implantées sur le sol algérien pourraient inonder les médias avec la même petite annonce. Au 1er janvier 2010, elles devront en effet avoir impérativement fait une large place à un ou plusieurs actionnaires locaux. Les sociétés dont la seule vocation est d’importer des produits « pour la revente en l’état » seront contraintes de céder 30 % de leur capital à un associé algérien. Dans l’automobile par exemple, Renault et PSA Peugeot Citroën sont parmi les premiers concernés. Quant à celles qui seront créées pour mener un projet d’investissement, comme la construction d’une aciérie ou d’une usine de biscuits, elles devront être détenues par un actionnariat algérien à hauteur de 51 %, à la manière de ce qui existe déjà dans les hydrocarbures.
« Ces mesures seront contre-productives. Un partenariat ne se décrète pas », vitupère un banquier français en place à Alger. C’est en tout cas un virage à 180 degrés pour l’économie algérienne. Depuis que le pays s’est converti à l’économie de marché, les investissements, nationaux ou étrangers, étaient libres et soumis au même traitement. Décidé au travers des circulaires du Premier ministre, en décembre 2008, confirmé par décret en mai dernier, le tour de vis laisse des zones d’ombre. Comment seront valorisées les participations dans un pays sans marché boursier et avec un secteur bancaire archidominé par le public ? En fonction du chiffre d’affaires ? De l’endettement ? Qui dirigera l’entreprise ? Que faire si l’actionnaire algérien refuse de suivre une augmentation de capital ? Le stock de véhicules des constructeurs français en Algérie est évalué à 100 millions d’euros : qui alignera 30 millions d’euros pour être leur partenaire algérien ?
D’ici à quelques semaines, la loi de finance complémentaire apportera des précisions, complétées à l’automne par des règlements. « Ces nouvelles mesures créent une insécurité juridique catastrophique pour l’Algérie. Même si ces dispositions bénéficieront d’adaptations, elles ont un effet repoussoir qui n’encouragera pas les entreprises étrangères à venir faire des affaires », constate Vincent Lunel, avocat du cabinet Lefèvre Pelletier & Associés et coresponsable du bureau d’Alger.
Et le temps presse. Entre le ramadan, à cheval sur août et septembre, et la date butoir, il reste trois petits mois aux sociétés d’origine étrangère pour trouver l’oiseau rare. Celles qui importent sont particulièrement au pied du mur puisque la mesure qui les concerne est rétroactive ! Une disposition contraire à toutes les conventions internationales signées par l’Algérie, notamment l’accord de coopération économique avec l’Union européenne en 2005. « L’Algérie ne remet pas en cause la libéralisation de son économie, mais des entreprises étrangères lui ont promis monts et merveilles. Beaucoup n’ont pas tenu parole. Le pays donne un coup de frein à l’ouverture de son économie le temps de se doter d’outils de contrôle efficaces », assure Arslan Chikhaoui, PDG de Nord-Sud Ventures, un cabinet de lobbying proche des autorités algériennes. Un audit a démontré que 1 milliard de dollars d’aides et de subventions accordés à des investisseurs étrangers en 2007 ont engendré le transfert hors de l’Algérie de 7 milliards de dollars de dividendes par des entreprises européennes, égyptiennes mais aussi syriennes ou chinoises.
Le retour de bâton est à la hauteur. Environ 16 000 entreprises qui font de la revente en l’état, sur les 23 000 sociétés d’importation recensées en Algérie, sont concernées. « Pour moi, c’est un mariage forcé. Il n’y a aucune structure d’interface qui se met en place pour me présenter une liste de fiancées potentielles », dénonce Jean-Luc Debeaurain, PDG de Banides & Debeaurain, un fabricant français de robinetterie pour le gaz qui commercialise directement ses produits auprès de grands comptes comme Sonelgaz. « Il ne reste plus beaucoup de temps pour mettre à jour ses statuts. Beaucoup d’entreprises misent sur un retour en arrière ou un report des mesures. Ce serait une très grave erreur de le penser. Au premier janvier 2010, une entreprise qui ne se sera pas mise en conformité ne pourra plus importer », lance un banquier français basé à Alger.
Des investisseurs déboussolés
Et les entreprises françaises ne sont pas les seules à être sous le choc. « Des investisseurs qui voulaient venir sont déboussolés. Ils attendent des clarifications », lançait il y a quelques semaines Matei Hoffman, l’ambassadeur d’Allemagne en Algérie. Dans la foulée, l’un des premiers verriers allemands, le groupe Weissker, a renoncé à la construction d’une usine qui devait créer 240 emplois. Le géant industriel a justifié sa décision par sa volonté de conserver 100 % du capital de sa filiale, comme c’est le cas pour lui aux États-Unis, en Russie ou en Chine.
En coulisses, les montages vont bon train pour vider les mesures de leur substance. L’utilisation du pacte d’actionnaires (désignation des organes de gestion et de décision, conditions de cession des participations…) pour couper les ailes des futurs partenaires algériens est l’outil qui revient le plus souvent. Mais, pour l’instant, la confusion est grande. En décembre 2008, au moment où sortaient les circulaires du Premier ministre, l’assureur français Macif obtenait l’autorisation de s’installer en Algérie avec une filiale qu’il détient à 100 % ! D’autres groupes tentent de s’engouffrer en évoquant ce précédent. La suspicion ne risque pas de s’éteindre. Les demandes des sociétés étrangères seront étudiées « au cas par cas » par le Conseil national de l’investissement (CNI), directement rattaché aux services du Premier ministre.
Diversifier l’économie
Mais si le pays brûle les étapes, c’est qu’il est pris de vitesse. Avec un prix du baril qui s’est effondré par rapport à 2008, les exportations d’hydrocarbures plongent et les importations s’envolent (voir encadré). « Le choc pétrolier de cet hiver a traumatisé les autorités algériennes », assure un banquier qui a ses entrées dans les ministères.
Avec sa nouvelle stratégie en matière d’investissements, le gouvernement cherche donc à créer les conditions pour diversifier l’économie du pays. En imposant les entreprises algériennes dans le capital des investisseurs étrangers, il espère qu’elles bénéficient de transferts de technologies, de savoir-faire et de compétences pour développer à terme une offre algérienne. D’autre part, il tente avec l’énergie du désespoir de briser net l’explosion des importations. Tous les observateurs doutent pourtant qu’imposer un actionnaire algérien fera émerger des investisseurs locaux ou réduira la facture des importations. « Sur le fond, la philosophie de ces mesures était peut-être la bonne. C’est leur exécution qui est plutôt mauvaise. Les entreprises étrangères auront des centaines de moyens pour contourner la loi, et les projets retenus seront pauvres en technologies. Or le pays a soif et faim de transferts de technologies qu’il ne peut assouvir parce que la destination Algérie n’est pas attractive. C’est le marketing pays qu’il faut faire en priorité », conclut Slim Othmani, PDG de NCA Rouiba.
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