Un virage bien négocié vers la mondialisation
Le royaume mise sur l’ouverture économique. À coups de plans sectoriels stratégiques, il a mis le cap sur la modernisation de ses moteurs de croissance et la diversification de ses activités. Saura-t-il se faire une place au soleil dans la compétition internationale ?
Dix ans qui ont changé le Maroc
« Une Chine aux portes de l’Occident. » La description du Maroc faite par le voyageur Edmond Doutté au début du XXe siècle est plus que jamais d’actualité. Car, au-delà des clichés orientaux, le royaume s’est solidement inscrit, depuis dix ans, dans la géographie de la mondialisation. Casablanca n’est certes pas Shanghai, mais le Maroc est aujourd’hui un gigantesque chantier, où les grues et les bulldozers sont désormais aussi nombreux que les palmiers et les ânes.
Depuis que Hassan II avait diagnostiqué que son royaume était « au bord de la crise cardiaque », cinq ans avant son décès en 1999, le virage de la mondialisation a été négocié avec volontarisme. Le premier acte de cette thérapie de renoncement du pays à l’économie administrée a été le démantèlement des frontières commerciales avec ses principaux partenaires. Les accords de libre-échange avec l’Union européenne, les États-Unis, l’Égypte et la Tunisie ont porté leurs fruits ; la fluidité des échanges avec l’extérieur n’est plus un concept, mais une réalité ; Casablanca et, maintenant, Tanger-Med (voir p. 91) sont devenus des portes d’entrée incontournables du continent.
Longtemps essentiellement agricole, l’économie marocaine s’est diversifiée, sans s’avachir sur ses deux autres piliers que sont le tourisme et le textile. Une politique de privatisation, loyalement ouverte sur des opérateurs internationaux, a accompagné cette mutation. Les secteurs de l’électricité, des banques, des assurances, de la téléphonie et du tabac ont fait l’objet d’appels d’offres dont la régularité a été saluée tant par le FMI que par les partenaires stratégiques du royaume que sont la France et les États-Unis. L’Espagne, voisine d’outre-Gibraltar, a également été associée à ce processus (Meditel, Altadis) et figure désormais au second rang des partenaires économiques du pays, derrière la France et devant l’Italie et les États-Unis.
Cette stratégie, bénéficiant d’un consensus politique, a permis l’émergence de champions nationaux, voire continentaux, dans de nombreux secteurs. Parmi eux : Royal Air Maroc, Maroc Télécom, Saham (télécoms, logistique, offshoring), la Somagec dans le BTP, la CGI dans l’immobilier, Akwa Group dans les hydrocarbures, la Cosumar (sucre) ou Thalvin (vin) dans l’agroalimentaire, le groupe Attijariwafa Bank ou la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE), ou encore le holding industriel et financier ONA.
Une obsession : rattraper l’Espagne
Mais la libéralisation des secteurs clés, pilotée avec le pragmatisme de l’ancien Premier ministre technocrate Driss Jettou et l’entregent international du conseiller royal André Azoulay, s’est aussi accompagnée d’une ambitieuse politique de planification des nouveaux moteurs de développement.
Malgré quelques ratés à l’allumage, la stratégie touristique de Vision 2010 et de son plan Azur – prolongée par Vision 2020 – a tenu ses promesses et a propulsé le royaume dans la catégorie poids lourd du tourisme mondial.
Après quinze ans de gel, la politique de grands travaux d’infrastructures bat son plein. En attendant le TGV, en balance budgétaire avec une centrale nucléaire, le royaume est maintenant maillé d’autoroutes et de lignes à haute tension. Avec une obsession – non avouée publiquement, mais tenace dans les conversations off the record : rattraper l’Espagne, ex-tigre économique de l’Union européenne. À cet égard, le Maroc, s’il n’est officiellement plus candidat à rejoindre les 27, joue à fond la carte du « statut avancé » avec Bruxelles (voir encadré).
L’ouverture commerciale, la fluidité des transferts de fonds, la fiscalité simplifiée avec l’UE, la compétitivité du dirham – appelée prochainement à se renforcer par une dévaluation – ont déjà fait du royaume une base arrière industrielle, commerciale et logistique de l’UE, sans que les épouvantails de la délocalisation (Renault, Safran, Roca…) et du dumping salarial (le smig marocain plafonne à 2 700 DH, soit 246 euros) ne soient pointés du doigt par les partenaires de la rive nord de la Méditerranée.
C’est aussi dans cette perspective que s’inscrit le plan Émergence. Ce dernier, qui définit la stratégie industrielle du pays, a identifié six secteurs prioritaires de développement (voir p. 84), sur lesquels le gouvernement et les agences de développement, efficacement relayés par les centres régionaux d’investissement, ont mis les bouchées doubles. Pour exemple, l’offshoring a pour ambition de créer 100 000 emplois dans les dix ans et de générer 10 milliards de DH de chiffre d’affaires. Une stratégie suivie d’effet : les centres d’appels, notamment pour la France et la Belgique, ont poussé comme des champignons, de même que les sociétés d’ingénierie et services informatiques, avec des implantations comme celle de la française Logica, récemment installée à Casanearshore – haut lieu de l’offshoring marocain –, dans le sillage de Capgemini, Steria, Atos Origin, SQLI ou encore Ubisoft.
La crise mondiale n’a pas non plus dissuadé Renault-Nissan, déjà actionnaire de l’historique Somaca, de poursuivre la construction de son usine à Meloussa (6 000 emplois), près de Tanger-Med, tandis que les plus grands équipementiers mondiaux ont renforcé leurs sites de production marocains. Même constat pour l’aéronautique, avec la présence des principaux opérateurs du secteur, dont Safran, Boeing et Delphi.
Les grands patrons optimistes
Bref, les objectifs fixés par la jeune garde technocratique arrivée aux affaires avec Mohammed VI sont en voie d’être tenus. Ajouté à une campagne agricole 2008-2009 exceptionnelle, à la prometteuse découverte de gisements de gaz et à la restructuration du secteur financier (banques, assurances), le développement de ces nouvelles filières stratégiques tracte la croissance marocaine depuis cinq ans.
Il explique aussi que, malgré la crise mondiale, qui affecte principalement l’immobilier, quelque 80 % des patrons marocains se disent « optimistes » sur l’avenir de leur activité. « La crise mondiale au Maroc, pour la voir, il faut venir la chercher », explique Abdeslam Ahizoune, le très influent patron de Maroc Télécom, devenu en moins de dix ans la machine à cash du géant Vivendi.
Reste cependant à prendre à bras-le-corps l’immense chantier de l’environnement des affaires. Corruption, délais de paiement, contrefaçon et formalisme administratif parfois kafkaïen pénalisent encore le retour sur investissement. Régulièrement, les autorités assurent de leur volonté de lutter contre ces pratiques désastreuses pour l’image de l’économie marocaine. Encore faudrait-il commencer par le commencement : celui de la réforme de la justice commerciale. Comme pour le pénal et le civil, les dysfonctionnements de l’institution judiciaire constituent aujourd’hui le principal frein au réel décollage d’un royaume souvent si proche de ses partenaires… et pourtant parfois aussi hermétique que peut l’être l’empire du Milieu. Certaines comparaisons, comme celle d’Edmond Doutté, défient les siècles.
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